ÉTATS-UNIS : Inégalité devant la mort - il est temps de mettre un terme aux exécutions

Index AI : AMR 51/057/2003

« La peine de mort est par essence un châtiment cruel et dégradant ; aux États-Unis, elle demeure en outre entachée de discrimination raciale », a déclaré Amnesty International aujourd’hui (jeudi 24 avril), alors qu’elle publie un rapport sur le rôle persistant que joue l’origine raciale dans les affaires de crimes passibles de la peine de mort dans ce pays.

« George W. Bush a promis que les États-Unis défendraient toujours fermement le principe de l’égalité devant la loi, a rappelé l’organisation de défense des droits humains. Si tel est le cas, le président et tous les autres responsables politiques doivent demander l’arrêt immédiat des exécutions, à la lumière d’études concordantes qui concluent que le système judiciaire américain accorde plus de valeur à la vie d’un Blanc qu’à celle d’un Noir. »

Aux États-Unis, on recense à peu près le même nombre de Blancs et de Noirs parmi les victimes de meurtres. Pourtant, sur plus de 840 personnes exécutées depuis la reprise des homicides judiciaires en 1977, 80 p. cent ont été mises à mort après avoir été reconnues coupables d’assassinats perpétrés contre des Blancs.

Dans la plupart des affaires de meurtre, auteurs et victimes sont de même origine raciale. Toutefois, quelque 200 Afro-Américains ont été mis à mort pour l’assassinat de victimes blanches - 15 fois plus que le nombre de Blancs exécutés pour avoir tué des Noirs et au moins deux fois plus que le nombre de Noirs exécutés pour le meurtre d’autres Noirs.

Les Afro-Américains représentent 12 p. cent de la population, mais plus de 40 p. cent des détenus se trouvant dans les couloirs de la mort et un tiers des prévenus exécutés. Les États-Unis se préparent à ôter la vie au 300e prisonnier afro-américain depuis 1977.

« Au moins un cinquième des Afro-Américains exécutés depuis 1977, et un quart des Noirs mis à mort pour avoir assassiné des Blancs, ont été jugés devant des jurys exclusivement composés de Blancs, a poursuivi Amnesty International. Quelle était la probabilité que cela se produise en l’absence de toute discrimination ? »

De ces affaires, il ressort que le ministère public recourt à une pratique bien établie, qui consiste à récuser les jurés membres de minorités raciales lors de la procédure de sélection. Pour le procès d’une personne passible de la peine de mort, les jurés potentiels ne peuvent être exclus qu’en vue de garantir la « neutralité raciale ». Néanmoins, cette protection fait uniquement barrage aux stratégies les plus ouvertement racistes du ministère public. Même si aucune récusation contestable n’est à déplorer, l’accusé peut être confronté à un jury formé à partir de groupes de sélection au sein desquels, déjà, les minorités étaient sous-représentées.

« Les jurys qui siègent aux procès de personnes passibles de la sentence capitale ne sont pas représentatifs de la société américaine, puisque les opposants à la peine de mort en sont écartés, a déclaré Amnesty International. Ils le sont d’autant moins si, pour quelque raison que ce soit, les communautés minoritaires sont sous-représentées dans les groupes de personnes parmi lesquelles les jurés sont sélectionnés. »

Des recherches récentes sur les comportements des jurés siégeant au procès d’une personne passible de la peine capitale ont montré que les préjugés raciaux influencent les délibérations du jury et que la mixité raciale du jury a son rôle à jouer dans le verdict rendu. Deux prisonniers noirs ont été exécutés le mois dernier en dépit d’allégations selon lesquelles les jurés blancs avaient fait pression sur le seul Afro-Américain présent dans chacun des jurys, afin qu’il modifie son vote et se prononce en faveur de la peine de mort.

« Depuis plus de huit ans, les États-Unis ont ratifié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, s’engageant par là même à lutter contre le racisme et ses répercussions, notamment au sein du système judiciaire, a fait observer Amnesty International. En ce qui concerne l’application de la peine de mort, force est de constater que les dirigeants américains ne marquent aucun empressement à s’engager en faveur des droits humains. L’administration Bush l’a illustré en autorisant la reprise des exécutions de prisonniers fédéraux en 2001 et leur prolongation cette année, en dépit de son incapacité à expliquer les disparités raciales qui caractérisent les condamnations à mort des contrevenants aux lois fédérales. »

L’arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1987 dans l’affaire McCleskey c. Kemp demeure un obstacle majeur : il empêche de contester la légalité d’une condamnation à mort en faisant valoir les préjugés racistes ayant prévalu dans cette condamnation. En 2001, par exemple, une cour fédérale a qualifié les disparités raciales qui distinguent les couloirs de la mort en Ohio d’« extrêmement troublantes », mais ne s’est pas sentie en mesure d’y remédier du fait de la jurisprudence établie par l’affaire McCleskey. Un expert des Nations unies a déclaré que l’arrêt McCleskey risquait fort d’être incompatible avec les obligations que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale impose aux États-Unis.

Le système américain d’application de la peine capitale se caractérise notamment par de nombreuses erreurs judiciaires, tant lors de la déclaration de culpabilité que lors de la condamnation. Ces erreurs sont mises à jour en appel. Publiée l’an dernier, une étude mémorable concluait que l’origine raciale, entre autres facteurs, contribue à ce taux d’erreur élevé parmi les affaires dans lesquelles l’accusé encourt la peine de mort.

« Comment croire que les tribunaux peuvent filtrer toutes les injustices, en particulier celles fondées sur le racisme conscient ou inconscient de ceux qui prennent la décision de condamner ou non un accusé à mort ? En outre, la politique dite " de la fermeté ", qui prône la peine capitale pour endiguer la criminalité, ne permet pas à la grâce présidentielle de jouer son rôle de soupape de sécurité. L’erreur est humaine et la seule réponse possible consiste à abolir ce châtiment irréversible, a ajouté Amnesty International avant de conclure :

« Les États-Unis se targuent d’être le champion des droits humains dans le monde, ce que dément leur recours persistant à l’homicide judiciaire. C’est un système vicié par la discrimination et l’erreur qui décrète quels condamnés doivent mourir. Cela ne fait que discréditer davantage les États-Unis et donner du poids aux accusations d’hypocrisie portées contre leurs dirigeants. »

Complément d’information

Le mois dernier, les sénateurs de l’État du Maryland ont rejeté un projet de loi qui visait à instaurer un moratoire sur les exécutions, au regard d’une étude récente qui met en lumière l’importance des préjugés racistes dans les condamnations à mort prononcées au Maryland - à savoir que celui qui tue un Blanc est plus susceptible d’être condamné à mort. Lorsque le gouverneur sortant de l’Illinois, George Ryan, a commué les peines capitales qui pesaient sur 167 prisonniers en janvier, il a invoqué l’incapacité dont a jusqu’ici fait preuve l’appareil judiciaire de cet État pour résoudre les problèmes liés à la peine de mort. Il a souligné que ces déficiences ne se limitaient pas au tristement célèbre bilan de l’Illinois en matière d’erreurs judiciaires, mais touchaient à l’arbitraire, l’origine raciale en étant l’une des composantes.

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