Le meurtre d’Hachalu Hundesa, chanteur oromo populaire et engagé, a déclenché des manifestations, dont certaines ont dégénéré en violences intercommunautaires qui, s’ajoutant à la répression menée par la police, ont fait au moins 177 morts et des centaines de blessés.
À Addis-Abeba et dans la région Oromia, la police a arrêté au moins 5 000 personnes, la plupart détenues au secret dans des lieux inconnus. Citons notamment des figures de l’opposition politique comme Jawar Mohammed, du Congrès fédéraliste oromo (CFO), les dirigeants du Front de libération oromo (FLO), Eskinder Nega, du parti Balderas pour la vraie démocratie, et des journalistes.
« Les autorités éthiopiennes causent une terrible angoisse aux familles des personnes arrêtées en taisant le sort qui leur a été réservé. Elles doivent sans délai révéler où est enfermé chaque détenu·e et les inculper d’une infraction reconnue par la loi ou les libérer sur-le-champ », a déclaré Deprose Muchena, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.
Les familles craignent que leurs proches ne soient détenus dans des endroits surpeuplés et des conditions sanitaires déplorables, dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
Où se trouvent les membres du Front de libération oromo placés en détention ?
Les avocats ne sont pas en mesure de déterminer où se trouvent de hauts responsables du Front de libération oromo (FLO), notamment Michael Boran, Shigut Geleta, Lemi Benya, Kenessa Ayana et le colonel Gemechu Ayana, interpellés à diverses dates depuis la mort d’Hachalu Hundesa.
Ils ont déclaré à Amnesty International que la Commission de police d’Addis-Abeba, la Commission de police fédérale, la Commission de police d’Oromia et les autorités de la Zone spéciale d’Oromia ont toutes nié détenir au sein de leurs services des responsables du FLO.
On ignore toujours où se trouve Abdi Regassa, arrêté en février, et ce qu’il est advenu de ce leader du FLO. Selon son avocat, la police ne cesse de le déplacer d’un lieu de détention à l’autre, afin que ni sa famille ni ses avocats ne puissent le localiser.
Jawar Mohammed
Fondateur de l’Oromia Media Network (OMN) et président du Congrès fédéraliste oromo (CFO), Jawar Mohammed a été arrêté le 30 juin, tout comme son vice-président Bekele Gerba. Ils ont comparu devant le tribunal pour la deuxième fois le 16 juillet et ont été placés en détention provisoire pendant deux semaines de plus, tandis que les investigations se poursuivent. Bekele Gerba a été interpellé avec son fils, sa fille et un neveu, que le tribunal a ordonné de libérer.
Jawar Mohammed et Bekele Gerba sont détenus pour des soupçons de « mauvais traitement infligé à un cadavre » (celui de feu Hachalu Hundesa, lors d’une querelle au sujet de son lieu d’inhumation), « tentative de meurtre sur des agents de l’OPDO » (Organisation démocratique du peuple oromo, aujourd’hui le Parti de la prospérité), « instigation de violences » et « meurtre d’un agent de police ».
« La détention provisoire n’est autorisée que lorsque la police a des preuves solides venant étayer les accusations portées contre les suspects. Nul ne devrait être privé de son droit à la liberté pendant que la police va à la pêche aux informations pour justifier des arrestations », a déclaré Deprose Muchena.
Les deux hommes ont tout d’abord été détenus dans les locaux de la Commission de police d’Addis-Abeba, où ils ont été vus pour la dernière fois par leurs avocats le 10 juillet. Puis, ils ont été retrouvés dans une cellule au sous-sol d’un lieu de détention non officiel près du siège de la police fédérale à Mexico Square, le 14 juillet. D’autres membres du Congrès fédéraliste oromo (CFO) placés en détention ont été transférés dans une école à Addis-Abeba.
Des leaders du CFO, comme Dejene Tafa, n’ont pas encore comparu devant le tribunal ni été inculpés d’une infraction. Sa femme enceinte passe ses journées devant le tribunal, au cas où il comparaîtrait afin qu’elle puisse le voir ne serait-ce qu’un instant.
« Ce matin [15 juillet], les policiers m’ont laissé le voir de loin, après que je les ai suppliés en invoquant ma grossesse. La police m’interdit de lui donner de la nourriture, apparemment par peur du COVID-19. Je continue de patienter devant la cour de justice, au cas où la police l’amènerait ici », a-t-elle expliqué.
Eskinder Nega
Eskinder Nega, journaliste de renom qui est désormais président du parti Balderas pour la vraie démocratie, et son vice-président Sintayehu Chekol, ont été arrêtés le 30 juin à Addis-Abeba. Eskinder Nega a comparu devant le tribunal le 1er juillet, accusé d’avoir organisé la jeunesse d’Addis-Abeba aux fins de violence, et de nouveau le 16 juillet, lorsque la police a sollicité plus de temps pour mener à bien les investigations.
« Les autorités éthiopiennes doivent résister à l’envie de revenir sur le chemin si familier de la répression »
Eskinder Nega a déclaré devant le tribunal qu’il avait été frappé pendant son arrestation et sa détention. La tenue d’une enquête a été ordonnée sur ces allégations mais, selon son avocat, la police n’en a rien fait. Le tribunal a de nouveau ordonné cette enquête le 19 juillet.
Deux journalistes, dont le rédacteur-en-chef de l’Oromia Media Network (OMN), Melesse Diribsa, ainsi qu’un technicien travaillant pour cet organe de presse, Misha Chiri, et un journaliste kényan, Yassin Juma, ont été interpellés le 2 juillet et présentés devant le tribunal le 4. Ils doivent de nouveau comparaître le 18 juillet, alors que leurs proches et des représentants consulaires n’ont pas été autorisés à leur rendre visite.
Le 17 juillet, la police a arrêté Guyo Wario, journaliste de l’OMN qui a interviewé Hachalu Hundesa environ une semaine avant son assassinat, et Nasir Adem, éditeur photo et vidéo de ce même organe de presse.
« Les autorités éthiopiennes doivent résister à l’envie de revenir sur le chemin si familier de la répression. Elles doivent respecter le droit de manifester et d’exprimer des opinions politiques dissidentes, a déclaré Deprose Muchena.
« Elles doivent aussi respecter le droit à une procédure régulière, s’assurer que tous les détenu·e·s puissent communiquer avec leur famille et leurs avocats, et garantir des procès équitables respectueux du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière. »
Complément d’information
Les violences ethno-religieuses déclenchées par le meurtre d’Halachu Hundesa et la répression meurtrière lors des manifestations ont fait au moins 177 morts et des centaines de blessés, selon la Commission de police fédérale éthiopienne. Des biens matériels ont également été dégradés dans de nombreuses régions du pays, notamment à Shashemene, Agarfa, Arusi Negele, Dera et Ziwai.