États-Unis. Ali al Marri est détenu à l’isolement, sans inculpation ni jugement, depuis trois ans

Déclaration publique

AMR 51/095/2006

Le 23 juin 2003, le président George W. Bush a pris un décret disposant que le Qatarien Ali Saleh Kahlah al Marri devait être détenu par l’armée américaine en tant que « combattant ennemi ». Le président Bush exerçait ainsi une fois de plus son pouvoir exécutif en dehors de tout contrôle, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », et soumettait Ali al Marri à une détention arbitraire illimitée. À ce jour, le sort de cet homme relève toujours exclusivement de l’armée et des instances dirigeantes.

Trois ans plus tard, Ali al Marri est toujours détenu, sans avoir été inculpé ni jugé, dans une prison militaire à Charleston (Caroline du Sud), à l’isolement, souvent entravé, dans une cellule d’environ deux mètres sur trois. Amnesty International considère que les conditions de détention auxquelles cet homme est soumis s’apparentent à de la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire au droit international, et qu’il n’a pas bénéficié de soins adaptés pour la détérioration de sa santé mentale et physique.

Ali al Marri est la seule personne détenue aujourd’hui en tant que « combattant ennemi » sur la partie continentale des États-Unis. Il est soumis à des conditions similaires à celles auxquelles sont soumis les détenus de Guantánamo, avec comme seule perspective de nombreuses années de détention sans inculpation ni jugement. Dans son rapport sur les États-Unis diffusé le 19 mai 2006, le Comité des Nations unies contre la torture a déclaré que détenir des personnes indéfiniment sans les inculper constituait en soi une violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle les États-Unis sont un État partie.

Alors que la situation des détenus à Guantánamo a suscité un tollé international, le cas d’Ali al Marri n’a reçu qu’une faible attention de l’opinion publique. Le caractère illimité et les conditions de sa détention devraient aussi être condamnés en tant que violations des droits humains.

Complément d’information

Ali al Marri a été détenu à l’isolement par les autorités des États-Unis pendant plus de quatre années et demie au total. Il a tout d’abord été arrêté en décembre 2001 et inculpé de fraude et de fausses déclarations au FBI. Selon certaines informations, il serait entré légalement aux États-Unis avec sa femme et ses cinq enfants, le 10 septembre 2001, pour suivre des études universitaires supérieures.

Ali al Marri devait être jugé pour ces chefs d’accusation par un tribunal fédéral à Peoria dans l’Illinois le 21 juillet 2003. Cependant, le 23 juin 2003, l’accusation a informé le tribunal qu’elle abandonnait les charges retenues contre Ali al Marri et que celui-ci était désormais considéré comme un « combattant ennemi ». Le jour même, il était retiré de la juridiction du ministère de la Justice et transféré à la prison militaire, sous le contrôle de ministère de la Défense, dont il relève toujours.

Le décret présidentiel qualifiant Ali al Marri de « combattant ennemi » indiquait qu’il était étroitement lié à Al Qaïda et qu’il représentait un danger continu et grave pour la sécurité des États-Unis. Il a été détenu au secret pendant plus d’une année avant que le CICR puisse lui rendre visite pour la première fois en août 2004, et il n’a pas pu entrer en contact avec un avocat avant octobre 2004.

Seules deux autres personnes ont été détenues comme « combattants ennemis » sur la partie continentale des États-Unis à ce jour. Contrairement à Ali al Marri, il s’agissait de ressortissants des États-Unis. Yaser Esam Hamdi a été libéré sans avoir été inculpé en octobre 2004, plus de trois mois après que la Cour suprême eut statué qu’un citoyen américain détenu aux États-Unis en tant que « combattant ennemi » avait le droit, aux termes de la Constitution, de contester sa détention devant une « instance décisionnelle neutre ». Cet homme a été contraint de renoncer à sa citoyenneté américaine et a été transféré en Arabie saoudite. En novembre 2005, Jose Padilla a été inculpé d’infractions pénales sans lien avec le complot terroriste présumé pour lequel il avait été détenu pendant plus de deux ans par l’armée, sans être inculpé. L’annonce par le gouvernement que Jose Padilla serait transféré sous la juridiction du ministère de la Justice était intervenue peu avant la date à laquelle la Cour suprême devait examiner la légalité de sa détention.

En mai 2006, un magistrat a recommandé que la requête en habeas corpus d’Ali al Marri remettant en cause la légalité de sa détention soit rejetée. Ce point doit maintenant être examiné par un juge de district des États-Unis.

Conditions de détention

Depuis son transfert dans une prison militaire il y a trois ans, Ali al Marri a été presque totalement coupé du monde extérieur. Pendant la première année de sa détention, il a été interrogé à maintes reprises et à une occasion, selon lui, les personnes qui l’interrogeaient ont menacé de l’envoyer en Égypte ou en Arabie saoudite où, lui a-t-on dit, il serait torturé et sodomisé et sa femme, violée sous ses yeux. Des responsables de la prison auraient également manipulé de manière irrespectueuse son exemplaire du Coran.

Des périodes prolongées à l’isolement avec des stimulations sensitives réduites peuvent provoquer des troubles physiques et psychologiques graves ; les normes internationales privilégient de plus en plus la restriction ou l’élimination du placement à l’isolement. Dans son rapport de 2004 à l’Assemblée générale des Nations unies, le rapporteur spécial sur la torture a redit que l’isolement cellulaire pouvait « en soi constituer une violation du droit d’être à l’abri de la torture ».. Dans ses conclusions récentes au sujet des États-Unis, le Comité des Nations unies contre la torture a demandé aux États-Unis de réexaminer la pratique de l’isolement prolongé. Le Comité s’est dit particulièrement préoccupé par les conséquences d’un tel isolement sur la santé mentale des prisonniers.

Une plainte au niveau fédéral déposée en août 2005 mentionnait, dans la description de l’état de santé physique et mental d’Ali al Marri, les maux suivants découlant de sa détention : picotements aigus et handicapants à la jambe ; troubles de la vision tels que des apparitions de brèves lueurs et de point blancs ; maux de tête permanents ; douleur au dos ; vertiges ; tremblements incontrôlables ; bourdonnements dans les oreilles. Il n’a toujours pas reçu de soins médicaux adaptés pour certains de ces problèmes.

La plainte, qui n’a pas encore été examinée, mentionne également plusieurs symptômes d’altérations graves de l’état mental et émotionnel d’Ali al Marri tels que hypersensibilité aux stimuli extérieurs ; comportement maniaque ; difficulté de concentration et de pensée ; pensée obsessionnelle ; trouble du contrôle des impulsions ; trouble du sommeil ; difficulté à se situer dans le temps et agitation. Selon ses avocats, cet état résulte directement de l’isolement prolongé et des autres traitements inhumains auxquels Ali al Marri a été soumis.

Amnesty International est vivement préoccupée par l’état de santé physique et psychologique d’Ali al Marri. Si des améliorations mineures ont été apportées à ses conditions de détention au cours des derniers mois, cet homme est toujours maintenu dans un isolement extrême, sans contact avec d’autres êtres humains que le personnel militaire, à l’exception de ses avocats, des membres du CICR et d’un prêtre protestant, lors de visites occasionnelles.

Amnesty International demande aux autorités des États-Unis de libérer Ali al Marri à moins qu’il ne soit inculpé d’une infraction pénale dûment prévue par la loi et jugé sans plus attendre, dans le respect du droit et des normes internationales. Les autorités doivent prendre immédiatement des mesures pour améliorer ses conditions de détention, lui fournir des soins médicaux et psychologiques adaptés et lui permettre d’entrer en contact avec les membres de sa famille.

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