Espagne — Fermer les yeux sur la discrimination

« Imaginez que, presque tous les jours, des policiers en Espagne vous arrêtent et vous demandent vos papiers, se fâchent contre vous et vous insultent. C’est ce qu’ils font, non seulement lorsque vous n’avez pas de papiers, mais aussi lorsque vous en avez, juste à cause de la couleur de votre peau » .Association des sans-papiers de Madrid

Délit de faciès par la police espagnole

Les autorités espagnoles doivent mettre fin à la pratique policière consistant à sélectionner des personnes pour contrôler leur identité en fonction de leurs caractéristiques ethniques ou raciales, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mercredi 14 décembre.

Ce document, intitulé Arrêtez le racisme, pas les gens : profilage ethnique et contrôle de l’immigration en Espagne (voir ci-dessous), expose l’ampleur réelle des contrôles d’identité effectués par la police sur la base de caractéristiques ethniques et raciales et les conséquences pour les minorités ethniques.

« Quelqu’un qui n’a pas “l’air espagnol” peut se faire arrêter par la police jusqu’à quatre fois dans une même journée pour des contrôles d’identité, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et dans n’importe quel lieu ou situation, a indiqué Izza Leghtas, chargée des recherches sur l’Espagne au sein d’Amnesty International.

« Cette pratique est illégale au regard du droit international relatif aux droits humains. Elle touche à la fois des étrangers et des citoyens espagnols issus de minorités ethniques. Elle n’est pas seulement discriminatoire et illégale – elle entretient également les préjugés, car ceux qui assistent à ce type d’interpellations présument que les victimes sont impliquées dans des activités délictueuses. »

Selon la législation espagnole, la police peut contrôler l’identité de personnes dans des lieux publics lorsqu’il y a un problème de sécurité, par exemple quand un délit a été commis à proximité. Cependant, les recherches d’Amnesty International ont révélé que les contrôles d’identité visant délibérément des étrangers en l’absence de tout problème de sécurité sont répandus.

À Madrid, certains postes de police sont soumis à des quotas hebdomadaires et mensuels quant au nombre de migrants en situation irrégulière qu’ils doivent arrêter, ce qui incite les policiers à cibler les personnes appartenant à des minorités ethniques.

Le profilage ethnique, lorsque les policiers abordent des personnes pour les interroger et les arrêter en raison de leur couleur de peau, ne constitue pas toujours une discrimination, mais il est discriminatoire et illégal au regard du droit international s’il n’a pas de justification légitime ou objective.

« Les autorités espagnoles utilisent abusivement leurs pouvoirs d’interpellation et de fouille comme un moyen de contrôler l’immigration. L’Espagne a le droit de contrôler l’immigration, mais pas au détriment des droits des migrants et des minorités à l’égalité de traitement et à la protection contre la discrimination », a souligné Izza Leghtas.

Par ailleurs, les personnes qui, sans avoir recours à la violence, observent le déroulement de ces contrôles d’identité ou rassemblent des informations à leur sujet et qui informent les gens de leurs droits humains dans ces situations font parfois l’objet de manœuvres d’intimidation et d’amendes.

« La police espagnole doit former ses agents pour leur apprendre comment procéder aux contrôles d’identité en respectant le principe d’égalité et l’interdiction de la discrimination, et mettre un terme aux manœuvres d’intimidation visant ceux qui observent le déroulement de ces contrôles ou rassemblent des informations à leur sujet, a précisé Izza Leghtas.

« Il est temps que les autorités reconnaissent et condamnent la pratique du profilage ethnique pour son caractère discriminatoire et illégal, et qu’elles prennent des mesures pour l’éliminer. »

Amnesty International recommande également au gouvernement espagnol de prendre des mesures pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de quotas d’arrestations de migrants en situation irrégulière et d’exiger que les policiers consignent en détail toutes les interpellations.

Des données relatives au nombre d’opérations policières par zone et par motif doivent être publiées régulièrement, en établissant une distinction entre celles réalisées à des fins de contrôle de l’immigration et celles menées dans le cadre de l’application du droit pénal.

« Il est primordial de lutter contre le profilage ethnique par la police pour combattre le racisme et la xénophobie », a ajouté Izza Leghtas.

Témoignages d’actes racistes et de délit de faciès en Espagne

Un réfugié originaire du Cameroun : « On ne peut pas prendre l’air un moment. Tous les jours, la police me demande mes papiers à la sortie du métro, dans les stations. Du coup, je suis mal à l’aise quand je sors… Il y a beaucoup de racisme en Espagne. Parfois, quand je m’assieds dans le métro, la personne assise sur le siège d’à côté se lève. C’est comme s’ils ne voulaient pas de moi ici. »

Un immigré sénégalais : « Les migrants mènent une vie très difficile. Ça fait mal, même quand on a des papiers en règle. Le pire c’est quand on est noir. Maintenant encore, quand je vois des policiers, ils me demandent mes papiers. Ils peuvent vous faire sortir du train ou du métro et contrôler vos papiers. Ils disent qu’ils recherchent des délinquants. Mais ce n’est pas parce qu’on est noir qu’on est un délinquant. »

Jahid, un immigré du Bangladesh : « Parfois on m’arrête trois ou quatre fois au cours de la même journée. Je montre mes papiers, mais quelquefois ils vérifient pour voir si les informations sont exactes. Quand je vais à mon travail, je suis pressé, mais ça leur est égal, ils les contrôlent quand même. Le fait d’être arrêté si souvent me met très mal à l’aise : j’ai l’impression de ne pas être libre. »

Babu, un ressortissant indien : « Je crois bien que je connais tous les postes de police de Madrid. J’ai été conduit au même poste trois ou quatre fois. Tous les policiers me connaissent. Je veux que les gens sachent que nous, les migrants, nous ne sommes pas des numéros. Nous avons le même cœur, deux mains, comme toutes les personnes qui travaillent dans le monde entier. »

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