États-Unis. Dans certaines prisons fédérales, les conditions de détention provisoire constituent des traitements cruels

DÉCLARATION PUBLIQUE

12 avril 2011

Index AI : AMR 51/030/2011


Bradley Manning
, le soldat américain accusé d’avoir transmis des informations à WikiLeaks, est actuellement détenu par les autorités militaires en Virginie. Cet homme n’est pas le seul prisonnier fédéral à être soumis à un régime de détention provisoire à l’isolement dans des conditions qu’Amnesty International juge préoccupantes.

L’organisation a demandé une évaluation des conditions de vie dans l’Unité spéciale de séjour du Centre de détention métropolitain (MCC) de New York, une prison fédérale au sein de laquelle un certain nombre de détenus ont passé de longues périodes dans des cellules exiguës où ils n’avaient guère accès à la lumière du jour ou à l’air extérieur. Amnesty International considère que ces conditions de détention sont contraires aux normes internationales en vertu desquelles les détenus doivent être traités avec humanité.

En février dernier, Amnesty International a exprimé ses inquiétudes dans une lettre au ministre américain de la Justice, Eric Holder, arguant que cet isolement prolongé, conjugué aux autres privations imposées aux détenus de cette unité, s’apparentait à une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant.

Amnesty International a également fait valoir que ces conditions d’incarcération semblaient aller à l’encontre de la présomption d’innocence, soulignant que dans le cas des prisonniers en attente de jugement qui n’ont pas commis d’infraction sur leur lieu de détention, la détention ne devait pas revêtir un caractère punitif.

L’unité spéciale – le 10e étage Sud du MCC – se compose de six cellules dans lesquelles les prisonniers sont isolés entre 23 et 24 heures sur 24. Selon les informations dont dispose Amnesty International, les vitres des fenêtres sont peintes, si bien que les détenus ne peuvent voir à l’extérieur et n’ont qu’un accès limité à la lumière naturelle. Les prisonniers de l’unité n’ont aucun contact avec les autres membres de la population carcérale et prennent leurs repas dans leurs cellules, dont le mobilier se résumerait à un lit en béton, un W.-C. et un lavabo. Ils ne peuvent pas faire d’exercice en plein air, contrairement aux dispositions de l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus.

L’unité est notamment utilisée pour la détention provisoire des personnes inculpées d’infractions liées au terrorisme. La plupart des détenus sont soumis au régime des Mesures administratives spéciales, en vertu duquel leur communication avec le reste de la population carcérale et le monde extérieur est extrêmement restreinte.

Amnesty International ignore le nombre de détenus actuellement présents dans l’unité. À ce jour, aucune suite n’a été donnée à la demande de visite qu’elle a émise au mois de février. Certaines personnes ont déjà passé des mois – voire des années – dans les conditions décrites ci-dessus, dans l’attente de leur procès. Parmi ces détenus, on peut notamment citer :

Syed Fahad Hashmi, un citoyen américain maintenu pendant près de trois années à l’isolement avant de plaider coupable, en avril 2010, de conspiration en vue de fournir un soutien matériel à Al Qaïda, un des chefs dont il était accusé. Si l’on exclut les visites de son avocat, il n’a pu voir que ses parents et son frère, séparément, deux fois par mois au maximum. Tout contact physique était interdit, et les visites de ses proches étaient souvent repoussées ; elles ont même été suspendues pendant trois mois après que ses gardiens avaient affirmé l’avoir vu s’entraîner aux « arts martiaux » dans sa cellule, alors que, d’après Syed Fahad, il faisait simplement de l’exercice. Durant toute sa détention provisoire, il n’a eu qu’un accès limité ou différé à la lecture et aux informations. Depuis sa condamnation, il est maintenu en isolement cellulaire aux termes des Mesures administratives spéciales. Il est incarcéré dans la prison de très haute sécurité « Supermax » de Florence depuis mars 2011. Plus de 400 prisonniers sont détenus à l’isolement dans cette prison fédérale, au Colorado.

Oussama Kassir, un ressortissant suédois accusé d’avoir voulu mettre en place un camp d’entraînement au djihad sur le sol américain, a passé plus de 18 mois en détention provisoire dans une cellule de l’Unité de séjour spécial, à l’isolement près de 24 heures sur 24. Selon certaines informations, il n’aurait pas pu téléphoner à ses proches pendant plusieurs mois. Il purge également sa peine dans la prison de haute sécurité de Florence.

Abduwali Abdukhadir Muse, jeune pirate somalien impliqué dans le détournement d’un cargo américain en 2009, a passé environ un an dans l’Unité spéciale de séjour. D’après les documents relatifs à son procès, il était détenu dans « une petite cellule aux fenêtres peintes en noir ». En février 2011, il a été condamné à 34 ans de réclusion. Actuellement incarcéré dans le quartier soumis au régime général du Centre de détention métropolitain, il attend son transfert vers une prison fédérale

Plusieurs avocats ayant fourni une assistance juridique à des prisonniers de l’Unité de séjour spécial ont informé Amnesty International que les conditions de détention avaient affecté la santé mentale de leurs clients, qui se montraient agités ou dépressifs et incapables de se concentrer. Ils ont également souligné que les visites sans contact rendaient la communication avec leurs clients difficile, particulièrement lorsqu’ils devaient travailler sur des dossiers contenant de nombreuses pièces. Ces informations sont préoccupantes : en effet, ces conditions de détention pourraient compromettre la capacité des accusés à contribuer à leur propre défense et, partant, porter atteinte à leur droit à un procès équitable.

Dans sa lettre au ministre de la Justice, Amnesty International demandait que toutes les personnes détenues dans des prisons fédérales, y compris celles soupçonnées de présenter un risque pour la sécurité nationale, soient traitées avec humanité. L’organisation exhortait en particulier le gouvernement à faire en sorte que les détenus de l’Unité de séjour spécial aient un accès suffisant à l’exercice en plein air et aux visites de leurs proches, de meilleures conditions de vie à l’intérieur et à l’extérieur de leurs cellules, ainsi que la possibilité de voir leur avocat dans des conditions non préjudiciables à la préparation de leur défense.

L’organisation a également exhorté le gouvernement à permettre aux détenus soumis aux Mesures administratives spéciales, qu’ils aient été condamnés ou qu’ils soient dans l’attente de leur procès, de demander un réel examen des restrictions dont ils sont l’objet, en vue d’améliorer les conditions de la mise à l’isolement à long terme.

Ces dernières années, les autorités américaines ont utilisé la détention dans des conditions d’isolement extrême et l’isolement cellulaire dans divers contextes, notamment, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », à l’encontre de terroristes présumés incarcérés à Guantánamo Bay ou détenus par l’armée sur le territoire continental des États-Unis. Considérés comme « combattants ennemis », Ali Saleh Kahlah al Marri et Jose Padilla ont tous deux été maintenus à l’isolement pendant des années par la marine américaine, avant d’être inculpés et transférés vers des tribunaux civils pour être jugés. Si quelque 172 personnes sont toujours détenues à Guantánamo Bay, en violation du droit international, la plupart d’entre elles ne sont plus soumises à des conditions d’isolement extrême.

La lettre qu’Amnesty International a fait parvenir au ministre de la Justice des États-Unis en février 2011 est disponible (en anglais) à cette adresse : http://www.amnesty.org/en/library/info/AMR51/029/2011/en

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