FÉDÉRATION DE RUSSIE : Aggravation de la situation en Tchétchénie et en Ingouchie

Déclaration commune d’Amnesty inter
national, de Human Rights Watch,
de la Fondation médicale pour les soins aux victimes de torture et du Centre russe « Mémorial » de défense des droits humains

Index AI : EUR 46/084/2004

ÉFAI

Jeudi 12 avril 2004

DÉCLARATION PUBLIQUE

Saluée par le gouvernement russe comme un pas essentiel vers la « normalisation », l’élection présidentielle qui s’est déroulée en octobre 2003 en Tchétchénie n’a pas mis fin au cycle de violences et d’exactions qui secoue la région. Tous les jours, les troupes fédérales et les combattants tchétchènes se rendent responsables de « disparitions » forcées, de viols, d’actes de torture et d’exécutions extrajudiciaires. En Ingouchie, les violences de ce type sont en recruúdescence. Dans le cadre de la « normalisation », le gouvernement russe continue également de fermer les camps de tentes en Ingouchie et de conjuguer pressions et incitations afin de renvoyer en Tchétchénie les personnes déplacées vulnérables.

Amnesty International, Human Rights Watch, la Fondation médicale pour les soins aux victimes de tortures (Fondation méúdicale) et le Centre russe « Mémorial » de défense des droits humains (Mémorial) en appellent au gouvernement de la Fédération de Russie pour qu’il prenne des mesures immédiates afin de mettre un terme aux violations des droits humains en Tchétchénie et en Ingouchie. Ces organisations demandent instamment à la communauté internationale de mettre le gouvernement russe face aux obligations qui lui incombent en vertu des normes internationales relatives aux droits humains. En particulier, la Commission des droits de l’homme des Nations unies doit adopter une résolution énergique sur la situation en Tchétchénie et en Ingouchie. En refusant de dénoncer sans ambiguïté ces atteintes flagrantes et systématiques aux droits humains, la Commission perdrait une part de son autorité morale.

Tchétchénie
Au début de 2004, les troupes russes et les combattants tchétchènes continuaient à perpétrer régulièrement de graves violations des droits humains en Tchétchénie. Toutefois, un nouveau groupe armé de plus en plus actif, dirigé par le fils du président de la République tchétchène, Akhmad Kadyrov, et surnommé pour cette raison le Kadyrovtsi, est accusé d’être à l’origine d’un nombre de plus en plus élevé de « disparitions ». De nombreux Tchétchènes disent craindre le Kadyrovtsi plus encore que les troupes fédérales.

D’après Mémorial, qui assure une surveillance systématique de la situation sur environ un tiers du territoire tchétchène, 78 personnes ont été enlevées en Tchétchénie au premier trimestre 2004, dont 41 ont ensuite « disparu ». Durant cette période, au moins 30 civils ont été tués en raison du conflit armé. Voici quelques exemples des exactions récentes recensées par Amnesty International, Human Rights Watch et Mémorial :

 Le 18 mars 2004, à 2 heures du matin, des hommes masqués portant des tenues de camouflage ont pénétré chez les Khamboulatov, dans le village de Naourskaïa (nord de la Tchétchénie), et ont interpellé Timour Khamboulatov, vingt-quatre ans. Selon ses proches, les individus en question se sont présentés comme des agents du Service fédéral de sécurité (FSB) et ont déclaré qu’ils conduisaient Timour Khamboulatov au poste de police local car ils le soupçonnaient d’appartenir à un groupe armé illégal. Timour Khamboulatov est décédé un peu plus tard dans la matinée, pendant sa garde à vue. Un film vidéo que Mémorial s’est procuré par l’intermédiaire de ses proches montre son cadavre mutilé, portant des marques qui concordent avec de précédentes informations faisant état d’actes de torture.

 Le 27 mars 2004, vers 2 heures du matin, huit véhicules militaires sont entrés dans le village de Douba-Iourt, dans la région de Chali. Ils transportaient de nombreux hommes masqués en tenue de camouflage qui ont lancé l’assaut contre 19 maisons et arrêté 11 hommes âgés de vingt-huit à quarante-quatre ans. Peu après, les individus armés ont relâché trois de leurs prisonniers non loin du village, mais les huit autres ont « disparu ». Des informateurs ont officieusement indiqué à leurs proches qu’ils étaient détenus sur la base militaire russe de Khankala, ce que dément le parquet.

