ÉTATS-UNIS - Messages d’Abdullah Webster et de Camilo Mejia après leur remise en liberté

Index AI : AMR 51/076/2005

Abdullah Webster

Avant que ma femme ne reparte au Royaume-Uni, je voudrais profiter de l’occasion qui m’est donnée de remercier toutes les personnes d’Amnesty International qui m’ont apporté leurs prières et leur soutien. Votre soutien m’a véritablement beaucoup aidé pendant tout le temps que j’ai passé à Mannheim et Fort Lewis. J’ai reçu de très nombreuses lettres du monde entier, même si plus d’une trentaine ont été renvoyées à leurs expéditeurs ou ne m’ont pas été remises. On m’a dit aussi que plusieurs lettres étaient revenues à leurs expéditeurs sans que je le sache. À ceux dont les lettres ont été retournées sans que j’en ai été informé, j’offre mes remerciements et je suis très touché que vous ayez pris le temps de me prodiguer des encouragements tout au long de ces onze derniers mois.

Depuis que je suis sorti, j’ai constaté qu’il y avait eu plusieurs interprétations de mon refus d’aller en Irak. En fait, ce que j’avais dit à mes supérieurs, c’est qu’on nous apprend à entraîner des soldats à se préparer mentalement, physiquement et spirituellement à la guerre. Peu à peu, il est apparu que la raison invoquée pour cette guerre était fausse - il n’y avait pas d’armes de destruction massive. C’était une guerre injuste, et je n’étais pas préparé mentalement ni spirituellement à prendre part à une guerre injuste. Ma foi m’interdit de prendre part à une guerre injuste qui entraînera la mort d’innocents, non musulmans ou musulmans. Je crois sincèrement que j’aurais eu des comptes à rendre à Allah (Dieu) si j’étais parti en sachant que c’était une guerre injuste ; de plus, je n’aurais pas été capable de fonctionner avec la même capacité que celle acquise au cours des dix-neuf années de ma carrière en tant que soldat. Ce ne fut donc pas une décision facile, ni prise à la légère, de ne pas partir en Irak.

Quand j’étais à Fort Lewis et Mannheim, j’ai rencontré plusieurs soldats ayant servi en Irak. J’ai en tête quelques histoires qu’ils m’ont racontées, qui apportent des arguments solides à mon sentiment d’avoir pris la bonne décision. Un soldat m’a raconté qu’il se trouvait dans un convoi lorsqu’un groupe d’habitants s’est mis en travers de leur passage. Il a arrêté son véhicule, mais son comandant lui a ordonné de continuer. Le groupe s’est peu à peu disloqué, il ne restait qu’un enfant dans le passage. Le soldat m’a raconté comment, la nuit, il revivait la scène de son véhicule heurtant le petit enfant et des autres véhicules passant sur le corps de l’enfant. Il disait que si c’était à refaire, il ne partirait pas en Irak. Une autre histoire m’a été racontée par un soldat qui m’a dit regretter n’avoir rien fait et n’être pas intervenu lorsque des membres de son escouade ont violé la femme et la fille d’un homme qui refusait de leur donner des renseignements pendant une fouille. Comment pourrais-je faire face à mon Dieu ou à ma famille si j’avais assisté à des évènements tels que ceux-ci ?

Dans mon expérience en tant que prisonnier, il y a eu des hauts et des bas. Mon moral était au plus bas lorsque je ne pouvais pas contacter ma famille, mais en général Dieu m’a donné la force de tirer des enseignements de cette expérience. J’ai aussi pu aider d’autres personnes. Les bons moments ont été ceux où j’ai rencontré des gens souhaitant changer de vie. Beaucoup de ceux qui étaient avec moi trouvaient injuste que je sois là à cause de ma foi. Plusieurs des gars là-bas ont observé comment je vivais cette expérience et voyant la façon dont j’étais traité et comment je réagissais, se sont dit qu’ils pourraient s’en inspirer pour eux-mêmes. Plusieurs soldats - prisonniers ou chargés de surveiller les prisonniers - avaient besoin de conseils ou d’être écoutés et ils sont venus me voir. Jusqu’au jour de ma libération, ils m’ont demandé ce qu’ils allaient faire après mon départ. Je leur ai dit qu’ils devaient se soutenir mutuellement.

J’ai également été surpris de voir que mon exemple avait inspiré mon épouse pendant que j’étais en prison. Je me disais qu’elle avait en elle assez de force pour garder la famille soudée et qu’elle agissait auprès d’organisations comme Amnesty International, pour faire savoir partout ce qui m’était arrivé, tout en s’occupant de notre fille âgée de deux ans. En fait, elle m’a dit que parce que je parlais de chaque journée comme d’un jour en moins en prison, elle avait commencé à voir les choses à ma manière. C’est véritablement une bénédiction que d’être à nouveau tous réunis et de voir combien mon bébé a grandi.

S’il y avait une chose positive qui devait ressortir de cette expérience, j’aimerais que l’armée revoit sa politique vis-à-vis des objecteurs de conscience. Le règlement de l’armée, en ce qui concerne les objecteurs de conscience, ne tient pas compte du fait qu’une guerre puisse être illégale ou injuste, et que cela peut empêcher des soldats de prendre part à une guerre en particulier. Les règles sont trop rigides et trop tranchées. Tous les soldats ne s’opposent pas à toutes les guerres - mais dans le cas de l’Irak, la véritable raison de partir en guerre semble plutôt obscure. Tous les soldats ne partagent pas les mêmes convictions religieuses - il y a maintenant beaucoup de soldats d’origines religieuses différentes et les règles et directives actuelles concernant le traitement des objecteurs de conscience ne prennent pas ce fait en considération. Nous comprenons et sommes capables de dire quand une guerre est mauvaise ; il arrive qu’on se trouve dans une situation comme celle-ci où les Nations unies ont reconnu une guerre illégale qui heurte nos convictions religieuses. Il faudrait avoir la possibilité de démissionner quand aucune autre option n’est possible. Du fait de la situation actuelle, des soldats se retrouvent sans autre possibilité que de partir sans autorisation parce qu’ils savent que la sanction sera moins sévère que s’ils remontent toute la hiérarchie pour faire connaître leur objection à une guerre injuste. Cela ne devrait pas se passer ainsi et il faudrait trouver un moyen de soutenir les soldats fidèles à leurs convictions.

Nous voulons tous protéger nos familles et notre pays et j’espère, après ce que j’ai vécu, que les soldats dans la même situation que moi trouveront le soutien dont ils ont besoin pour pouvoir continuer à remplir leur devoir.

Amicalement

Abdullah W B Webster

Camilo Mejia

Je voudrais remercier toutes les personnes et toutes les organisations qui nous ont soutenu, ma famille et moi-même, dans l’un des moments les plus pénibles de notre vie. Je suis libre à présent, mais grâce à vous tous, je suis resté un homme libre même pendant mon incarcération. Je n’ai pas pu lire toutes les lettres qui m’ont été envoyées, d’une part parce que le règlement de la prison ne le permettait pas, d’autre part parce que j’ai reçu des milliers et des milliers de lettres du monde entier. Je vais les lire toutes et je répondrai à autant de lettres que je pourrai. Du fond du cœur et au nom de toute ma famille, de mes avocats, en mon nom propre, je dis merci à tous.

Camilo Mejia

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