Fidji. L’Organisation internationale du travail doit mettre en place une commission d’enquête pour protéger les droits des travailleurs

Amnesty International se joint à la Confédération syndicale internationale (CSI) et à dix syndicats nationaux (notamment australien, britannique, indonésien, japonais, néozélandais et sud-coréen) pour demander à l’Organisation internationale du travail (OIT) d’instaurer immédiatement une commission d’enquête chargée de se pencher sur le non-respect flagrant et persistant, par le gouvernement fidjien, des droits fondamentaux des travailleurs inscrits dans la Convention no 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical.

À Fidji, depuis décembre 2006, des syndicalistes font régulièrement l’objet de placements en détention, d’actes de harcèlement et de licenciements arbitraires et continuent d’être poursuivis en justice pour des motifs fallacieux, en violation du droit fondamental à la liberté d’expression. En juillet 2013, les travailleurs de l’industrie sucrière ont voté en faveur d’une grève pour demander une hausse des salaires dans ce secteur en difficulté. Felix Anthony, secrétaire général du syndicat des travailleurs du sucre de Fidji (FSGWU), a affirmé que des policiers et des soldats présents sur les lieux du scrutin s’étaient livrés à des actes d’intimidation, et que des dirigeants du secteur avaient menacé de transmettre le nom des votants à l’armée. Dans une autre affaire, Daniel Urai, président du Congrès des syndicats de Fidji (FTUC) attend d’être jugé dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre lui au titre du Décret relatif à l’ordre public, modifié en 2012, qui restreint fortement les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

En novembre 2012, le Conseil d’administration de l’OIT a demandé au gouvernement fidjien de « trouver des solutions, en droit comme dans la pratique, conformes aux principes de la liberté syndicale ». En guise de réponse, les autorités fidjiennes ont continué de bafouer les droits fondamentaux des travailleurs et ont refusé de coopérer avec l’OIT. Ainsi, en juin 2013, les autorités fidjiennes ont une nouvelle fois empêché une mission de contacts directs de l’OIT, chargée d’étudier des plaintes concernant le non-respect du droit du travail, mener à bien son mandat selon ses propres conditions.

Aux termes du droit international, tous les travailleurs ont le droit fondamental de constituer des syndicats, d’y adhérer, de négocier collectivement et de faire grève. Fondement essentiel à la réalisation d’autres droits, ces droits sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des conventions adoptées par l’OIT, en particulier les Conventions de base nos 87 et 98 que Fidji a ratifiées. Cependant, plusieurs lois en vigueur à Fidji restreignent ces droits et empêchent les travailleurs d’exercer leurs droits dans le monde du travail.

Le Décret relatif à l’emploi dans les industries nationales clés, promulgué en 2011, a mis fin à la reconnaissance des syndicats dans des secteurs essentiels de l’économie comme les services publics, l’aviation, la finance et les télécommunications. De plus, ce décret interdit l’élection de représentants syndicaux à plein temps et exige l’autorisation préalable du Premier ministre pour établir des groupes de négociation. Le 30 juillet 2013, le procureur général a déclaré que le travail devait se poursuivre dans les sucreries même en cas de grève. Les représentants syndicaux ont perçu ces propos comme une éventuelle menace d’étendre le décret de 2011 à l’industrie sucrière, dont les travailleurs sont en train de s’organiser pour demander une augmentation des salaires et une amélioration de leurs conditions de travail extrêmement pénibles.

Le Décret de 2012 relatif à l’ordre public oblige les syndicats, entre autres organisations, à obtenir l’autorisation préalable des autorités pour organiser des réunions, et ces dispositions peuvent être appliquées à tout moment. D’autres décrets limitent fortement les droits syndicaux et du travail, tant dans le secteur public que privé, notamment en ôtant la possibilité demander des réparations pour les violations des droits fondamentaux des travailleurs, y compris celles commises par le passé et à l’avenir. Le Décret de 2013 relatif aux partis politiques interdit également aux représentants syndicaux d’être membres ou d’exercer des fonctions au sein d’un parti politique, ou même d’exprimer leur soutien envers une formation politique.

