ÉTATS-UNIS - 800 vols secrets de la CIA à destination ou au départ de l’Europe

Index AI : AMR 51/198/2005

Amnesty International a révélé ce lundi 5 décembre que six avions utilisés par la CIA pour des restitutions ont effectué quelque 800 vols à destination ou au départ de l’espace aérien européen, dont 50 atterrissages à l’aéroport de Shannon, en république d’Irlande.

Ces informations contredisent les assurances données la semaine dernière par la secrétaire d’État Condoleezza Rice à Dermot Ahern, ministre irlandais des Affaires étrangères : selon elle, l’aéroport de Shannon n’a pas été utilisé dans un but « préjudiciable », ni comme point de transit pour le transport de suspects de terrorisme.

Amnesty International a également rejeté d’autres déclarations faites par Condoleezza Rice, au début de sa tournée de quatre nations européennes. Dans une déclaration datée de ce lundi 5 décembre, Condoleezza Rice a affirmé que la restitution - le transfert de détenus d’un pays à un autre sans procédure juridique - était permise par le droit international. Même si les victimes de restitutions finissent généralement par arriver dans des pays connus pour utiliser la torture lors de leurs interrogatoires, Condoleezza Rice a ajouté que le gouvernement des États-Unis demande des assurances à ces pays quant au traitement des détenus.

« Transporter par avion des détenus vers des pays où ils risquent de subir la torture ou d’autres mauvais traitements constitue une violation directe et évidente du droit international, avec ou sans soi-disant ‘assurances diplomatiques’. Ces assurances ne signifient rien. Les pays connus pour pratiquer systématiquement la torture nient régulièrement l’existence de telles pratiques », a déclaré Claudio Cordone, directeur principal des programmes régionaux à Amnesty International.

Amnesty International a obtenu des enregistrements de vols pour six avions affrétés par la CIA, de septembre 2001 à septembre 2005. Selon l’Administration fédérale de l’aviation des États-Unis, au cours de cette période, ces avions ont atterri 50 fois à Shannon et en ont décollé 35 fois, ce qui laisse à penser que certains vols étaient secrets. L’aéroport de Shannon est utilisé comme point de ravitaillement en carburant par l’armée américaine, mais aucun des avions concernés n’était un appareil de transport militaire. Au total, sur cette période, six avions ont effectué quelque 800 vols au départ ou à destination de l’Europe.

Parmi ces avions figurent :

 Un Boeing 737-7ET, indicatif d’appel N313P (réenregistré ultérieurement comme N4476S). Il s’agit du plus grand des six appareils ; il appartient à Premier Executive Transport Services, une société vitrine de la CIA qui possède également N379P. Le N313P a été fréquemment vu sur des bases militaires des États-Unis, notamment en Afghanistan.

 Un Gulfstream V : indicatif d’appel N379P (réenregistré ultérieurement comme N8068V, puis N44982) ; cet avion, qui a effectué plus de 50 vols vers le centre de détention des États-Unis à Guantánamo, a été surnommé « l’express de Guantánamo ». Il a également été utilisé pour la restitution d’Ahmed Agiza et Mohammed al Zari de la Suède à l’Égypte, effectuée par la CIA.

 Un Gulfstream III : N829MG (réenregistré ultérieurement comme N259SK). Cet appareil a transféré des États-Unis en Syrie le ressortissant à double nationalité syrienne et canadienne Maher Arar ; ce dernier a été détenu en Syrie sans inculpation pendant treize mois, au cours desquels il a été torturé. Il a finalement été libéré en octobre 2003.

 Un Gulfstream IV, indicatif d’appel N85VM (réenregistré ultérieurement comme N227SV). Il s’agit de l’appareil qui a emmené Abu Omar d’Allemagne en Égypte, après son enlèvement en Italie, puis a fait demi-tour pour se diriger vers Shannon. Le suivi de vol de l’avion révèle aussi des atterrissages en Afghanistan, au Maroc, à Doubaï, en Jordanie, en Italie, au Japon, en Suisse, en Azerbaïdjan et en République tchèque.

 Amnesty International publie ces informations comme suite au défi lancé par le ministre irlandais des Affaires étrangères Dermot Ahern, ce jeudi 1er décembre. Questionné à propos des avions de la CIA qui utiliseraient l’aéroport de Shannon, le ministre des Affaires étrangères avait déclaré : « Si quelqu’un possède des éléments sur ces vols, appelez-moi et j’ouvrirai immédiatement une enquête. » Le 17 février 2003, par exemple, le Gulfstream IV N85VM a emmené Abu Omar de Ramstein au Caire, puis fait demi-tour pour se diriger vers Shannon, où il est arrivé le 18 février à 05h52.

Les derniers éléments recueillis confirment d’autres informations cohérentes et fiables émanant des médias et d’organisations non gouvernementales, selon lesquelles des vols affrétés par la CIA sont utilisés pour des restitutions. Amnesty International ne possède que des suivis de vol partiels pour six appareils, alors que la CIA en aurait affrété au moins 30.

Des pays européens ont permis à ces appareils d’atterrir, de se ravitailler en carburant et de décoller de leur territoire. Selon le droit international et ses normes, tous les États doivent coopérer pour mettre un terme à toutes les graves infractions à l’interdiction de la torture et à d’autres règles impératives du droit international. Les États doivent aussi s’interdire d’aider ou de soutenir les États responsables de ces infractions.

Amnesty International demande aux pays européens d’enquêter de manière prompte et exhaustive sur les allégations selon lesquelles leur territoire a été utilisé pour porter assistance à des vols affrétés par la CIA, transportant secrètement des détenus vers des pays où ils risquent la « disparition », la torture ou d’autres mauvais traitements. Dans l’attente des résultats de cette enquête, tous les États doivent faire en sorte que leur territoire et leurs équipements ne soient pas utilisés pour faciliter des vols de restitution.

Amnesty International demande à tous les États membres du Conseil de l’Europe de coopérer pleinement avec l’enquête menée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les allégations relatives à des centres de détention secrets. Amnesty International demande également à ces États de fournir des informations exhaustives sur leur droit national et leurs pratiques relatives aux vols de restitution secrets, comme l’a demandé le secrétaire général du Conseil de l’Europe.

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