Communiqué de presse

Éthiopie : craintes concernant l’utilisation de la loi anti-terrorisme pour supprimer la liberté d’expression

Amnesty International s’inquiète de l’arrestation de deux journalistes, Woubshet Taye et Reyot Alemu, et de deux membres d’un parti de l’opposition, Zerihun Gebre-Egzabher et Dejene Tefera ; ces quatre personnes ont été placées en détention car elles sont soupçonnées d’infractions terroristes. Amnesty International craint que la Loi éthiopienne relative à la lutte contre le terrorisme soit utilisée pour limiter la liberté d’expression légitime dans ce pays.

Woubshet Taye, rédacteur en chef du journal hebdomadaire Awramba Times, a été arrêté le 19 juin à Addis-Abeba ; Reyot Alemu, qui contribue régulièrement au journal hebdomadaire Feteh, a été arrêtée deux jours après, le 21 juin. Après leur interpellation, leurs domiciles ont été fouillés par la police ; des documents et du matériel, notamment des exemplaires des journaux pour lesquels ils travaillent respectivement, auraient été confisqués. Quelques jours avant d’être appréhendée, Reyot Alemu avait écrit un article critique sur la politique du gouvernement et le Premier ministre, Meles Zenawi. Deux membres du Parti national démocratique éthiopien, formation politique d’opposition peu connue, ont également été interpellés : Zerihun Gebre-Egzabher, président de ce parti légalement enregistré, et Dejene Tefera, membre, ont été placés en détention la même semaine.

Ces quatre personnes sont détenues car elles sont soupçonnées d’infractions terroristes mais aucune n’a pour le moment été inculpée. La législation anti-terroriste permet le placement en détention provisoire pour les besoins d’une enquête policière pour des périodes allant de 28 jours à quatre mois chacune. Certaines sources ont informé Amnesty International que Woubshet Taye, Reyot Alemu, Zerihun Gebre-Egzabher et Dejene Tefera n’ont pas été autorisés à contacter leurs avocats ou leurs familles depuis leur arrestation.

Les autorités éthiopiennes affirment que ces interpellations ne sont pas liées à la liberté d’expression mais au fait qu’elles auraient découvert que ces quatre personnes sont impliquées dans des actes terroristes. Un représentant du gouvernement a déclaré à Amnesty International que ces dernières seront jugées devant un tribunal éthiopien où des preuves concrètes seront présentées par le gouvernement.

Amnesty International craint que le prétexte de lutte contre le terrorisme serve à réprimer toute dissidence, en particulier dans les groupes qui critiquent d’ordinaire le gouvernement : les partis politiques d’opposition et la presse privée. Au cours de cette année, des centaines d’Oromos ont été arrêtés car ils sont accusés d’appartenir à un groupe terroriste, le Front de libération oromo, ou de le soutenir. Bon nombre des personnes interpellées étaient membres de partis politiques d’opposition légalement enregistrés.

Aux termes de la Loi éthiopienne de 2009 relative à la lutte contre le terrorisme, la définition des activités terroristes est générale et vague, ce qui fait réellement craindre que la loi soit utilisée pour criminaliser l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Les dispositions de ce texte semblent aller au-delà des mesures adéquates pour lutter contre le terrorisme et de ce qui peut être justifié comme nécessaire, les rendant incompatibles avec les obligations internationales et régionales de l’Éthiopie en matière de droits humains. La définition d’« actes terroristes » n’est pas restreinte aux menaces de violence ou à la violence à l’encontre de civils, ou aux actes commis dans un but sous-jacent, qu’il soit politique ou idéologique. Amnesty International craint que les dispositions vaguement formulées de cette loi puissent être utilisées pour inculper Woubshet Taye, Reyot Alemu, Zerihun Gebre-Egzabher et Dejene Tefera, ce qui mettrait fin aux activités légitimes et pacifiques de ces personnes en tant que journalistes ou membres de l’opposition politique.

De plus, l’organisation s’inquiète du fait que ces quatre personnes risquent d’être victimes d’actes de torture ou d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Woubshet Taye, Reyot Alemu, Zerihun Gebre-Egzabher et Dejene Tefera sont détenus à Maikelawi, le Département de médecine légale et d’enquêtes criminelles de la police fédérale, à Addis-Abeba, qui serait sous le contrôle du Service national de la sûreté et du renseignement. Maikelawi est tristement célèbre pour l’usage fréquent de la torture qui y est fait sur les détenus en attente de leur procès. Selon des informations reçues par Amnesty International, en 2009, 32 membres supposés du Mouvement Ginbot 7 pour la justice, la liberté et la démocratie, un parti politique interdit, ont été torturés pendant leur détention préventive à Maikelawi. Les « aveux » de ces détenus, extorqués sous la torture, ont ensuite été utilisés contre eux au cours des procédures judiciaires. Ces affaires, et nombre d’autres, suggèrent que l’utilisation de la torture à Maikelawi est systématique. Amnesty International craint également que la détention au secret de Woubshet Taye, Reyot Alemu, Zerihun Gebre-Egzabher et Dejene Tefera, qui ne peuvent pas contacter leurs avocats ou leurs familles, augmente le risque pour eux d’être victimes de torture et d’autres mauvais traitements.

Amnesty International réclame instamment que ces quatre personnes soient pleinement autorisées à contacter sans délai leurs représentants légaux et leurs proches.

L’organisation exhorte également les autorités éthiopiennes à ne pas utiliser la Loi relative à la lutte contre le terrorisme ou d’autres lois pour supprimer ou punir l’exercice légitime de la liberté d’expression dans le pays.

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