Éthiopie : de récentes condamnations pour terrorisme constituent un « affront » à la liberté d’expression

Les autorités éthiopiennes doivent immédiatement libérer quatre personnes ayant critiqué le gouvernement et une ancienne sympathisante de l’opposition, déclarés coupables de terrorisme jeudi 19 janvier, a déclaré Amnesty International le jour-même.

Reyot Alemu et Woubshet Taye, journalistes, Zerihun Gebre-Egziabher, dirigeant d’un parti d’opposition, et Hirut Kifle, sympathisante de l’opposition, ont été reconnus coupables d’infractions en relation avec le terrorisme et de blanchiment d’argent. Condamné lui aussi, Elias Kifle, journaliste désormais installé aux États-Unis, a été jugé par contumace.

« C’est un affront à la liberté d’expression. Ces condamnations sont un nouveau signe que les personnes ayant des opinions dissidentes, représentant des partis politiques différents ou tentant de fournir une analyse indépendante de la vie politique ne sont plus tolérées en Éthiopie », a déclaré Claire Beston, spécialiste de l’Éthiopie à Amnesty International.

« Il n’existe aucun élément prouvant que ces trois hommes et ces deux femmes soient coupables d’une quelconque infraction pénale. Nous estimons que ces cinq individus sont poursuivis en raison d’activités légitimes et pacifiques, et sont à ce titre des prisonniers d’opinion. Ils doivent être libérés immédiatement », a-t-elle ajouté.

Ils ont été déclarés coupables de trois infractions : « planification, préparation, complot, incitation et tentative en vue de commettre un acte terroriste », « participation à une organisation terroriste » et « blanchiment d’argent ».

Les journalistes Woubshet Taye, Reyot Alemu et Elias Kifle ont tous écrit des articles réprouvant la politique et le comportement du gouvernement, tandis que Zerihun Gebre-Egziabher, président du Parti démocratique national éthiopien, a rédigé des déclarations critiques à l’égard du gouvernement au nom de son parti.

Peu avant son arrestation, en juin 2011, ce dirigeant de l’opposition avait également demandé la permission d’organiser un rassemblement politique le 28 mai dans le centre d’Addis-Abeba.

Accusée d’implication présumée au sein d’un groupe armé alors qu’elle soutenait la Coalition pour l’unité et la démocratie, un mouvement d’opposition, Hirut Kifle a été emprisonnée en 2007. Elle a finalement été libérée à la faveur d’une grâce présidentielle.

Une grande partie des éléments de preuve produits par l’accusation lors du procès relevaient de l’exercice par les accusés de leur droit à la liberté d’expression et d’association. Ils incluaient de nombreux articles écrits par les accusés, et même des articles que d’autres personnes leur avaient envoyés.

Un nombre considérable des éléments à charge étaient en lien avec le fait qu’ils aient rendu compte de l’apparition du slogan Beka ! [« Assez ! »] dans les environs d’Addis-Abeba début 2011, et avec leur rôle présumé dans son émergence. Ce slogan était un appel en faveur de l’organisation de manifestations pacifiques contre le gouvernement, censées se dérouler le 28 mai.

« Le choix des éléments de preuve produits par l’accusation montre que la libre expression a été érigée en infraction dans le cadre de ce procès, et que critiquer le gouvernement est considéré comme un crime », a poursuivi Claire Beston.

Le procès lui-même et la période le précédant ont par ailleurs été marqués par de nombreux manquements aux normes d’équité en la matière. Woubshet Taye et Zerihun Gebre-Egziabher se sont tous deux plaints devant le tribunal d’avoir été roués de coups alors qu’ils étaient incarcérés au centre de détention de Maikelawi à Addis-Abeba, tristement célèbre pour l’usage fréquent de la torture qui y est fait sur les détenus en attente de leur procès. Aucune enquête n’a été menée sur ces allégations.

Woubshet Taye et Reyot Alemu ont tous deux été forcés à révéler les mots de passe permettant d’accéder à leurs messageries électroniques respectives durant leur interrogatoire à Maikelawi. Des courriels tirés de leur messagerie ont été présentés comme éléments à charge devant le tribunal. Woubshet Taye s’est par ailleurs plaint du fait que des messages issus de son compte avaient été modifiés et que certains avaient été mal interprétés.

Reyot Alemu, Woubshet Taye et Zerihun Gebre-Egziabher n’ont pas été autorisés à contacter leurs proches pendant leur premier mois à Maikelawi, et ont été placés à l’isolement au début de leur incarcération. Hirut Kifle n’a pas pu s’entretenir avec sa famille les trois premiers mois de sa détention.

En octobre, Woubshet Taye et Zerihun Gebre-Egziabher ont appris que le régime des visites avait changé en ce qui les concernait. Ils ont désormais seulement droit à dix minutes par jour.

Depuis mars 2011, au moins 107 membres de partis d’opposition et journalistes ont été arrêtés et inculpés de diverses infractions en vertu de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme et du Code pénal. Le mois dernier, deux journalistes suédois ont été déclarés coupables d’infractions liées au terrorisme et condamnés à une peine de 11 ans d’emprisonnement.

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