États-Unis. Une cour de justice réduit le devoir de transparence des entreprises

Invoquant le Premier amendement, une cour de justice a limité la capacité du gouvernement à exiger que des entreprises rendent certaines informations publiques, et n’a pas pris en considération l’impact positif de la règle sur les minerais susceptibles d’alimenter les conflits.

Amnesty International demande à une instance judiciaire américaine de revenir sur une décision dispensant certaines des entreprises les plus puissantes au monde de dire à leurs consommateurs qu’il n’est pas exclu que leurs produits aient financé des groupes armés contribuant au conflit en République démocratique du Congo (RDC) et dans les pays voisins.

En vertu de la section 1502 de la Loi Dodd-Frank sur la réforme de Wall Street et la protection des consommateurs, les entreprises sont tenues de signaler publiquement si leurs produits contiennent certains minerais dont le commerce contribue aux violences en Afrique centrale. La Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de contrôle des marchés, a adopté une règle engageant à appliquer la section 1502. En vertu de cette règle, les entreprises doivent utiliser une formulation spécifique lorsqu’elles décrivent leurs produits contenant ces minerais, et indiquer que la possibilité que lesdits produits ont un lien avec le conflit en RDC n’a pas été écartée.

Amnesty International a formé un recours le 2 octobre demandant à la cour d’appel du circuit du district de Columbia de réexaminer deux décisions rendues en avril 2014 et août 2015 rendant caduque l’obligation de publier ces informations, au motif qu’elle porte atteinte à la liberté d’expression des entreprises, en vertu du Premier amendement. Amnesty International est représentée par des avocats de l’organisation Public Citizen dans cette affaire.

« Cinq millions de personnes sont mortes dans le cadre du conflit en RDC. Les divulgations concernant les minerais susceptibles de contribuer au conflit sont une tentative pionnière de rompre les liens déshonorants qui unissent des produits tels que les smartphones et le financement de groupes armés responsables de violations des droits humains », a déclaré Steven W. Hawkins, directeur exécutif d’Amnesty International États-Unis.

« Les liens entre certains groupes armés et le commerce des minerais sont bien connus, et pourtant des entreprises continuent à se cacher derrière le Premier amendement pour éviter d’avoir à révéler si leurs produits contribuent à alimenter un conflit en cours. »

« Plutôt que de permettre aux actionnaires et aux consommateurs de savoir ce que recouvre le logo d’une entreprise, l’industrie agit dans son seul intérêt afin d’affaiblir ou de faire régresser les avancées sur le terrain de l’obligation de rendre des comptes. Au lieu de placer les profits au-dessus des personnes, les groupes industriels à l’origine de cette action en justice doivent agir en toute transparence et écouter les nombreux consommateurs qui veulent s’assurer qu’ils achètent des biens produits de manière éthique. »

« L’information est source de pouvoir, mais bien trop souvent, nous travaillons sur des cas où des entreprises s’abstiennent de divulguer des informations nécessaires à la protection des droits fondamentaux des personnes et des communautés. Des lois telles que la règle sur les minerais du conflit sont indispensables afin de lutter contre cette inégalité des pouvoirs. »

« Les décisions rendues par un collège de juges malmènent le Premier amendement face à l’obligation pour les entreprises de révéler certaines informations, et elles le font en outre au sein du circuit où se déroulent la plupart des procédures contestant la légalité des lois et règles fédérales », a déclaré Julie Murray, qui dirige l’équipe d’avocats de Public Citizen s’occupant de l’affaire.

« La cour doit annuler en réunion plénière ces décisions indéfendables, qui menacent la capacité du gouvernement à solliciter des informations qui éclairent les actionnaires, font progresser les droits humains et protègent les consommateurs et les travailleurs. »

Quand une action en justice se solde par un revers pour la transparence

Trois groupes industriels - l’Association nationale des fabricants, la Chambre de commerce des États-Unis et la Business Roundtable – ont attaqué la SEC en justice en 2012 afin de faire invalider la règle sur les minerais du conflit. Cette règle requiert que certaines entreprises mènent une enquête et révèlent si leurs produits sont dérivés de minerais provenant de zones de conflit en RDC ou dans les pays voisins, et si le commerce de ces minerais aide à financer des groupes armés contribuant au conflit.

En 2014, un collège de juges du circuit du district de Columbia a confirmé la règle sur les minerais du conflit face à la plupart des actions en justice contestant la légalité de celle-ci, dont une a pris la forme d’une remise en cause du coût de cette règle. La cour d’appel a cependant invalidé la partie de la loi obligeant les entreprises à utiliser une formulation spécifique lorsqu’elles expliquent qu’il n’a pas été prouvé que leurs produits n’étaient pas liés au conflit en RDC.

En août 2015, le collège de juges, lors d’une nouvelle procédure, a encore estimé que cette mesure était anticonstitutionnelle aux termes du Premier amendement, en partie parce que les juges ont émis des doutes sur l’efficacité de l’obligation de révéler des informations sur les minerais du conflit.

Amnesty International États-Unis et Amnesty International Limited agissent dans cette affaire comme intervenants en faveur du SEC, et demandent à la justice de garder la règle intacte.

L’organisation déclare par ailleurs que les décisions du collège de juges illustrent un désintérêt coupable pour les éléments de plus en plus nombreux indiquant que la règle sur les minerais du conflit remplit sa tâche : informer actionnaires et consommateurs sur les produits et réduire les fonds que perçoivent les groupes armés en RDC et dans les pays voisins. La règle a favorisé un degré de transparence sans précédent dans les filières d’approvisionnement en minerais, comme l’attestent les plus de 1 200 entreprises qui ont publié un rapport relatif aux minerais susceptibles d’alimenter le conflit en juin 2015.

Ces décisions de justice établissent par ailleurs un précédent dommageable, car les droits des entreprises au titre du Premier amendement pourraient limiter la communication d’informations de bon sens ayant pour but de faire progresser les droits humains dans le monde.

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