La Fondation médicale, organisation humanitaire britannique, doit publier, jeudi 15 avril 2004, un rapport qui apporte les premiers éléments fiables prouvant le recours au viol dans le conflit armé en Tchétchénie. Rédigé par le docteur Charlotte Granville-Chapman, ce document est intitulé Viols et autres tortures dans le conflit tchétchène : éléments de preuve fournis par des demandeurs d’asile arrivant au Royaume-Uni (Londres, avril 2004). Il sera disponible, en anglais, sur le site Internet www.torturecare.org.uk <http://www.torturecare.org.uk/> ou auprès du service de presse de la Fondation médicale, au +44 [0] 20 7697 7792. Il s’appuie sur le dossier médical et psychologique de 35 demandeurs d’asile (16 hommes et 19 femmes) admis au centre de soins de la Fondation médicale, à Londres, en tant que victimes du conflit tchétchène. Durant l’évaluation et le traitement, 16 femmes et un homme ont révélé aux cliniciens de la Fondation médicale avoir été violés. Dans 13 cas, les auteurs présumés étaient des soldats russes, dans trois cas, des policiers russes et dans le dernier cas, des rebelles tchétchènes. Sur ces 17 victimes, 10 étaient tchétchènes, cinq d’origine russo-tchétchène (notamment la femme qui a raconté son viol par des combattants tchétchènes) et deux russes. Toutes ont été interrogées par des professionnels ayant plusieurs années d’expérience dans les entretiens avec des victimes de viols ou d’autres formes de violences sexuelles. La Fondation médicale a considéré que leur témoignage était crédible et correspondait à celui d’autres personnes ayant subi des sévices similaires.

Les groupes de défense des droits humains sont convaincues depuis longtemps que des violences sexuelles sont couramment perpétrées dans le contexte du conflit tchétchène, mais ils rencontrent d’énormes difficultés pour étayer les dossiers en raison de l’opprobre qui s’attache au viol : la Fondation médicale a constaté que plus de la moitié des victimes avaient honte de ce qu’elles avaient subi, même quand elles se trouvaient très éloignées du lieu de leur agression. Une victime a confié à la Fondation qu’elle avait été insultée et physiquement agressée par une femme de sa communauté quand son viol a été connu.

Le rapport de la Fondation médicale confirme également l’existence d’autres formes de tortures et de mauvais traitements, comme le recours répété aux coups de pied, passages à tabac et brûlures sur le corps. Ses médecins ont pu constater des luxations de l’épaule, des fractures et des lésions au niveau des reins. Ces éléments concordent avec les informations recueillies par les autres signataires de la présente déclaration sur les actes de torture perpétrés en Tchétchénie.
Situation des personnes déplacées
Des milliers de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et vivant dans des camps de toile en Ingouchie subissent les pressions répétées du gouvernement russe, qui veut les renvoyer en Tchétchénie sans tenir compte de leurs craintes légitimes pour leur sécurité. Malgré ses promesses, le gouvernement n’a, de façon générale, proposé aucun autre type d’hébergement à ceux qui souhaitaient rester en Ingouchie. Les centres d’hébergement provisoire gérés par l’État russe à Grozny, où de nombreux réfugiés contraints au retour finissent par échouer, sont insuffisants.

Le 1er avril, le gouvernement a fermé le camp de réfugiés de Spoutnik. Il s’agit de la quatrième fermeture d’un camp de grande dimension en Ingouchie depuis six mois. Ceux qui y vivaient ont rapporté à Amnesty International, Human Rights Watch et Mémorial que les responsables russes et tchétchènes avaient usé à la fois de menaces et d’incitations afin de les pousser à rentrer en Tchétchénie. Ils leur auraient promis une indemnisation pour les biens perdus, en les avertissant qu’ils perdraient leur droit à l’aide humanitaire s’ils ne repartaient pas. Ces mêmes témoins affirment que des représentants de la force publique ont menacé ceux qui resteraient de placer subrepticement des balles ou de la drogue sur eux afin de pouvoir les inculper. Les chercheurs d’Amnesty International, de Human Rights Watch et de Mémorial ont constaté qu’une tactique similaire combinant la « carotte » et le « bâton » étaient désormais utilisée à Satsita, le dernier camp encore ouvert en Ingouchie.

