communiqué de presse

Gambie. La Loi principale soulève de graves préoccupations en matière de droits humains

La loi de 2013 portant modification du Code pénal, également appelée « Loi principale », a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale gambienne mardi 16 avril. Amnesty International craint que le gouvernement n’utilise ce texte pour restreindre les droits humains fondamentaux, allant ainsi à l’encontre des obligations régionales et internationales qui lui incombent en la matière. Les articles 114 et 167 pourraient en particulier servir à limiter les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. De plus, l’article 167 bafoue le droit à la non-discrimination [1].

1. Liberté d’expression, d’association pacifique et de réunion

En application de l’article 114, chapitre 10, volume III du Code pénal de 2009, relatif à la communication de fausses informations à un fonctionnaire, les autorités gambiennes auraient arrêté et poursuivi des journalistes, des militants des droits humains, des opposants politiques et d’autres personnes ayant simplement critiqué les autorités. La Loi principale élargit la définition du fonctionnaire énoncée à l’article 114 pour y inclure le président, le vice-président, les ministres et les membres de l’Assemblée nationale. Le nouveau texte renforce également les sanctions encourues par les personnes qui communiquent de fausses informations à un fonctionnaire : les peines d’emprisonnement passent de six mois à cinq ans et les amendes des 500 dalasis (environ 15 dollars) à 50 000 dalasis. De nombreux journalistes, militants des droits humains et avocats gambiens ont dit à Amnesty International craindre que ces modifications ne permettent aux autorités de commettre de nouvelles violations des droits humains et de punir plus sévèrement celles et ceux qui ne font qu’exercer leur droit à la liberté d’expression.

L’article 167 de la nouvelle loi, qui traite des atteintes à l’ordre public, sanctionne notamment les personnes qui « se disputent » ou « tentent de se disputer », « profèrent des insultes violentes » (alinéa h) ou « entonnent des chansons grossières » (alinéa i). Ces termes vagues laissent une trop grande marge d’interprétation et d’application qui n’est pas conforme aux normes internationales en matière de droits humains. Par exemple, d’après les interprétations du droit international faisant autorité dans ce domaine, notamment l’Observation générale n° 34 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la liberté d’expression ne peut être restreinte ou interdite au seul motif que les opinions exprimées puissent choquer, offenser ou déranger certaines personnes.

Les droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association sont garantis par l’article 25 de la Constitution gambienne, par les articles 9, 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, que la Gambie a ratifiée en 1983, et par les articles 19, 21 et 22 du PIDCP, auquel la Gambie a adhéré en 1979.

Le PIDCP dispose clairement que ces droits ne peuvent faire l’objet de restrictions que lorsque celles-ci sont prévues par la loi et nécessaires (dans une société démocratique) à l’un des objectifs légitimes suivants : le respect des droits ou de la réputation d’autrui ; la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Ce principe de nécessité exige qu’en toutes circonstances, les restrictions imposées soient proportionnelles au but légitime recherché.

Les organismes internationaux de défense des droits humains ont souligné que la portée des restrictions ne doit pas compromettre les droits en eux-mêmes. Les restrictions imposées par la nouvelle loi sont si vastes que le gouvernement pourrait s’en servir pour limiter la liberté d’expression.

L’article 167 érige en infraction pénale le fait de s’habiller en femme pour un homme. Or le choix d’une tenue vestimentaire relève de l’exercice de la liberté d’expression. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est penché sur la question des restrictions vestimentaires principalement dans le contexte du droit à la liberté de pensée, de religion et de conscience. Cependant, il apporte un large soutien à la liberté d’expression dans sa jurisprudence. Il a notamment précisé que le fait d’invoquer une culture ou une tradition majoritaire ne répondait à aucun objectif légitime justifiant d’imposer des restrictions à des tenues vestimentaires portées pour des raisons religieuses ou de convictions. De plus, interdire totalement certaines tenues en fonction de stéréotypes liés au genre non seulement bafoue le droit à la non-discrimination (voir ci-dessous) mais, en outre, ne sert aucun but légitime, ce qui va à l’encontre des exigences du PIDCP.

2. Droit à la non-discrimination

Outre le fait de restreindre la liberté d’expression en érigeant en infraction pénale certains choix vestimentaires, l’article 167 de la Loi principale permet de poursuivre en justice les hommes qui travaillent dans l’industrie du sexe et prévoit des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ou des amendes de 20 000 dalasis (610 dollars environ) [2]. De telles dispositions rendent souvent difficiles les efforts déployés en matière de santé publique pour aider les hommes qui se prostituent. En réalité, la pénalisation du travail du sexe et des activités connexes est de plus en plus considérée par les bailleurs de fonds et les spécialistes internationaux comme un obstacle majeur dans la lutte contre le VIH/sida à l’échelle mondiale : elle empêche les travailleurs du sexe – et parfois leurs clients – de prendre les précautions nécessaires pour réduire le risque de transmission, et elle dissuade les travailleurs du sexe de se faire dépister ou de se rendre dans des centres de soins car ils craignent de se faire arrêter.

En faisant des hommes qui s’habillent en femmes et des travailleurs du sexe des délinquants potentiels, la Loi principale réserve un traitement particulier aux membres d’un groupe minoritaire déjà marginalisé et en proie à la discrimination. Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) font bien trop souvent l’objet d’arrestations et d’actes de harcèlement en Gambie. En avril 2012, 18 hommes et deux femmes ont été arrêtés et inculpés de « tentative de commettre des crimes contre nature » et de « complot en vue de commettre une infraction majeure  ». Le fait que certains accusés portaient des vêtements de femme a été utilisé par le parquet comme élément à charge. L’affaire a été classée sans suite au mois d’août, en raison du manque de preuves. Le président Yahya Jammeh a plusieurs fois menacé de tuer des lesbiennes ou des gays, ou de les faire expulser du pays.

