Éthiopie. Les menaces visant un journaliste constituent une nouvelle atteinte à la liberté d’expression

DÉCLARATION PUBLIQUE

18 février 2011 - Index AI : AFR 25/001/2011

Amnesty International condamne les menaces proférées par les autorités
éthiopiennes contre Eskinder Nega, journaliste et ancien prisonnier
d’opinion adopté par l’organisation. Cet homme s’est vu adresser un
avertissement selon lequel s’il ne cessait pas d’écrire des articles
considérés comme provocateurs par le gouvernement, il serait incarcéré.
Amnesty International craint qu’Eskinder Nega ne soit arrêté ou brutalisé.

Eskinder Nega a été appréhendé par des membres lourdement armés de la police
fédérale le 11 février après avoir quitté un cybercafé du centre
d’Addis-Abeba. Il a été conduit au siège de la police fédérale, où le
directeur adjoint lui a dit qu’il avait été convoqué pour avoir tenté
d’encourager l’organisation de manifestations similaires à celles ayant eu
lieu en Égypte ou en Tunisie.

Le directeur adjoint a en particulier fait référence à un article
qu’Eskinder Nega avait mis en ligne sur un site Internet une semaine
auparavant, dans lequel il saluait une déclaration faite par l’armée
égyptienne lors des manifestations ayant récemment eu lieu en Égypte, qui
assurait que les forces armées ne recourraient pas à la force contre leur
peuple. L’article ajoutait que si des actions de protestation devaient avoir
lieu en Éthiopie, l’armée devrait reconnaître le droit des Éthiopiens à
manifester pacifiquement et les protéger. L’article s’achevait sur un appel
adressé aux généraux éthiopiens : « Ne luttez pas contre votre conscience. »

Le directeur adjoint a déclaré que cet article avait pour objectif
d’affaiblir l’armée et a prévenu Eskinder Nega que si des manifestations
avaient effectivement lieu, il serait tenu pour responsable. Il a ensuite
été dit à Eskinder Nega que la police disposait de suffisamment d’éléments
pour le déclarer coupable, et qu’il « avait déjà dépassé les bornes ».

La circulation des informations relatives aux événements récents en Égypte
et en Tunisie fait l’objet d’un contrôle étroit en Éthiopie. La dernière
fois que des manifestations publiques de grande ampleur ont eu lieu en
Éthiopie – dans le sillage de la contestation suscitée par des élections, en
2005 – les forces de sécurité ont tué près de 200 personnes et en ont blessé
des centaines d’autres.

Eskinder Nega s’est récemment retrouvé au centre de plusieurs incidents qui
l’ont amené à penser que son intégrité physique était menacée. Il signale
par ailleurs être sous surveillance constante.

Les menaces de poursuites en justice brandies contre les journalistes,
utilisées comme moyen de pression pour « négocier » leur silence, étouffent
la contestation et violent la liberté d’expression. Le droit à la liberté
d’expression est garanti par la Déclaration universelle des droits de
l’homme, mais aussi par le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP) et la Charte africaine sur les droits de l’homme et des
peuples, auxquels l’Ethiopie est partie. La Constitution éthiopienne protège
elle aussi la liberté de la presse et des médias, et interdit la censure
sous quelque forme que ce soit. L’article 29(4) de la Constitution dispose
ainsi que « la presse sera indépendante vis-à-vis des institutions et se
verra accorder une protection juridique, de sorte qu’elle puisse faire état
d’opinions diverses et que les informations, les idées et les opinions
puissent circuler librement, ce qui est nécessaire dans une société
démocratique. »

Par ailleurs, en 2010, l’Éthiopie a accepté une recommandation émise par le
Conseil des droits de l’homme des Nations unies lors de son examen
périodique, qui l’engageait à « [p]rendre toutes les mesures nécessaires
pour assurer des moyens d’information libres et indépendants qui rendent
compte du pluralisme dans les opinions »
.

Eskinder Nega a été menacé pour avoir exercé son droit à la liberté
d’expression. Cela fait longtemps que les autorités s’en prennent à lui car
il fait l’exercice de son droit consistant à dénoncer les violations des
droits civils et politiques dans le pays dans le cadre de ses activités
journalistiques. Lui-même et d’innombrables autres journalistes ont été
emprisonnés depuis l’arrivée au pouvoir du parti dirigeant, il y a près de
20 ans. La majeure partie des organes de presse indépendants ont été
contraints à cesser leurs activités en raison de la répression déclenchée
par des mois de protestations publiques, à la suite des résultats des
élections législatives de 2005. De nombreux journalistes et propriétaires de
maisons d’édition, dont Eskinder Nega et son épouse Serkalem Fasil, ont été
incarcérés et déclarés coupables d’infractions en relation avec le chef de
trahison, avant d’être remis en liberté à la faveur d’une grâce
présidentielle. Eskinder Nega est depuis lors privé du permis requis pour
pratiquer le journalisme.

La presse libre éthiopienne fonctionne à peine depuis ces événements. La
plupart des médias du pays sont contrôlés par l’État. Un grand nombre des
journalistes autorisés à travailler depuis 2005 s’autocensurent. Désireux de
se soustraire à la menace de poursuites et d’un emprisonnement, de nombreux
journalistes et rédacteurs en chef ont fui le pays ces dernières années.

Le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des
idées de toute espèce – consacré par le PIDCP – est essentiel à la
construction et à la protection d’une société respectant les droits humains.
Les discours du gouvernement éthiopien sur son engagement en faveur du
respect des droits humains doivent désormais trouver leur pendant dans le
traitement réservé à la société civile du pays - y compris aux personnes qui
critiquent de manière légitime le gouvernement.

Les autorités doivent cesser de se servir de procédures pénales ou de
brandir la menace de celles-ci afin de museler leurs détracteurs, et mettre
fin à toutes les autres formes de harcèlement visant les journalistes et les
membres de la société civile, notamment les défenseurs des droits humains.
Le gouvernement éthiopien doit en revanche honorer ses obligations
internationales et nationales en prenant toutes les mesures qui s’imposent
afin de garantir que les journalistes et défenseurs des droits humains
puissent mener leurs activités librement, en toute indépendance et sous la
protection totale de l’État.

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