Au cours de son procès, Pannir a nié avoir été au courant qu’il transportait une drogue interdite. Un juge de la Haute Cour de Singapour, en le déclarant coupable, a conclu qu’il avait fait office de « coursier » car son rôle s’était limité au transport de stupéfiants. Selon la Loi relative à l’usage illicite de stupéfiants, les juges singapouriens ont la possibilité de ne pas prononcer la peine de mort si la personne déclarée coupable n’a été qu’un « coursier », à condition que le ministère public délivre un certificat indiquant qu’elle a coopéré avec les autorités. Cependant, non seulement ces certificats reportent de fait la décision de la condamnation des mains du juge à celles du ministère public, mais ils sont en outre délivrés ou retirés par un processus qui manque de transparence.
Pannir s’est vu refuser ce certificat et a été condamné à mort. Sept ans après, il reste incarcéré dans le couloir de la mort. Dans cet article, sa sœur Angelia raconte ce que c’est que d’avoir un frère qui risque d’être exécuté à tout moment et explique pourquoi elle continuera de faire campagne tant que sa condamnation n’aura pas été annulée.
Pendant son enfance, Pannir pratiquait de nombreux loisirs : football, course à pied, jeux vidéo, musique et mode. Nous participions régulièrement à des camps religieux et des activités destinées aux jeunes, ce qui a créé des liens et des souvenirs durables entre nous.
Je me souviens des nuits de Deepavali que nous passions dans le magnifique village de ma tante, entourés d’arbres fruitiers et de rivières, réveillés par le chant des oiseaux. La veille au soir, nous jouions aux cartes, sirotions du teh tarik chaud, et le petit déjeuner était toujours déjà installé sur la table, prêt pour le lendemain matin. Le menu était souvent composé de tosai avec du curry de poulet.
Parmi les souvenirs précieux de notre enfance figurent aussi les vacances en famille. Pendant Hari Raya, l’une des plus importantes fêtes célébrées par les musulmans en Malaisie, notre père nous emmenait rendre visite à des proches dans la région des Cameron Highlands, où nous avons grandi. Nous fêtions Raya avec notre famille malaise, passant des moments inoubliables tous ensemble.
Avec du recul, ces souvenirs de rassemblements religieux, de brise vivifiante et de joies de l’enfance semblent être un rêve que nous aimerions revivre – une époque de bonheur qui nous est toujours chère.
Quand nous avons entendu qu’il avait été condamné à mort pour avoir importé 51,84 grammes d’héroïne, nous étions sous le choc
Mais quand Pannir a grandi, les choses ne se sont pas passées comme nous l’attendions. Il est devenu plus rebelle. La communication était de plus en plus difficile. Il a travaillé comme assistant d’entrepôt dans une usine à Ipoh, une ville du nord-ouest de la Malaisie, avant de partir finalement pour Singapour, où il a vendu des manuels scolaires avant de devenir agent de sécurité, en enchaînant parfois deux services.
J’ai été informée des problèmes de Pannir par ma sœur, Sangkari. Elle et mon père ont appris que Pannir avait été arrêté via l’assistant d’un pasteur et l’un de ses colocataires à Singapour.
Quand nous avons entendu qu’il avait été condamné à mort pour avoir importé 51,84 grammes d’héroïne, nous étions sous le choc. Nous ne pouvions pas en croire nos oreilles. Comment cela avait-il pu se produire ? Je n’arrêtais pas de penser à la situation inextricable dans laquelle il se trouvait. Comment en était-il arrivé là ?
Nous étions submergés par la confusion et le chagrin. L’incertitude et la peur nous paralysaient. Nous nous interrogions sur nos actions, en nous demandant s’il y avait quelque chose que nous avions manqué ou que nous aurions pu faire autrement. Les répercussions de ses actions ont envahi nos vies et nous laissaient aux prises avec diverses émotions : colère, tristesse et incrédulité.
C’était le début d’un parcours sombre et difficile, qui mettrait à l’épreuve notre foi, notre résilience et notre compréhension de la justice et de la clémence.
Ce n’est pas plus facile qu’avant
Cela fait près de 10 ans que Pannir a été condamné à mort. Même au bout d’autant de temps, ce n’est pas plus facile qu’avant.
Dans le couloir de la mort, Pannir doit demander la permission pour tout et tous ses mouvements sont surveillés. Nous essayons de lui rendre visite quatre fois par semaine ; une fois moi, la suivante ma sœur, et les deux autres mes frères.
