ÉTATS-UNIS : Les commissions militaires ne doivent pas reprendre leurs procédures

Index AI : AMR 51/113/2005
ÉFAI
Jeudi 21 juillet 2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Amnesty International est consternée par la récente décision d’une Cour fédérale d’appel, selon laquelle Salim Ahmed Hamdan, ressortissant yéménite détenu à Guantánamo, peut être jugé par une commission militaire. Elle déplore également l’annonce faite peu après par le secrétariat d’État à la Défense de la reprise immédiate des procédures. L’organisation demande aux autorités américaines d’abandonner ces procédures et d’abroger le décret qui a instauré ces commissions.

Amnesty International s’est déclarée vivement préoccupée par cette évolution. Tous les détenus doivent bénéficier des garanties d’une procédure régulière. Mener des procès devant les commissions militaires telles qu’elles sont actuellement établies serait un immense pas dans la mauvaise direction. Recourir à des commissions militaires viole les principes du droit et bafoue gravement les normes internationales et américaines d’équité des procès.

Le 15 juillet, la Cour fédérale d’appel du district de Columbia a statué que Salim Ahmed Hamdan pouvait être jugé par une commission militaire. Elle a ajouté que les protections de la Convention de Genève n’accordent pas de droits individuels susceptibles d’exécution à la faveur d’une action en justice directe devant les tribunaux américains. Cette décision casse un arrêt rendu par une Cour fédérale de district en novembre 2004. Le magistrat avait alors statué que la Troisième Convention de Genève conférait bel et bien un droit d’action individuel et que Salim Ahmed Hamdan ne pouvait être jugé par une commission militaire, à moins qu’un « tribunal compétent » ne refusât de lui attribuer le statut de prisonnier de guerre. Il avait ajouté que même si tel était le cas, les commissions militaires ne pouvaient poursuivre la procédure, dans la mesure où leurs règles de fonctionnement permettaient d’exclure l’accusé des audiences présentant des témoignages contre lui et bafouaient un
droit fondamental, le droit à une procédure régulière.

Selon le dernier arrêt rendu ce 15 juillet, les commissions militaires peuvent faire office de « tribunal compétent » afin d’attribuer ou non le statut de prisonnier de guerre aux détenus. Toutefois, ces commissions ont été instituées par le président George Bush, qui a affirmé sans relâche que ces hommes ne pouvaient prétendre à ce statut.

Devant les commissions militaires, la seule règle s’appliquant à la recevabilité des preuves autorise à invoquer tout élément ayant « valeur probante pour la personne concernée ». Cela inclut notamment les preuves indirectes, les déclarations extorquées sous la torture et celles émanant d’autres détenus de Guantánamo Bay ou d’ailleurs. On ne dispose d’aucun enregistrement des interrogatoires menés dans ces centres de détention, il n’est pas possible de procéder à un contre-interrogatoire des témoins ni de vérifier la précision des traductions. Pourtant, ces déclarations sont retenues à titre de preuve par les commissions militaires.

L’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle les États-Unis sont partie, interdit d’invoquer toute déclaration obtenue par la torture comme un élément de preuve dans une procédure, notamment judiciaire. Quant au droit américain, il proscrit de retenir à titre de preuve dans une procédure pénale les « aveux » obtenus sous la contrainte.

Selon Amnesty International, toutes les formes de torture et de mauvais traitements doivent être condamnées et éliminées. Les preuves arrachées sous la torture ou les mauvais traitements, notamment les contraintes physiques et morales, ne sauraient être invoquées dans le cadre d’une procédure judiciaire. Aussi, poursuivre les procès devant les commissions militaires retenant à titre de preuve des « aveux » arrachés sous la torture reviendrait à cautionner la torture et les mauvais traitements.

Salim Ahmed Hamdan a raconté à son avocat militaire que lors de sa détention aux mains des Américains en Afghanistan, il a été « battu, attaché pendant environ trois jours dans la même position, dans le froid, traîné » et il a « reçu des coups de pied et de poing ». À Guantánamo, il a été placé à l’isolement pendant près d’une année au Camp Echo, puis transféré sur décision judiciaire. Auparavant, le gouvernement des États-Unis avait refusé son transfert, au motif que cela « risquerait de manière injustifiée de détruire l’environnement que les militaires s’efforcent d’instaurer à Guantánamo, en vue de favoriser le recueil de renseignements ». Salim Ahmed Hamdan a affirmé qu’il avait envisagé de faire une fausse déclaration afin d’améliorer sa situation.

Le détenu David Hicks, citoyen australien, est lui aussi inculpé au titre du décret présidentiel. Selon lui, au cours de sa détention aux mains des Américains, il a été battu à maintes reprises, alors qu’il était immobilisé et avait les yeux bandés, il a été contraint de prendre des médicaments inconnus et a été privé de sommeil, ce qui s’inscrivait dans une « politique ». En outre, il n’a pas été autorisé à quitter sa cellule de Camp Echo pour faire de l’exercice physique en plein air, de juillet 2003 à mars 2004.

Par ailleurs, les commissions militaires manquent d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et restreignent grandement le droit de l’accusé à choisir son défenseur et le droit à une défense efficace. Elles n’accordent pas le droit d’interjeter appel devant un tribunal indépendant, même lorsque la peine capitale est prononcée.

Le 16 juillet 2005, le secrétariat américain à la Défense a annoncé que les procès du détenu yéménite Salim Ahmed Hamdan et du prisonnier australien David Hicks reprendraient dès que possible. Il a ajouté qu’il allait poursuivre la procédure engagée contre le Yéménite Ali Hamza Sulayman al Bahlul et le Soudanais Ibrahim Ahmed Mahmoud al Qosi. Les membres de la commission chargée de ces affaires devraient être nommés cette semaine.

À ce jour, seuls quatre détenus ont été inculpés en vertu du décret militaire du 13 novembre 2001. Onze autres avaient été désignés pour être jugés par les commissions militaires instituées par ce décret présidentiel, mais trois ont depuis été libérés sans inculpation. Une déléguée d’Amnesty International a assisté aux audiences préliminaires qui se déroulaient devant les commissions militaires de Guantánamo Bay, au cours des semaines du 23 août et du 1er novembre 2004. Il est désormais largement admis que la procédure, piètrement structurée, était entachée de graves irrégularités. Pourtant, il semble qu’aucune modification n’ait été introduite en vue de l’améliorer, au mépris des recommandations émanant d’organisations de défense des droits humains, d’associations juridiques et du bureau des commissions militaires. Il n’en demeure pas moins que des réformes partielles de la procédure en vigueur dans les commissions militaires ne pourront remédier à ses carences essentielles.

Amnesty International a invité le gouvernement américain à veiller au bien-être physique et psychologique de tous les prisonniers et à faire en sorte que justice soit rendue. Enfin, l’organisation a exhorté les autorités américaines à inculper les détenus et à les traduire en justice dans le respect des normes d’équité, ou à les remettre en liberté.

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