FRANCE. Le Conseil constitutionnel déclare le régime de garde à vue pour les infractions de droit commun contraire à la Constitution

Index AI : EUR 21/004/2010

ÉFAI - 3 août 2010

Amnesty International appelle les autorités françaises à modifier les dispositions de loi régissant les droits de toutes les personnes en garde à vue afin qu’elles soient compatibles avec le respect des droits humains.

Cette demande fait suite à la décision rendue le 30 juillet par le Conseil constitutionnel français, qui a estimé que les articles régissant la garde à vue pour les personnes privées de liberté dans les cas d’infractions de droit commun n’étaient pas conformes à la Constitution car ils ne garantissaient pas les droits de la défense, notamment l’assistance effective d’un avocat et la notification du droit de garder le silence. Ces règles seront abrogées au 1er juillet 2011, mais elles demeureront en vigueur jusqu’à cette date.

La décision du Conseil constitutionnel abonde dans le sens de préoccupations plus générales concernant le régime de garde à vue exprimées en mai 2010 par le Comité contre la torture. Cet organe des Nations unies avait alors rappelé au gouvernement français que « c’est pendant les premières heures de l’arrestation et, en particulier, pendant la période de détention incomunicado [au secret], que le risque de torture est le plus grand ».

Amnesty International est cependant inquiète à l’idée que, aux termes de la décision du Conseil constitutionnel, ces dispositions contraires à la Constitution puissent rester en vigueur pendant 11 mois de plus. En effet, durant cette période, les droits de toutes les personnes à qui elles s’appliquent seront violés et les personnes concernées ne pourront pas s’opposer à ces violations en faisant valoir que le régime de garde à vue est inconstitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a rendu cette décision en réponse aux avocats qui mettaient en doute la compatibilité des articles du Code de procédure pénale relatifs à la garde à vue avec les droits et libertés garantis par la Constitution française. Un nouveau texte entré en vigueur le 1er mars 2010 permet aux citoyens de contester la constitutionnalité d’une loi au cours d’une procédure judiciaire.

Selon l’article 63-4 du Code de procédure pénale, la garde à vue peut durer jusqu’à 24 heures et peut être prolongée de 24 heures supplémentaires sur décision du ministère public. Pendant cette période, les personnes qui sont détenues pour des infractions de droit commun ont droit à un accès restreint aux services d’un avocat. Elles peuvent s’entretenir pendant 30 minutes avec un avocat à compter de la première heure de leur garde à vue, et si celle-ci est prolongée, un autre entretien de 30 minutes leur est accordé au début de cette prolongation. Un détenu ne peut pas être assisté par son avocat pendant l’interrogatoire. Le droit des détenus à être défendu est également restreint par le fait que leur avocat n’est pas autorisé à consulter le dossier que les autorités possèdent à leur sujet.

La décision du Conseil constitutionnel a mis clairement en relief l’utilisation très fréquente par les autorités des pouvoirs qui leur sont conférés pour placer des personnes en garde à vue, y compris pour des infractions mineures. Dans sa décision, le Conseil a relevé plus de 790 000 gardes à vue consignées pour la seule année 2009. Il a également noté que la plupart des jugements définitifs rendus dans les affaires pénales étaient fondés uniquement sur les éléments recueillis avant la fin de la garde à vue, même dans des procédures portant sur des faits particulièrement complexes ou graves. Il a estimé que des évolutions aussi importantes du recours à la garde à vue devaient être accompagnées des garanties nécessaires pour le respect des droits de la défense. Il a constaté que, selon le Code de procédure pénale, les personnes placées en garde à vue ne bénéficiaient pas de l’assistance effective d’un avocat et n’étaient pas informées de leur droit de garder le silence. Par conséquent, il a conclu que les dispositions régissant la garde à vue pour les infractions de droit commun étaient inconstitutionnelles.

Par ailleurs, Amnesty International est préoccupée par le maintien des règles encore plus restrictives s’appliquant aux personnes en garde à vue qui sont soupçonnées de graves délits liés au crime organisé, d’infractions ayant trait au terrorisme ou de trafic de stupéfiants. Le Conseil constitutionnel a choisi de ne pas réexaminer ces dispositions car il avait précédemment décidé qu’elles étaient justifiées par la complexité et la gravité de ces cas.

Les personnes soupçonnées d’avoir commis un certain nombre de graves délits liés au crime organisé ne sont autorisées à consulter un avocat que 48 heures après le début de leur garde à vue. Celles soupçonnées d’implication dans des infractions ayant trait au terrorisme ou au trafic de stupéfiants ne peuvent voir un avocat qu’au bout de 72 heures. Si elle est prolongée, la garde à vue pour ces types de faits peut durer jusqu’à trois ou quatre jours respectivement. Les restrictions de l’accès aux services d’un avocat applicables aux personnes soupçonnées d’infractions de droit commun s’appliquent également sous ce régime spécial.

Amnesty International engage les législateurs français à veiller à ce que le nouveau régime de garde à vue respecte pleinement les engagements internationaux en matière de droits humains, qui recommandent que les détenus bénéficient de l’assistance effective d’un avocat, y compris pendant l’interrogatoire, dès le début de leur détention et tout au long de celle-ci.

En particulier, l’organisation invite le gouvernement et le Parlement français à s’assurer que les nouvelles dispositions garantissent que toute personne privée de liberté dans le cadre d’une garde à vue, quels que soient les faits dont elle est soupçonnée :

  soit informée de ses droits, notamment ceux d’être assistée par un avocat et de garder le silence ;
  puisse être assistée par un avocat dès le début de sa détention et tout au long de celle-ci, y compris pendant tout l’interrogatoire, sans limite de la durée de ses entretiens avec son avocat ;
  puisse être examinée par un médecin de son choix dès le début de la garde à vue ;
  puisse informer une personne de son choix de sa détention et du lieu de celle-ci dès le début de la garde à vue.

En outre, ces dispositions doivent permettre aux avocats de consulter le dossier que les autorités possèdent au sujet de leur client.

Amnesty International appelle également les législateurs français à faire en sorte que les nouvelles dispositions rendent obligatoire l’enregistrement vidéo et audio de toutes les gardes à vue et interrogatoires, que du matériel audio et vidéo soit installé dans tous les lieux où des détenus sont susceptibles d’être présents (y compris dans les espaces communs et les cellules individuelles), et que tous les responsables de l’application des lois soient tenus de porter de manière visible un matricule ou une autre forme d’identification lorsqu’ils ont recours à la force, qu’ils procèdent à des arrestations, et au cours des interrogatoires.

Enfin, l’organisation exhorte les autorités françaises à veiller à ce qu’une enquête indépendante, impartiale et efficace soit menée dans les meilleurs délais sur toute allégation faisant état de torture ou d’autres mauvais traitements lors d’une garde à vue.

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