ÉTATS-UNIS ET AFGHANISTAN - Toujours des morts et le même climat d’impunité

Index AI : AMR 51/172/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Selon Amnesty International les dernières révélations concernant les morts en détention et les atteintes aux droits humains commises par des soldats américains en Afghanistan sont une nouvelle preuve de l’absence totale de respect pour les droits fondamentaux constatée dans la « guerre contre le terrorisme » à laquelle les États-Unis n’ont pas réussi à apporter une réponse adéquate.

En début de mois, des soldats américains auraient brûlé les corps de deux combattants talibans et se seraient servi de leurs cadavres calcinés pour provoquer les villageois soupçonnés d’héberger des insurgés. Bien que le Pentagone ait annoncé l’ouverture d’une information judiciaire sur ces allégations, il ne s’agirait que du dernier exemple en date d’atteintes aux droits humains commises par des soldats américains en Afghanistan depuis 2001.

Amnesty International a depuis longtemps fait part de son inquiétude face à la politique d’impunité et de laisser-faire des militaires, aux retards accumulés et artifices employés pour masquer la vérité dans les enquêtes sur les morts en détention et les violations des droits humains par les soldats américains en Afghanistan et en Irak.

Les inquiétudes de l’organisation se sont trouvées justifiées lors du procès de soldats américains, accusés d’avoir porté atteinte aux droits fondamentaux de deux détenus afghans, décédés sur la base aérienne américaine de Bagram en décembre 2002. Les deux hommes, Dilawar et Mullah Habibullah, sont morts de contusions multiples causées par des coups portés lors des interrogatoires subis dans un secteur de la base réservé pour l’isolement des prisonniers. Des éléments de preuve montrent qu’il y a eu dans un premier temps tentative de masquer la vérité et que l’information sur les sévices infligés aux prisonniers n’est devenue publique qu’après que des journalistes d’investigation aient publié des articles et qu’il y ait eu des fuites sur l’affaire.

Des rapports d’enquête rédigés par l’armée ont révélé ensuite que les deux hommes avaient été enchaînés au plafond, battus à coups de pieds et frappés à de multiples reprises par de nombreux militaires. Selon un médecin ayant examiné le corps, les jambes de Dilawar étaient tellement abîmées qu’il aurait fallu l’amputer s’il avait survécu. Il avait également été contraint à se tenir dans des positions douloureuses tandis qu’on lui versait de l’eau dans la bouche, l’empêchant ainsi de respirer.

En dépit du caractère horrible et calculé des sévices, personne n’a à ce jour été inculpé en relation directe avec le décès d’une des deux victimes. Sept soldats au bas de l’échelle hiérarchique, inculpés de sévices, mauvais traitements, manquement à leur devoir et fausses affirmations, ont été jugés coupables au début de cette année et condamnés à des peines allant de cinq mois d’emprisonnement à un blâme, une perte de salaire et leur rétrogradation. Les procès de cinq autres soldats jugés pour des faits similaires sont toujours en instance.

Étant donné le caractère abominable des actes de torture et mauvais traitements auxquels les prisonniers ont été soumis, Amnesty International s’étonne qu’il n’y ait eu aucune inculpation en lien direct avec le décès des deux hommes - et que les poursuites n’aient pas concerné plus avant la chaîne de commandement.

L’absence de toute obligation de rendre des comptes aux plus hauts niveaux dans l’affaire des décès de Bagram est particulièrement perturbante du fait que le traitement réservé aux prisonniers n’a pas constitué un cas isolé, mais s’inscrit dans une politique générale d’atteintes aux droits humains. L’un des soldats condamnés - qui aurait reconnu avoir infligé plus de trente coups consécutifs sur les jambes de Dilawar alors que celui-ci était enchaîné par les pieds et les mains au plafond - a déclaré que les coups faisaient partie de la « procédure standard » pour les détenus non coopératifs. Cagouler les prisonniers, les enchaîner, les priver d’eau et de nourriture, les maintenir pendant des périodes prolongées dans des positions douloureuses ou inconfortables - actes de torture et mauvais traitements employés pour Dilawar et Habibullah - étaient des techniques autorisées à l’époque par le haut commandement militaire et le Pentagone.

Les décès de Dilawar et Habibullah s’inscrivent dans le cadre de la politique de torture et mauvais traitements pratiqués sur la base de Bagram à une période durant laquelle le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’avait pas accès à une section importante de la base. À ce jour, personne dans les rangs du haut commandement et du gouvernement n’a eu à rendre de comptes dans cette affaire.