Le droit à la non-discrimination est protégé par l’article 2 de la Charte africaine, l’article 2(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’article 2(2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). De plus, dans ses articles 3 et 26, le PIDCP garantit l’égalité des hommes et des femmes devant la loi et l’égale jouissance des droits pour tous.

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, dont le siège se situe à Banjul, a déclaré dans son 21e rapport d’activité : « Outre l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi, le principe de non-discrimination énoncé dans l’article 2 de la Charte est fondamental pour garantir l’exercice de tous les droits fondamentaux. L’objectif de ce principe est d’assurer une égalité de traitement pour toutes les personnes, quels que soient leur nationalité, leur sexe, leur origine ethnique, leurs opinions politiques, leur religion ou leurs croyances, leur handicap, leur âge ou leur orientation sexuelle [3]. »

Au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR), les États parties sont tenus de mettre un terme aux discriminations, étant donné que le principe de non-discrimination relève des droits humains les plus fondamentaux. La CEDAW dispose que les États doivent prendre des mesures appropriées afin de « parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. » Si l’on considère que, par ailleurs, les États ont l’obligation générale de mettre en œuvre les droits humains et de prendre toutes les initiatives nécessaires pour lutter contre les discriminations, les États parties à la CEDAW sont donc tenus de supprimer les lois et les pratiques fondées sur des stéréotypes de genre discriminatoires, notamment sur l’idée que certains types de vêtement ne peuvent être portés que par l’un ou l’autre sexe.

De plus, l’orientation sexuelle relève de l’identité intime et profonde d’une personne. Or, selon un principe bien établi du droit international relatif aux droits humains, l’interdiction générale de la discrimination concerne également les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. C’est pourquoi les tribunaux régionaux des droits humains et d’autres instances juridictionnelles ont examiné avec une attention particulière les motifs de distinction fondés sur l’orientation sexuelle. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a notamment affirmé de manière catégorique que les distinctions fondées sur l’orientation sexuelle doivent être « raisonnables et objectives »  [4].

Cette définition ne pourrait s’appliquer aux distinctions établies par la Loi principale car elles différencient les travailleurs du sexe adultes en fonction de leur genre ou selon le type de services sexuels qu’ils proposent (sans être soumis à aucune violence ou contrainte).

Toute personne adulte doit pouvoir prendre ses propres décisions concernant sa vie ou ses moyens de subsistance, et les gouvernements sont tenus de créer un environnement favorable pour que ces décisions soient prises librement, de façon éclairée et dans le respect du principe d’égalité. La pénalisation de la prostitution dessert cet objectif, notamment car elle aggrave les risques d’extorsion et de violences policières au lieu de les atténuer.

Recommandations :

Amnesty International appelle le gouvernement de la Gambie à prendre les mesures suivantes :

  • Revoir et modifier les articles 114 et 167 (alinéas h et i) de la Loi principale de façon à les mettre en conformité avec les obligations incombant à la Gambie aux termes du droit international relatif aux droits humains. En attendant, le gouvernement doit faire en sorte que les droits des personnes soient respectés en :
     veillant à ce que l’article 167 (alinéas h et i) soit interprété et appliqua de façon raisonnable et légitime, sans compromettre les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ;
     garantissant que, concernant l’article 114 relatif à la communication de fausses informations aux fonctionnaires, policiers, juges et avocats, il soit prouvé au-delà de tout doute raisonnable que la personne savait ou pensait que l’information était fausse et qu’elle cherchait, dans un but précis ou escompté, à tromper le fonctionnaire pour qu’il agisse de façon inappropriée ou s’abstienne d’agir, de la manière décrite dans l’article.
  • Veiller à ce que tous les Gambiens, y compris les travailleurs du sexe, soient à même d’exercer leurs droits humains et de mener une vie libre de toute crainte, violence et discrimination en :
    abrogeant les lois qui sont contraires aux obligations régionales et internationales de la Gambie en matière de droits humains, notamment l’article 167(j) de la Loi principale et les articles 135, 136, 144 et 147 du Code pénal.

Notes

[1Les problématiques et dispositions présentées ci-dessous ne sont pas exhaustives mais illustrent les préoccupations en matière de droits humains soulevées par la Loi principale. Si ces exemples ne visent pas nécessairement à présenter une analyse complète de la législation au regard des droits humains, ils montrent en quoi il est indispensable de réexaminer et de modifier le nouveau texte législatif.

[2La prostitution masculine est considérée comme un délit au titre de l’article 135 du Code pénal (et la prostitution féminine au titre de l’article 136). L’article 144 du Code pénal tel qu’amendé en 2005 érige en « crimes contre nature » les rapports sexuels entre personnes de même sexe, et les rend passibles d’une peine de prison maximale de 14 ans. L’article 147(1) érige en infraction pénale les « pratiques contraires aux bonnes mœurs » entre deux hommes, et l’article 147(2), dans sa version modifiée en 2005, les « actes d’une indécence grave » entre deux femmes, notamment « tout acte homosexuel », les rendant passibles « d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ».

[321e Rapport d’activités de la Commission africaine des droits de l’homme et des peoples, 10e session ordinaire, Addis- Abeba (Ethiopie), 25-27 janvier 2007, EX.CL/322 (X), para. 169, p. 88. Disponible en anglais sur : http://www.achpr.org/activity-reports/21/.

[4Voir Toonen c. Australie, (CCPR/C/50/D/488/1992), Comité des droits de l’homme des Nations unies, 4 avril 1994. Disponible en anglais sur : http://www.unhcr.org/refword/docid/48298b8d2.html

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