Communiqué de presse

Éthiopie. La condamnation de plusieurs opposants au régime marque un « jour sombre » pour la liberté d’expression

De nouveau, des opposants au régime ont été déclarés coupables de terrorisme et de trahison, sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. Amnesty International estime que cette décision marque un « jour sombre » pour la liberté d’expression.

Le journaliste Eskinder Nega, figure de la dissidence et membre dirigeant de l’opposition politique, Andualem Arage et Nathnael Mekonnen, ainsi que cinq autres hommes, ont été reconnus coupables d’« actes de terrorisme », d’« incitation au terrorisme », de « haute trahison » et de plusieurs autres chefs d’accusation.

Par ailleurs, 16 autres hommes, dont plusieurs journalistes et un défenseur des droits humains, ont été déclarés coupables par contumace. Cinq dissidents avaient déjà été reconnus coupables des mêmes chefs en janvier.

« C’est un jour sombre pour la justice en Éthiopie, où la liberté d’expression est systématiquement bafouée par un gouvernement qui s’attaque à toute voix dissidente, a déclaré Claire Beston, spécialiste de l’Éthiopie à Amnesty International.

« Nous estimons qu’Eskinder [Nega], Andualem [Arage] et Nathnael [Mekonnen] sont des prisonniers d’opinion, condamnés en raison de leurs activités légitimes et pacifiques et, en particulier, pour avoir appelé à protester pacifiquement contre le gouvernement. Ils doivent être remis en liberté immédiatement et sans condition. »

Leur procès a été entaché de graves irrégularités, y compris d’allégations de torture formulées par au moins un des accusés. Cependant, aucune enquête n’a été ouverte à ce sujet.

Les déclarations du Premier ministre et les émissions diffusées par la télévision d’État qui proclamaient la culpabilité des accusés constituaient une violation du droit de ces personnes à la présomption d’innocence et ont exercé une pression politique considérable sur le tribunal.

La Loi relative à la lutte contre le terrorisme, en vertu de laquelle la culpabilité des accusés a été prononcée sur plusieurs chefs, permet d’engager des poursuites pour des activités légitimes et pacifiques sous la qualification d’actes « terroristes ».


« Nous sommes convaincus que les accusés n’ont pas bénéficié d’un procès équitable, a ajouté Claire Beston. La décision rendue semblait courue d’avance.

Les preuves à charge n’ont pas démontré de faits criminels mais ont plutôt prouvé, majoritairement, le caractère pacifique et légitime des activités d’Eskinder Nega, Andualem Arage et Nathnael Mekonnen. »

Plusieurs éléments présentés contre Eskinder Neda, journaliste lauréat du prestigieux prix PEN/Barbara Goldsmith pour la liberté d’écrire, portaient sur ses propos concernant l’éventualité que les soulèvements qui ont secoué le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord l’an dernier se propagent à l’Éthiopie.

L’un des principaux éléments à la charge d’Eskinder Nega et Andualem Arage était les discours enflammés sur la nécessité pour les Éthiopiens de lutter pacifiquement pour la liberté qu’ils avaient prononcés lors d’une réunion publique.

Kinfemichael Debebe, un autre accusé qui s’est exprimé au cours du même rassemblement, a probablement été visé aussi pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression.

Amnesty International ne connaît pas dans le détail les activités ni les affiliations politiques des autres personnes accusées dans la même affaire, et ce essentiellement parce que les autorités contrôlent étroitement la diffusion des informations.

Néanmoins, les défaillances qui ont émaillé le procès suffisent à jeter le discrédit sur les déclarations de culpabilité des personnes citées. Ces personnes doivent être rejugées équitablement ou libérées.

La décision rendue mercredi 27 juin est le dernier exemple en date de la répression impitoyable de la liberté d’expression orchestrée par les autorités éthiopiennes.

Elle fait écho à la condamnation de cinq dissidents – dont trois journalistes et un dirigeant de l’opposition – à de longues peines d’emprisonnement, prononcée en janvier en vertu de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme et du Code pénal.

Les deux procès en question semblent avoir été sous-tendus, au moins en partie, par la crainte du gouvernement de voir éclater un soulèvement populaire.

« Le gouvernement ne distingue par les appels pacifiques à la réforme des activités terroristes. Dans les deux procès, la liberté d’expression a été érigée en infraction. Les autorités considèrent comme illégale l’activité légitime des journalistes et des membres de l’opposition », a poursuivi Claire Beston.

La liberté d’expression a également été attaquée à l’extérieur de la salle d’audience. En novembre, l’une des dernières publications indépendantes a dû fermer ses portes et son rédacteur en chef a fui le pays après avoir été menacé d’arrestation.

Fin avril, après que le seul journal indépendant encore en activité a publié les déclarations des accusés, son rédacteur en chef s’est vu infliger une amende de 2 000 birrs éthiopiens (environ 90 euros) pour avoir « couvert de manière partiale » le procès.

Quelques jours plus tard, le gouvernement a émis une directive obligeant les imprimeurs à censurer le contenu des journaux et publications qui leur sont confiés.

Les imprimeries sont aujourd’hui contraintes de supprimer tous les propos que les autorités pourraient juger illégaux ou problématiques. Compte tenu du caractère extrêmement large des dispositions de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme, beaucoup de sujets légitimes pourraient entrer dans cette catégorie.


« Cet engagement sur la voie de l’autocensure est un nouvel exemple effrayant qui illustre la détermination du gouvernement éthiopien à éliminer tous les commentaires indépendants et les critiques portant sur ses actes
, a conclu Claire Beston.

« Les autorités sont en train de faire en sorte qu’il soit impossible pour le peuple éthiopien d’entendre ou d’exprimer une opinion dissidente. »

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