Communiqué de presse

Éthiopie. Le droit de manifester pacifiquement doit être respecté

Amnesty International est préoccupée par les nouvelles attaques contre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion en Éthiopie. Deux partis politiques de l’opposition lui ont signalé l’arrestation d’un grand nombre de leurs membres dans différentes parties du pays ces dernières semaines, en lien avec leurs tentatives d’organiser des manifestations pacifiques.

Les deux partis protestent, entre autres, contre le maintien en détention de membres de l’opposition politique, de journalistes et de membres de la communauté musulmane, dont beaucoup ont eux-mêmes été arrêtés en lien avec des mouvements de protestation pacifiques.

Arrestations au sein du Parti bleu

Le parti d’opposition Semayawi (ou Parti bleu) a signalé que, le soir du 31 août 2013, des membres de la police fédérale et des services de renseignement avaient pénétré de force dans ses bureaux de Ginfle, à Addis-Abeba, où ses membres préparaient une manifestation pacifique prévue le lendemain. Les militants présents ce soir-là ont raconté à Amnesty International que la totalité d’entre eux – entre 60 et 90 personnes environ – avaient été arrêtés et emmenés dans trois postes de police d’Addis-Abeba – le poste (n° 3) de Sostegna, celui de Gedam Sefer et celui de Jan Meda, dans le quartier d’Arada. Toutes les personnes arrêtées auraient été libérées sans inculpation quelques heures plus tard, après avoir dû donner leur identité à la police.

Plusieurs d’entre elles ont indiqué à Amnesty International qu’elles avaient été sévèrement frappées pendant leur détention par la police et qu’un certain nombre avaient été blessées.

Un membre du Parti bleu détenu au poste de police de Jan Meda a expliqué à l’organisation avoir été battu pendant environ 20 minutes par plusieurs policiers et souffrir à présent de douleurs aux reins, de même que d’autres de ses compagnons. Il a indiqué que, pendant qu’ils les frappaient, les policiers leur avaient dit : « Vous mangez trois fois par jour, comment osez-vous manifester pour renverser le FDRPE [Front démocratique révolutionnaire populaire éthiopien, le parti au pouvoir]  ? Croyez-vous que nous pouvons vous laisser faire ? » Un autre membre du parti, détenu au poste de police de Gedam Sefer, a raconté à Amnesty International qu’il avait dû suivre un traitement contre le mal de dos à cause des coups de pied et autres violences que les policiers lui avaient infligés. Une troisième personne interrogée par Amnesty International a dit qu’elle et d’autres militants n’avaient été frappés que cinq minutes environ car ils se trouvaient à la fin de « la file d’attente pour être battu », mais que certains avaient été passés à tabac pendant plus d’une heure.

Le parti a également signalé que la police avait confisqué tous les équipements et le matériel qui se trouvaient dans ses bureaux, tels que les ordinateurs portables, les systèmes de sonorisation et les groupes électrogènes pour la manifestation, les banderoles, les T-shirts et les drapeaux. L’un des militants arrêtés a raconté à Amnesty International que lui et d’autres avaient été contraints de retirer les T-shirts du Parti bleu qu’ils portaient et de les remettre à la police.

Certains membres du parti se sont entendu dire que la manifestation était illégale car ils n’avaient pas reçu d’autorisation. Or, le Parti bleu affirme avoir informé les autorités 12 jours à l’avance – soit beaucoup plus que les 48 heures requises par la loi, et n’avoir reçu aucune réponse écrite lui demandant de changer de date ou de lieu.

Selon la Loi établissant la procédure pour les manifestations pacifiques et les réunions politiques publiques (n° 3/1991), tout organisateur de manifestation doit en informer par écrit les autorités concernées au moins 48 heures à l’avance, en précisant la nature, l’heure et le lieu de la manifestation, ainsi que le nombre de manifestants attendus. Si elle juge préférable que la manifestation se tienne à un autre moment ou dans un autre lieu, l’administration doit en informer l’organisateur par écrit dans les 12 heures. Cependant, les partis d’opposition et les organisateurs de manifestations ont très souvent signalé avoir rencontré des difficultés en lien avec la procédure d’information préalable des autorités.

Un porte-parole du gouvernement aurait déclaré à la BBC qu’aucune répression de ce type n’avait eu lieu.

Pourtant, les allégations des membres du Parti bleu s’inscrivent dans une longue série de témoignages crédibles et récurrents dénonçant des actes d’intimidation contre des manifestants pacifiques et des partis politiques, notamment des arrestations et des confiscations de matériel avant les réunions politiques.

Arrestations au sein de l’Unité pour la démocratie et la justice

Le parti d’opposition Unité pour la démocratie et la justice (UDJ) a aussi signalé de nombreuses arrestations de ses membres dans différentes parties du pays en juillet et en août 2013. Tous auraient été arrêtés alors qu’ils distribuaient des tracts annonçant une série de manifestations et de réunions publiques, accompagnés d’une pétition réclamant l’amendement ou l’abrogation de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme et la libération de responsables de l’UDJ, d’autres dirigeants politiques, de personnalités religieuses et de journalistes actuellement emprisonnés en vertu de cette loi.

