Estonie. La police de la langue obtient des pouvoirs de harcèlement accrus

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

EUR 51/001/2007

L’Estonie doit restreindre les pouvoirs discriminatoires de l’organe chargé de veiller à la bonne connaissance de la langue nationale, a déclaré Amnesty International. Dans une lettre adressée à Andrus Ansip, Premier ministre d’Estonie, Irene Khan, secrétaire générale de l’organisation, qualifie l’action de l’Inspectorat de la langue de « répressif et punitif par nature » et« contre-productif dans son objectif de promouvoir l’intégration sociale et la cohésion sociale. »

L’Inspectorat, créé en 1998, dépend du ministère de l’Éducation. Il veille à la bonne connaissance de l’estonien des employés du secteur public et privé, délivre des diplômes et détermine le niveau de connaissance minimum de la langue nationale requis par la loi. À cette fin, l’Inspectorat mène des opérations de contrôle, annoncées à l’avance ou non, y compris sur les lieux de travail.

La lettre d’Irene Khan est une réaction aux amendements apportés à la Loi sur la langue début février 2007 et qui seront applicables à partir du 1er mars de cette année ; ces amendements accordent à l’Inspectorat de la langue un pouvoir accru pour recommander le renvoi d’employés ne maîtrisant pas suffisamment bien l’estonien, obliger des personnes ayant déjà un certificat de langue à repasser un examen et annuler les certificats des candidats qui échoueraient lors de leur deuxième examen.

« Ces amendements signifient que les personnes membres de minorités ethniques se retrouveront en position encore plus vulnérable sur le marché de l’emploi », écrit Irene Khan dans sa lettre.

L’Estonie compte dans sa population une minorité linguistique relativement importante, majoritairement russophone, qui constitue près d’un tiers de la population. Les exigences particulièrement sévères de l’Estonie en matière de connaissance de la langue nationale pour obtenir un emploi ont attiré les critiques des Nations unies et du Conseil de l’Europe, ainsi que des représentants de la société civile ; les minorités linguistiques se trouvent en effet désavantagées sur le marché du travail et touchées par le chômage de manière disproportionnée.

Amnesty International a, à plusieurs reprises, attiré l’attention des autorités estoniennes sur le fait que de nombreuses personnes appartenant à des minorités linguistiques avaient peur et se sentaient harcelées par l’Inspectorat de la langue et que la nature répressive et punitive de l’Inspectorat de la langue empêche la réalisation des droits humains pour tous en Estonie.

Une résidente de Tallinn a récemment fait parvenir à Amnesty international le courrier électronique suivant :

« Je travaillais avant comme chauffeur de taxi mais j’ai perdu mon emploi à cause de l’Inspectorat de la langue. Ils vous convoquent à la commission des transports pour la moindre infraction au code de la route et là, les dames de l’Inspectorat de la langue vous attendent. Tout est planifié. Ils ne convoquent que ceux qui parlent russe. Ils peuvent vous licencier, non parce que vous travaillez mal, non parce que des passagers se sont plaints mais parce que vous ne parlez pas bien l’estonien. J’ai trois enfants, un prêt à rembourser et un mari alcoolique mais personne ne s’en soucie. Je dois payer pour prendre des cours de langue et ce n’est pas donné – deux à trois mois de salaire. Comment est-ce que je vais vivre ? Est-ce que ça, ce n’est pas de la discrimination ? »

Amnesty International demande instamment au gouvernement estonien de réexaminer les derniers amendements apportés à la Loi sur la langue et d’envisager une approche plus constructive de l’intégration linguistique, par exemple en proposant des cours d’estonien gratuits ou pris en charge pour tous, plutôt qu’en mettant en place des mesures répressives, punitives et en fin de compte, aliénantes, telles que celles employées par l’Inspectorat de la langue.

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