« La répression de manifestant·e·s qui a eu lieu le 26 janvier 2020 faisait tristement écho au passé brutal de la Gambie. Certes, la situation des droits humains dans le pays s’est considérablement améliorée depuis l’arrivée au pouvoir du président Adama Barrow. Toutefois, le recours à une force excessive par les forces de sécurité pour disperser des manifestant·e·s risque d’attiser les tensions et de ramener la Gambie aux heures sombres de la répression, a déclaré Marta Colomer, directrice adjointe par intérim du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International.
« Le 26 janvier au soir, des médias ont cité des professionnels de la santé indiquant que trois personnes avaient été tuées et que beaucoup d’autres avaient eu une jambe cassée lors d’affrontements avec les forces de sécurité, qui avaient utilisé du gaz lacrymogène pour disperser les manifestant·e·s. Les autorités affirment, pour leur part, qu’il n’y a pas eu de victimes. Elles doivent maintenant diligenter une enquête rapide, approfondie et efficace sur les allégations formulées et traduire en justice tous les responsables présumés.
« Personne ne doit être arrêté pour le simple fait d’avoir exercé ses droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique. Il faut que les autorités libèrent immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé leur droit de manifester sans violence. Nous les appelons également à permettre aux stations de radio qu’ils ont contraintes à fermer de rouvrir et à libérer les journalistes détenus. Les attaques contre la liberté de la presse doivent cesser.
« Le président Adama Barrow ne doit pas oublier sa promesse importante d’améliorer la situation des droits humains en Gambie. Il doit veiller à ce que les journalistes puissent mener leurs activités sans craindre de représailles et lever sans délai l’interdiction imposée aux organisations de la société civile. »
Complément d’information
Le 26 janvier, des affrontements ont éclaté à la périphérie de la capitale gambienne, Banjul. Des militant·e·s du mouvement Three Years Jotna (« Trois ans, il est temps ») avaient prévu de manifester pacifiquement contre la décision du président Adama Barrow de rester au pouvoir pendant cinq ans. Lorsqu’il avait pris ses fonctions en 2017, celui-ci avait promis de se retirer après trois ans.
La manifestation, autorisée dans un premier temps, a finalement été interdite. Elle a pris un tour violent lorsque des manifestant·e·s ont tenté de modifier leur itinéraire afin de se rapprocher du centre-ville, selon les informations recueillies. Les forces de sécurité ont alors utilisé du gaz lacrymogène pour disperser les manifestant·e·s, qui ont riposté en lançant des cailloux.
Dans une déclaration rendue publique le 26 janvier en fin de soirée, un porte-parole du gouvernement a confirmé l’arrestation de 137 manifestant·e·s, y compris le dirigeant de Three Years Jotna.
Par ailleurs, les autorités ont interdit ce mouvement, dont elles avancent qu’il n’est pas enregistré légalement. Elles ont annoncé la suspension des programmes de deux stations de radio FM – Home Digital FM, basée à Brikama, et King FM, installée à Tallinding Kunjang – en attendant les conclusions d’une enquête de police sur des violations présumées de leur licence. L’État a prétendu que ces deux stations FM étaient connues pour diffuser des messages incendiaires et servir de plateformes médiatiques qui incitaient à la violence, propageaient la peur et exhortaient les Gambien·ne·s, lors d’émissions en direct, à se joindre aux manifestant·e·s de Three Years Jotna, tout cela en vue de menacer la sécurité et la sûreté de la Gambie.
Lors d’un entretien avec le président Adama Barrow qui a eu lieu en mai 2019 à Banjul, la capitale, des délégué·e·s d’Amnesty International ont souligné les progrès considérables accomplis depuis son investiture, deux ans auparavant, tout en attirant son attention sur les graves violations des droits humains auxquelles il fallait s’attaquer de toute urgence en Gambie.
Le 25 janvier 2020, des centaines de Gambien·ne·s ont manifesté afin de réclamer justice pour les atteintes aux droits humains, y compris les disparitions forcées, les viols et les meurtres, commises sous le régime de l’ancien président Yahya Jammeh, resté 22 ans au pouvoir. Le 16 janvier, des sympathisant·e·s de cet homme s’étaient rassemblés pour défendre son droit de rentrer d’exil.