L’organisation s’inquiète également du fait qu’en dépit du caractère sérieux des atteintes aux droits humains dans cette affaire comme dans d’autres, personne n’a été accusé de crimes de guerre ou d’actes de torture.

Amnesty International craint que la situation en Afghanistan ne continue d’encourager actes de torture et mauvais traitements. Dans un rapport rendu public en juin 2005, l’organisation notait que des centaines de détenus se trouvaient toujours sous le contrôle de soldats américains en Afghanistan sans avoir été inculpés ni jugés et sans avoir pu consulter d’avocat ni entrer en contact avec leurs familles. L’organisation y faisait remarquer que, si le CICR avait bien accès aux détenus des bases de Bagram et Kandahar, ce n’était pas dans la période suivant immédiatement leur arrestation - au cours de laquelle les atteintes aux droits humains se produisent le plus généralement. Le CICR n’aurait toujours pas accès aux détenus se trouvant dans un nombre indéterminé de bases militaires avancées des États-Unis en Afghanistan. Des rapports continuent de nous parvenir concernant les sévices infligés aux détenus, qui seraient notamment battus, cagoulés, enchaînés et privés de sommeil et d’eau.

L’organisation craint par ailleurs que la CIA ne retienne des prisonniers dans des lieux tenus secrets en Afghanistan et ailleurs, des situations équivalant à une « disparition ».

Amnesty International est profondément préoccupée par les déclarations de certains hauts responsables de l’administration américaine, selon lesquels les ressortissants d’autres pays que les États-Unis, détenus par des Américains en dehors du territoire des États-Unis, ne sauraient légalement être protégés de tout « traitement cruel, inhumain ou dégradant ». Début octobre, le sénat américain a tenté de corriger la situation en votant un amendement présenté par le sénateur John McCain, visant à étendre l’interdiction de tout traitement cruel selon le droit américain en vigueur à toute personne détenue par des Américains partout dans le monde. Le gouvernement aurait toutefois récemment cherché à obtenir l’autorisation pour la CIA de ne pas respecter cette disposition.

Les pratiques américaines en matière de détention en Afghanistan - ainsi qu’en Irak et à Guantánamo Bay - montrent que le gouvernement américain doit encore prendre un certain nombre de mesures essentielles pour assurer le respect des droits de tous les détenus. Parmi ces mesures figure la possibilité de pouvoir contacter rapidement un avocat, d’être présenté rapidement à une autorité judiciaire et d’entrer en contact avec des organismes tels que le CICR. Accepter l’amendement McCain, sans établir d’exceptions, permettrait également aux États-Unis de commencer à remplir leurs obligations internationales.

Amnesty International continue d’appeler le Congrès américain à mettre en place une commission d’enquête indépendante, impartiale et non partisane, chargée d’établir un rapport sur les politiques et pratiques des États-Unis en matière d’interrogatoire et de détention dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » et de demander la nomination d’un conseil spécial qui serait chargé d’une information judiciaire sur la possible implication de responsables de l’administration dans les crimes commis.

Complément d’information

Les décès d’au moins 27 personnes, mortes en détention alors qu’elles se trouvaient sous responsabilité américaine après avoir été arrêtées dans le cadre le la « guerre contre le terrorisme », ont été répertoriés par l’armée comme homicides criminels confirmés ou supposés ; des traces évidentes de torture existaient dans certains cas. Selon des informations communiquées au cours de la troisième semaine d’octobre par Human Rights First, groupement international d’avocats basé aux États-Unis, la comptabilité de tels cas aurait été « manifestement inexacte » et des retards et carences dans les enquêtes auraient entravé les poursuites. Amnesty International a également exprimé sa préoccupation sur la manière dont étaient menées les enquêtes concernant les morts en détention dans son rapport de juin 2005, disponible en anglais sous le titre USA : US detentions in Afghanistan - An aide-mémoire for continued action, AMR 51/093/2005.

En janvier 2005, Alberto Gonzales, conseiller à la Maison Blanche (aujourd’hui ministre de la Justice), évoquant les réserves émises par les États-Unis à la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, déclarait devant le Sénat que, selon le ministère de la Justice, il n’y avait dans la Convention aucune prohibition légale s’appliquant aux étrangers ne se trouvant pas sur le territoire des États-Unis.

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