Amnesty International déplore également que les droits des travailleurs ne soient pas respectés dans le projet de constitution élaboré par le gouvernement et rendu public en mars 2013. Les articles 19 et 20 de ce texte, par exemple, limitent de façon radicale le droit de créer un syndicat et d’y adhérer, de mener des négociations collectives et de faire grève. Amnesty International demande instamment au gouvernement fidjien de garantir que la nouvelle constitution, dont la publication est imminente, soit pleinement conforme aux normes et au droit internationaux.

L’organisation engage également les autorités, les forces de sécurité et les employeurs à respecter les droits des travailleurs dans le cadre du litige qui porte sur le faible niveau de rémunération dans l’industrie sucrière. En particulier, Amnesty International appelle les autorités à respecter le droit de négociation collective et le droit de grève, et à cesser de harceler, d’intimider, de placer en détention ou de licencier des travailleurs qui ne font qu’exercer leur droit fondamental à la liberté d’association.

Étant donné le manque de protection des droits des travailleurs à Fidji, dans la législation comme dans la pratique, et l’absence de coopération avec l’OIT, Amnesty International estime que la mise en place d’une commission d’enquête au titre de l’article 26 de la Constitution de l’OIT représente une mesure appropriée et incontournable pour répondre aux préoccupations légitimes de travailleurs.

Complément d’information

En tant que membre de l’OIT, le gouvernement fidjien est tenu, en vertu de la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT (1998), de respecter, promouvoir et réaliser les droits humains inscrits dans les conventions fondamentales de cette organisation. Les mesures prises en vue de restreindre les droits des travailleurs à Fidji vont également à l’encontre des engagements souscrits aux termes de l’Accord de Cotonou, qui organise la coopération entre l’Union européenne et 79 États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, dont Fidji.

Les commissions d’enquête de l’OIT, constituées aux termes de l’article 26 de la Constitution de l’OIT, représentent le plus haut niveau de procédure d’enquête de cette organisation. Elles sont généralement mises en place lorsqu’un État membre est accusé d’avoir commis des violations graves et persistantes et qu’il a refusé à plusieurs reprises d’y remédier. À ce jour, 11 commissions d’enquête ont été établies (voir : http://www.ilo.org/global/standards/applying-and-promoting-international-labour-standards/complaints/lang--fr/index.htm ; concernant les commissions d’enquête précédentes, voir : http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:50011:0::NO:50011:P50011_ARTICLE_NO:26).

En septembre 2012, les autorités fidjiennes ont empêché l’OIT de mener à terme une mission de contacts directs chargée d’étudier des plaintes concernant le non-respect des droits fondamentaux des travailleurs.

En juin 2013, des syndicats nationaux d’Australie, de Belgique, de Colombie, de Corée du Sud, de France, d’Indonésie, du Japon, du Kenya, de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni ont officiellement demandé la création d’une commission d’enquête, en portant plainte contre Fidji auprès du directeur général de l’OIT au titre de l’article 26 de la Constitution de cette organisation. Cette initiative bénéficie du soutien de la Confédération syndicale internationale (CSI) et d’autres syndicats affiliés.

En 2011, Amnesty International avait exprimé ses préoccupations concernant la non-conformité, par rapport aux obligations internationales de Fidji en matière de droits humains, du Décret relatif à l’emploi dans les industries nationales clés. L’organisation avait également rassemblé des informations sur des cas de harcèlement, d’intimidation, de placements de détention et de licenciements touchant des travailleurs qui n’avaient fait qu’exercer leurs droits légitimes à la liberté de réunion et d’association (voir : http://amnesty.org/fr/library/info/ASA18/003/2011/fr).

Amnesty International a fait part de ses inquiétudes concernant les Dispositions relatives aux situations d’urgence dans un rapport détaillé, publié en 2009 sous le titre Fiji : Paradise Lost, A tale of ongoing human rights abuses April-July 2009 (voir : http://www.amnesty.org/fr/library/info/ASA18/002/2009/en).

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