Dans ce rapport intitulé Obstacles to Autonomy : Post-Roe Removal of Abortion Information Online (également disponible en version courte et en français), Amnesty International révèle qu’en supprimant des contenus liés à l’avortement sans offrir suffisamment d’informations et de transparence quant aux décisions de suppression de contenu, les entreprises de réseaux sociaux bafouent les normes internationales relatives aux droits humains.
La synthèse démontre que, depuis la décision de 2022 de la Cour suprême des États-Unis annulant l’arrêt Roe v. Wade, des plateformes de réseaux sociaux de premier ordre, dont Facebook, Instagram et TikTok, ont supprimé des contenus liés à l’avortement, notamment sur les moyens d’obtenir des soins.
« En supprimant des informations relatives à l’avortement, les entreprises technologiques peuvent renforcer les obstacles à l’accès à l’information et provoquer une discrimination et des atteintes aux droits humains contre les personnes pouvant être enceintes », a déclaré Jane Eklund, chercheuse en technologie et droits reproductifs [1] à Amnesty International États-Unis. « L’accès à des informations exactes et impartiales sur l’avortement est un élément essentiel des soins de santé reproductive, et les entreprises technologiques doivent faire mieux pour s’assurer que leurs utilisateurs et utilisatrices puissent obtenir ces informations. »
Certains contenus offrant des informations sur les avortements médicamenteux (avortements non chirurgicaux), qui sont sûrs et représentent plus de la moitié de tous les avortements aux États-Unis ont été supprimés, temporairement masqués ou marqués comme « contenu sensible »
La synthèse souligne que la suppression de contenus en ligne liés à l’avortement nuit particulièrement aux jeunes, qui s’appuient davantage sur les réseaux sociaux pour s’informer sur l’actualité et rechercher des informations. En outre, après l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade, plus de 20 États ont imposé des restrictions à l’accès à l’avortement, et certains ont présenté des projets de loi visant spécifiquement à restreindre l’accès aux informations en ligne sur l’avortement. Au moment de la publication du rapport, aucun de ces projets de loi n’avait été adopté.
Les recherches d’Amnesty International montrent qu’après la décision de 2022 de la Cour suprême, certains contenus offrant des informations sur les avortements médicamenteux (avortements non chirurgicaux), qui sont sûrs et représentent plus de la moitié de tous les avortements aux États-Unis [2], ont été supprimés, temporairement masqués ou marqués comme « contenu sensible » pouvant « contenir des éléments choquants ou violents » sur les principales plateformes de réseaux sociaux. D’autres publications ont été supprimées parce que, d’après les plateformes, les informations partagées étaient contraires aux principes communautaires, ou bien la publication avait pour objectif l’achat ou la vente de médicaments administrés dans le cadre d’un avortement ; ce qui n’était pas le cas.
Par exemple, le 27 avril 2023, un message publié sur Instagram par Ipas, une organisation qui a pour objectif d’améliorer l’accès à un avortement sûr et à la contraception, partageant le protocole recommandé par l’Organisation mondiale de la santé pour la pratique d’avortements médicamenteux a été supprimé. Instagram a cité ses politiques sur la « vente de biens illégaux ou réglementés » comme motif de la suppression, alors même que la publication ne faisait aucune référence à la vente de médicaments.
Comme le montre la synthèse, en 2022, alors que de nombreux États s’empressaient d’interdire l’avortement, certains messages de Planned Parenthood [3] fournissant des informations sur les endroits où l’avortement était légal ou restreint ont été floutés et marqués comme « contenu sensible ».
« Toute personne a le droit d’obtenir des informations impartiales et médicalement exactes sur l’avortement »
Des organisations à but non lucratif telles que Plan C [4] et des prestataires offrant des services d’avortement médicamenteux après une téléconsultation, comme Hey Jane [5] , ont également vu certains de leurs contenus similaires supprimés et, dans certains cas, leurs comptes sur les plateformes de réseaux sociaux ont été temporairement supprimés, avec peu ou pas d’explication. Plus récemment, en 2024, le Lilith Fund [6] , un fonds de soutien à l’avortement dont le siège se trouve au Texas et qui offre un soutien aux personnes texanes se rendant dans d’autres États pour obtenir des soins d’avortement, a vu une de ses publications, qui contenait un lien vers des ressources sur l’avortement, bloquée par Facebook. Enfin, Mayday Health [7], une organisation à but non lucratif qui offre une sensibilisation sur l’avortement médicamenteux et la manière d’en bénéficier, a vu son compte Instagram temporairement suspendu sans aucun avertissement.
« Toute personne a le droit d’obtenir des informations impartiales et médicalement exactes sur l’avortement, et les entreprises technologiques sont tenues de respecter les droits humains et ne doivent pas limiter l’accès des utilisateurs et utilisatrices à ces contenus publiés sur leurs plateformes », a déclaré Jane Eklund.
Les principes communautaires et politiques de modération des contenus que TikTok et Meta (Facebook et Instagram) ont publiés ne fournissent pas suffisamment d’informations sur la manière dont les contenus liés à l’avortement sont modérés. D’après ces principes, TikTok autorise « l’avortement discuté dans un contexte médical ou scientifique lié à des procédures, des interventions chirurgicales ou des examens » (sans référence aux autres types de contenus liés à l’avortement), et Meta n’évoque pas explicitement l’avortement dans ses Standards de la communauté.
Amnesty International a demandé des informations complémentaires à Meta et TikTok.
En réponse, Meta a déclaré reconnaitre le droit à la santé et permettre l’utilisation de contenus non commerciaux destinés à sensibiliser les utilisateurs et utilisatrices à l’avortement médicamenteux. L’entreprise autorise également les contenus proposant des conseils sur l’accès légal aux produits pharmaceutiques sur ses plateformes, mais interdit « les tentatives d’achat, de vente, d’échange, de don ou de demande de médicaments ».
TikTok a déclaré que ses politiques n’interdisaient et ne réprimaient pas les sujets tels que la santé reproductive et les contenus sur l’avortement, y compris l’accès aux informations à ces sujets, mais qu’elles « interdisaient les contenus comprenant de fausses informations médicales ».
« Les entreprises doivent prendre des mesures transparentes pour veiller à ce que leurs utilisateurs et utilisatrices soient en mesure d’obtenir des informations relatives à l’avortement »
Les questions et les réponses complètes des entreprises sont incluses dans la synthèse.
« Les réponses des entreprises ne correspondent pas à ce qui semble se passer sur leurs plateformes », a déclaré Jane Eklund. « Les réponses vagues ne sont pas suffisantes. Les entreprises doivent prendre des mesures transparentes pour veiller à ce que leurs utilisateurs et utilisatrices soient en mesure d’obtenir des informations relatives à l’avortement sur leurs plateformes et à ce que les membres de la société civile reçoivent des explications adaptées lorsque des contenus sont supprimés. »
Meta et TikTok doivent faire preuve de plus de transparence quant à la façon dont leurs principes communautaires s’appliquent aux contenus sur l’avortement. Elles doivent également améliorer la transparence en ce qui concerne l’utilisation des systèmes de recommandation et des algorithmes de modération de contenu. Elles doivent en outre adopter une démarche volontariste en vue d’identifier, de prévenir et de traiter tout préjudice lié à la modération des contenus et à l’éventuelle suppression de contenus liés à l’avortement.