On ne peut rien apporter dans la prison. Après nous être enregistrés, nous sommes fouillés entièrement, nos codes-barres sont lus et nos empreintes digitales relevées. Les portes de la prison s’ouvrent alors et se referment dès que nous sommes à l’intérieur. Nous marchons ensuite cinq à dix minutes dans ce qui ressemble à un tunnel. Nous passons plusieurs portails, une porte en acier, puis une autre.
Lorsque nous arrivons enfin, Pannir et moi parlons de tout : les changements récents en politique, l’histoire, l’intelligence artificielle, le droit, l’enseignement, les souvenirs d’enfance, la musique, la poésie et les grands leaders. Parfois, Pannir chante des chansons et lit ses poèmes. J’admire son talent, et nous ne manquons jamais de prier pour lui avant de partir. Soit nous prions pour lui, soit il prie pour nous.
Un sursis
L’un des moments les plus difficiles pour nous a été la semaine précédant la date fixée pour l’exécution de Pannir, qui était prévue le 24 mai 2019.
Je ne peux pas décrire complètement ce que nous ressentions, mais un jour, un mercredi, juste avant que nous déposions sa déclaration sous serment auprès du tribunal, Pannir a apporté son repas pour son petit déjeuner ou son déjeuner, du roti canai banjir, dans le parloir. Cela faisait très longtemps que nous ne l’avions pas vu manger. C’était un moment vraiment déchirant, surtout pour ma mère qui regardait son fils manger sans savoir si ce serait l’un de nos derniers instants ensemble. Nous regardions Pannir manger et nous parler. J’imprimais en silence ce moment dans ma mémoire. C’était vraiment un crève-cœur.
Nous avons été tellement soulagés lorsque la Cour d’appel de Singapour lui a accordé un sursis, la veille du jour où il devait être conduit à la potence.
L’un de ses moteurs est la prière et sa relation à Dieu
Cependant, depuis, il a été difficile pour ma mère de rendre visite à Pannir. Pendant la pandémie de COVID-19, les appels téléphoniques étaient autorisés en raison des restrictions de déplacement, mais seulement après de multiples demandes et requêtes. Maintenant que les frontières ont rouvert, les personnes qui sont en mauvaise santé, qui ont des problèmes médicaux ou qui sont des mères d’un certain âge ne peuvent toujours pas voyager et n’ont pas la possibilité de téléphoner. Je ne comprends pas pourquoi. En fin de compte, tous sont dans un couloir de la mort.
Pour le moment, Pannir tient le coup. L’un de ses moteurs est la prière et sa relation à Dieu. Pour garder l’esprit vif, il écrit constamment. Il adore lire de la poésie et créer des poèmes.
En lisant les notes qu’il a partagées avec moi, j’ai appris beaucoup de choses sur les poèmes, les rimes, les strophes et les nuances de la poésie. Pannir a écrit plus de 80 poèmes traitant de thèmes divers, et ses lettres sont soigneusement classées et consignées. Elles couvrent une diversité extraordinaire de sujets et racontent des histoires captivantes sur la vie et l’exploration de nouvelles idées.
Nous voulons garder Pannir en vie
Notre espoir pour l’avenir est de garder Pannir en vie. Cependant, à l’approche de l’audience prévue à la fin du mois, nous devons continuer de nous battre pour sa libération. Même si notre demande de certificat d’assistance substantielle a été rejetée, nous pensons que le ministère public devrait réexaminer sa décision pour reconnaître l’aide qu’il a fournie aux autorités. Une plus grande transparence est nécessaire.
Désormais, je dirige l’ONG Sebaran Kasih / Spread Love Malaysia [1] et nous avons absolument besoin d’une équipe bénévole pour nous aider à reprendre le dossier de Pannir du début à la fin, composée de membres mobilisés à tour de rôle. Il nous faut toute l’aide que nous pouvons obtenir. Nous sommes reconnaissants pour le soutien d’organisations telles qu’Amnesty International [2], mais nous avons besoin de plus d’aide. Qu’il soit en prison ou à l’extérieur, sa vie est précieuse. Ses talents uniques, ses contributions potentielles à la société et l’impact qu’il peut avoir sur d’autres personnes font partie des nombreuses raisons pour lesquelles il doit rester en vie.
Le gouvernement de Singapour doit avoir en tête qu’en exécutant les personnes reconnues coupables d’avoir transporté des stupéfiants, il les prive de la possibilité de s’amender et de contribuer positivement à la société. Traiter les causes sous-jacentes de la pauvreté et du manque de perspectives d’emploi est plus efficace que la peine capitale pour juguler le trafic de drogue. C’est une occasion pour Singapour de rejoindre le mouvement mondial en faveur d’un système de justice plus humain.
Cet article a initialement été publié par le magazine en ligne The Diplomat [3]