L’organisation a recueilli les témoignages de dix-neuf organisations féministes et/ou communautaires, qui accompagnent ces femmes dans leurs démarches pour accéder à la justice.
« Il est temps de mettre fin à ces pratiques stigmatisantes et cruelles »
Du refus du dépôt de plainte au commissariat au risque d’arrestation et d’expulsion pour les femmes migrantes, les témoignages collectés documentent les nombreuses barrières et nouvelles violences auxquelles font face ces femmes, au croisement de plusieurs discriminations. Cette victimisation secondaire, et les risques encourus, les découragent de porter plainte et entravent leur accès à la justice.
« Si porter plainte en France pour violences sexuelles est une épreuve redoutée par toute femme, le faire quand vous êtes par ailleurs racisée, précaire, transgenre, ou sans-papiers – et parfois tout cela à la fois - vous expose à toujours plus d’obstacles et de violences, avec comme humiliation et risque ultime celui d’être arrêtée ou expulsée. Il est temps de mettre fin à ces pratiques stigmatisantes et cruelles. Il est urgent que ces femmes soient pleinement écoutées, respectées et protégées par les services de police » dénonce Lola Schulmann, spécialiste de la Justice de genre chez Amnesty International France et autrice du rapport.
De la surexposition aux violences sexuelles au refus de dépôt de plainte
En France, seules 6% des femmes victimes de violences sexuelles déposent plainte. En cause notamment, la victimisation secondaire - la victimisation résultant non pas directement de l’infraction pénale, mais de la réponse apportée à̀ la victime par les institutions publiques notamment - et les barrières auxquelles elles sont confrontées lors d’un dépôt de plainte en commissariat. Ce phénomène - déjà alarmant - touche de manière disproportionnée les femmes confrontées à plusieurs formes de discriminations. Si l’article 15-3 du Code de procédure pénale oblige les services de police à recevoir les plaintes pour violences sexuelles, la réalité est toute autre pour les femmes au croisement de plusieurs discriminations. Régulièrement confrontés à des refus – pourtant illégaux - d’enregistrer leur plainte, elles voient leur parole plus facilement mise en doute.
Travailleuses du sexe : « Non Madame, vous ne vous êtes pas fait violer, c’est un client »
Les travailleuses du sexe sont parmi les premières à se voir refuser un dépôt de plainte, en raison de la loi relative au travail du sexe en France qui criminalise les clients et certaines dispositions de la loi sur le proxénétisme. Cinq organisations interrogées ont rapporté que des services de police et de gendarmerie ont refusé leurs plaintes pour violences sexuelles en niant leur caractère non consenti.
« La non prise en compte des plaintes pour violences sexuelles des travailleuses du sexe, qui cumulent souvent les marginalités et discriminations, est particulièrement alarmante. Parmi celles-ci, les personnes transgenres sont surexposées aux violences sexuelles. En France, la criminalisation continue du travail du sexe a renforcé l’impunité des agresseurs et exacerbé les violences, sans accès véritable à la justice » explique Lola Schulmann.
Pour les femmes migrantes, dénoncer les violences et risquer l’expulsion ?
D’après l’ensemble des associations interrogées, les femmes migrantes sont les plus réticentes à porter plainte pour violences sexuelles, alors qu’elles sont les plus à risque d’en être victime. L’accès à la justice est d’autant plus difficile qu’elles risquent souvent d’être arrêtées voire expulsées, plutôt que d’être protégées. Ainsi, quatre des associations interrogées ont rapporté comment des femmes en situation irrégulière avaient reçu des obligations de quitter le territoire, certaines mises en centre de rétention puis expulsées, alors même qu’elles venaient porter plainte pour des violences sexuelles. Or, ces situations sont illégales au regard du droit national et international. Selon la loi française, toute personne peut porter plainte pour des faits de violences sexuelles ou d’autres violences liées au genre, qu’elle soit en situation régulière ou non sur le territoire.
Soupçonnées de déposer plainte « pour obtenir des papiers », les femmes migrantes voient davantage leur parole – et leur histoire – mises en doute et niées. Déjà stigmatisées, l’absence régulière d’interprètes pourtant obligatoire, renforce leur incapacité à faire entendre leur vécu et leurs droits.
Des associations pour pallier les manquements de l’Etat français
En dépit de la loi du 4 août 2014, la formation des policiers et gendarmes sur les questions de violences sexuelles et de discriminations reste insuffisante, alors que ces services sont en première ligne dans l’accueil des victimes de violences sexuelles. Ces manquements créent des conséquences désastreuses sur l’accès à la justice pour toutes ces personnes, et participent à créer des violences secondaires.
« Surexposées aux violences, les femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe doivent être pleinement considérées, écoutées et accompagnées »
Face à ces insuffisances, les victimes de violences sexuelles se tournent vers des associations féministes et communautaires pour se faire accompagner dans leurs démarches, recevoir du soutien et connaître leurs droits. Ces associations jouent un rôle crucial pour les femmes victimes de violences.
« Il est urgent que les autorités françaises renforcent le travail de formation des forces de police, afin de mettre fin aux pratiques xénophobes, racistes et discriminatoires, à tous les stades de la procédure judiciaire, y compris dans les commissariats. Surexposées aux violences, les femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe doivent être pleinement considérées, écoutées et accompagnées par les forces de police. Le travail des associations qui les accompagnent ou les représentent doit être reconnu et soutenu », complète Lola Schulmann.