L’UDJ indique que, depuis deux mois, un certain nombre de ses membres ont été arrêtés à Mékélé, Gondar, Dessié, dans la zone du Wolaita, à Fitche (dans le Choa-Nord) et à Addis-Abeba. Ces deux dernières semaines, 62 auraient été arrêtés à Addis-Abeba après avoir distribué des tracts. La plupart des personnes arrêtées ont été libérées sans inculpation après plusieurs jours de détention. Cependant, certaines seraient toujours détenues dans différents lieux. Une personne serait restée incarcérée pendant 12 jours sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre elle.

Un représentant de l’UDJ a raconté à Amnesty International que des organisateurs de manifestations et de réunions publiques à Baher Dar, Arba Minch, Gondar et dans la zone du Wolaita avaient aussi été la cible d’autres formes de harcèlement de la part des autorités gouvernementales – confiscation de hauts-parleurs, affiches déchirées, licenciement d’un membre du parti en raison de sa participation aux manifestations, etc. La manifestation prévue à Mékélé et la réunion publique programmée dans la zone du Wolaita ont semble-t-il dû être annulées face au harcèlement de grande ampleur dont ont fait l’objet les membres du parti.

Protestations contre les arrestations liées aux manifestations

L’UDJ et le Parti bleu s’insurgent notamment contre la répression exercée par le gouvernement à l’égard du mouvement de protestation pacifique musulman, et contre la détention et les poursuites dont font l’objet des personnalités clés de ce mouvement.

Depuis plus de 18 mois, une grande partie de la population musulmane éthiopienne participe régulièrement à des manifestations pacifiques contre l’ingérence présumée du gouvernement dans les affaires islamiques. Ces manifestations font l’objet d’une répression caractérisée par des centaines d’arrestations, des poursuites judiciaires contre les dirigeants du mouvement sur des accusations de terrorisme, et plusieurs cas de recours excessif à la force policière ayant causé la mort d’un certain nombre de manifestants.

Le gouvernement ne cesse d’essayer de discréditer ce mouvement et de l’associer à l’extrémisme et au terrorisme. Quelques jours avant une manifestation du Parti bleu prévue le 1er septembre, le Conseil inter-religieux, allié au gouvernement, a annoncé qu’une manifestation contre « l’extrémisme musulman » se tiendrait le même jour au même endroit.

L’UDJ et le Parti bleu manifestent aussi contre le maintien en détention d’un certain nombre de membres de partis politiques d’opposition et de journalistes, emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, souvent en lien avec des mouvements de protestation pacifiques.

Les deux partis réclament notamment la libération du journaliste Eskinder Nega et des dirigeants de l’UDJ Andualem Arage et Nathnael Mekonnen, qui purgent de longues peines d’emprisonnement après avoir été condamnés pour terrorisme pour avoir débattu dans une réunion publique de la possibilité de voir des soulèvements tels que ceux du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord s’étendre à l’Éthiopie. Ils demandent également la libération des journalistes Reyot Alemu et Woubshet Taye, ainsi que du dirigeant de l’opposition Zerihun Gebre-Egziabher, qui purgent aussi des peines de prison en vertu de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme pour leur participation en 2011 au mouvement Beka ! (Assez !), qui appelait à des manifestations pacifiques, ainsi que pour leurs articles au sujet de ce mouvement.

Dans ses manifestations et sa pétition, l’UDJ met tout particulièrement l’accent sur l’utilisation abusive de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme, utilisée dans tous les cas cités ci-dessus, et demande qu’elle soit amendée ou abrogée. Amnesty International s’est inquiétée à maintes reprises des dispositions très vagues de cette Loi, qui continue d’être utilisée pour poursuivre et donc réduire au silence les voix qui s’opposent au gouvernement ou le critiquent.

Manifestations pacifiques et droits à la liberté d’expression et de réunion

En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’Éthiopie a l’obligation de protéger, de respecter et de mettre en œuvre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Malgré ces dispositions, ainsi que celles de la Constitution éthiopienne qui protègent le droit de se rassembler et de manifester pacifiquement dans le pays, le gouvernement continue de refuser ces droits à tous ceux qui manifestent contre ses politiques ou ses pratiques. Au cours de ces deux dernières années, des centaines de personnes ont été arrêtées en Éthiopie pour leur participation réelle ou présumée à des mouvements de protestation pacifiques.

Nul ne doit être arrêté pour avoir exercé pacifiquement ses droits, notamment pour avoir participé à un mouvement de protestation pacifique, organisé des manifestations ou en avoir rendu compte (en qualité de journaliste). Des enquêtes doivent être menées immédiatement sur les allégations faisant état de mauvais traitements en détention ou d’une utilisation injustifiée ou excessive de la force policière.

Le Parti bleu prévoit une nouvelle manifestation le 7 septembre. Amnesty International appelle le gouvernement éthiopien à respecter ses obligations aux termes du droit international et à garantir à chacun la jouissance de ses droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion sans aucune discrimination.

À l’heure où les regards commencent à se tourner vers les élections législatives prévues en 2015, le gouvernement éthiopien doit desserrer le carcan dans lequel il maintient la participation politique. Les autorités doivent permettre aux partis politiques de l’opposition de fonctionner sans être harcelés, et à tous les citoyens, y compris aux groupes de protestation pacifiques, d’exercer leurs droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association.

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