La plupart des déplacés contraints de quitter les camps de tentes pour rentrer en Tchétchénie ont trouvé refuge dans ce que les autorités appellent des « centres d’hébergement provisoire ». Les chercheurs d’Amnesty International, de Human Rights Watch et de Mémorial qui ont visité quatre de ces centres à Grozny en mars dernier ont constaté que les conditions n’y étaient pas conformes aux normes internationales. Toutes les pièces étaient surpeuplées. Au moins huit personnes s’y partageaient un espace de quatorze mètres carrés - prévu pour six détenus. Il n’y avait pas non plus d’eau courante ni de système d’évacuation des eaux usées digne de ce nom. Selon les témoignages recueillis, les arrivages de nourriture en provenance d’organisations humanitaires sont irréguliers et insuffisants : de nombreuses personnes déplacées ont dit ne pas avoir reçu l’aide des agences humanitaires.

Les chercheurs ont également constaté que le gouvernement russe ne respecte pas sa promesse de dédommager les pertes matérielles subies par les personnes rentrées en Tchétchénie. Sur plus d’une douzaine de personnes interrogées à Grozny, aucune n’avait été indemnisée. La plupart d’entre elles se sont plaintes que leur dossier n’était pas traité ou que leur nom avait mystérieusement disparu de la liste des personnes pouvant prétendre à une indemnisation.
Situation en Ingouchie
Les violations des droits humains qui caractérisent depuis longtemps le conflit tchétchène deviennent de plus en plus fréquentes en Ingouchie. Rien que depuis le début de l’année, Mémorial a reçu des dizaines de signalements de « disparitions ». Les groupes de défense des droits humains disposent également d’informations tendant à confirmer qu’un certain nombre d’exécutions sommaires ont eu lieu ces derniers mois, ainsi que des agressions contre des civils qui ont été blessés grièvement, voire mortellement.

Voici quelques exemples des graves atteintes aux droits humains qui ont été recensées par Amnesty International, Human Rights Watch et Mémorial lors des dernières enquêtes conduites en Ingouchie :

 Le 11 mars 2004, des hommes armés ont arrêté la voiture d’un Ingouche, Rachid Ozdoïev, substitut du procureur, près du village de Verkhné Achalouki. Des témoins ont raconté à ses proches qu’il a d’abord été emmené au quartier général du FSB, à Magas, la capitale ingouche, puis transféré à la base militaire russe de Khankala, en Tchétchénie, où il est détenu sous une autre identité. Le parquet d’Ingouchie a ouvert une information judiciaire pour enlèvement le 15 mars, mais aucune confirmation officielle de son sort n’a été reçue depuis cette date. D’après ses proches, Rachid Ozdoïev avait participé à une enquête sur les activités illégales du FSB.

 Le 25 mars 2004, vers 22 h 30, un hélicoptère militaire russe a ouvert le feu sur une voiture de tourisme stationnée au bord d’une rivière, près du village ingouche de Sleptsovskaïa. Il s’agissait, semble-t-il, d’une attaque délibérée contre des civils sans défense. Les quatre passagers sont sortis en courant du véhicule et l’hélicoptère les a alors attaqués à coups de roquettes. L’un des passagers, Moussa Khamkoïev, vingt-quatre ans, est mort sur le coup. Deux autres, des adolescents, ont été gravement blessés et transportés à l’hôpital voisin, où l’un des deux, Ibrahim Khachagoulgov, a succombé à ses blessures une semaine plus tard. Le troisième jeune homme est toujours dans un état grave et l’on ignore ce qu’il est advenu du quatrième passager. Le parquet d’Ingouchie a ouvert une enquête criminelle.

 Le 2 mars 2004, vers 17 heures, Issa Khazbiev, cinquante et un ans, accompagné de sa femme et de sa fille, roulait dans les environs d’Altievo, le village où il réside. Cette famille a vu des hommes armés circulant à bord de trois voitures obliger une autre voiture à s’arrêter. Ces individus ont contraint l’un des passagers à sortir du véhicule et l’ont jeté à terre. Quand il a tenté de s’enfuir en rampant, ils l’ont abattu. Khazbiev a arrêté sa voiture à une quarantaine de mètres de là, trop effrayé pour aller plus loin ou faire demi-tour. Trois des hommes armés ont alors tiré quatre coups de feu sur sa voiture, sans sommation. Khazbiev a été blessé à l’épaule et à la jambe. Sa fille, âgée de vingt-quatre ans, a été blessée au cou et à la tête. Elle est décédée trois jours après à l’hôpital. Par la suite, Mémorial a découvert des éléments prouvant que ces hommes armés appartenaient au FSB ingouche.

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