GÉORGIE - Il faut reléguer au passé les actes de torture et les mauvais traitements

Index AI EUR 56/003/2006

Tbilissi - Amnesty International se félicite de l’écoute de l’ensemble des autorités géorgiennes quant à la nécessité de s’attaquer à un problème bien ancré dans le pays, la torture et les mauvais traitements, de leur volonté de dialogue et de l’adoption de certaines mesures constructives.

« Sur fond d’informations persistantes faisant état d’atteintes aux droits humains, il est désormais capital que toutes les autorités compétentes veillent à ce que les promesses de réforme soient fermement et irrévocablement tenues, a déclaré Nicola Duckworth, directeur du Programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« Les plus hautes sphères doivent faire la preuve indéniable de leur volonté politique afin que la Géorgie se dote d’un plan d’action global et cohérent contre la torture, qui couvre la capitale ainsi que toutes les régions du pays et dispose des ressources requises. C’est un problème persistant et complexe qui nécessite une réponse de longue haleine, durable et clairvoyante. »

Depuis l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement en Géorgie il y a deux ans, à la faveur de la « révolution de la rose », Amnesty International suit de près l’engagement et les actions des autorités quant à des problèmes clés en matière de droits humains. Du 30 janvier au 1er février 2006, des délégués de l’organisation ont rencontré le procureur général Zourab Adeichvili, le ministre de l’Intérieur Ivane Merabichvili, le médiateur Sozar Soubari, la présidente du Comité des droits humains du parlement géorgien Elene Tevdoradze et le vice-président du Comité des affaires juridiques du parlement Giga Bokeria, ainsi que le responsable du bureau de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Géorgie, Roy Reeve, et des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) géorgiennes. Les délégués ont attiré leur attention sur les préoccupations et recommandations exposées dans le rapport récemment publié par Amnesty International sous le titre Georgia : Torture and ill-treatment — still a concern after the "Rose Revolution".

Ce rapport présente de nombreuses affaires postérieures à la « révolution de la rose », dans lesquelles les détenus témoignent des diverses techniques de torture et de mauvais traitements employées, notamment les décharges électriques, la pose de sacs en plastique sur la tête, la suspension à une barre entre deux tables, les brûlures de cigarette et de bougie, le placement du canon d’une arme à feu dans la bouche en menaçant de tirer, les menaces proférées à l’encontre de membres de la famille et les coups de matraque et de crosse de fusil, ainsi que les coups de pied.

Bien des cas de torture et de mauvais traitements n’apparaissent toujours pas au grand jour, les policiers occultant leurs crimes et les détenus redoutant de porter plainte ou d’identifier les responsables par crainte de représailles. En outre, de graves lacunes ont caractérisé la mise en application des garanties juridiques visant à prévenir la torture et les mauvais traitements. Bien souvent, les auteurs de tels agissements ont échappé à la justice, car les enquêtes démarraient tardivement - lorsqu’elles étaient ouvertes.

Amnesty International a noté un certain nombre d’améliorations, comme la surveillance accrue des centres de détention relevant de la compétence du ministère de l’Intérieur et les modifications de la loi visant à renforcer les garanties contre la torture et les mauvais traitements. D’autre part, à la connaissance de l’organisation, 12 agents de la force publique reconnus coupables de tels agissements ont été incarcérés en 2005.

Toutefois, les délégués ont rappelé qu’il faut encore mettre en œuvre certaines mesures fondamentales, notamment enquêter dans les meilleurs délais, de manière approfondie et impartiale, sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, déférer à la justice les auteurs présumés et prononcer des condamnations correspondant à la gravité des infractions. D’autre part, ils ont mis l’accent sur des recommandations capitales qui permettront de consolider les progrès accomplis, notamment :

 interdire l’utilisation de masques ou d’autres accessoires permettant de cacher l’identité des policiers, sauf dans les cas où de telles mesures sont nécessaires pour la protection ou la sécurité des agents de l’État concernés ou pour des raisons similaires. Il importe alors tout particulièrement que chaque agent, y compris au sein de l’unité spéciale de la police, soit identifiable au moyen d’un numéro qui lui soit propre ;

 suspendre immédiatement de ses fonctions tout membre des forces de l’ordre qui fait l’objet d’une enquête pour de graves violations des droits humains, en attendant les conclusions de la procédure disciplinaire et militaire engagée contre lui ;

 mettre en place une instance indépendante de la police, du bureau du procureur et de la justice, qui soit chargée d’examiner en détail les enquêtes menées par des responsables de l’application des lois sur les allégations de torture et de mauvais traitements, ainsi que la procédure judiciaire dans de telles affaires. Cette instance doit être habilitée à présenter ses conclusions, à faire des recommandations aux autorités concernées et à publier un rapport ;

 accorder une attention particulière à l’éradication de la torture et des mauvais traitements en dehors de la capitale, Tbilissi, dans les différentes régions de Géorgie.

Au cours de ces réunions placées sous le signe du dialogue constructif, les représentants de l’État se sont engagés à prendre davantage en considération certaines recommandations et à poursuivre le dialogue. Le ministre de l’Intérieur a assuré qu’il se pencherait davantage sur la question de la suspension des responsables de l’application des lois soumis à une enquête officielle sans attendre qu’ils soient inculpés d’une grave violation des libertés fondamentales, ainsi que sur la question de faire porter aux policiers dont l’identité est cachée des numéros d’identification uniques. Tous se sont déclarés disposés à renouveler le plan national d’action contre la torture, qui s’est achevé fin 2005, sans toutefois être en mesure de dire concrètement quel organisme serait chargé de coordonner ce plan pour 2006 et les années suivantes.

« L’impunité dans les affaires de torture et de mauvais traitements doit désormais être reléguée au passé. Les autorités doivent catégoriquement dénoncer ces agissements et prendre des mesures résolues pour que la police, ainsi que l’opinion publique, sachent qu’ils ne seront pas tolérés. L’ouverture, la transparence et la responsabilisation tout au long de ce processus ne peuvent qu’accroître la confiance de la population dans la capacité des autorités à lutter contre ce problème persistant », a conclu Nicola Duckworth.

Complément d’information

Lorsque le gouvernement est arrivé au pouvoir à la faveur de la « révolution de la rose » en novembre 2003, il a hérité d’un système dans lequel la torture et les autres formes de mauvais traitements étaient très répandus et les auteurs de tels agissements rarement punis. La situation semble s’être détériorée dans les mois qui ont suivi le changement de gouvernement. Cependant, au cours du second semestre 2004, le gouvernement a reconnu la nécessité de s’attaquer au problème de la torture et des mauvais traitements et l’a inscrit parmi ses priorités en matière de droits humains.

Le bilan du gouvernement en matière de droits humains est ambivalent. Si des progrès ont été réalisés sur certains aspects de la protection de ces droits, Amnesty International est de plus en plus préoccupée par les informations selon lesquelles les services du procureur et d’autres entités gouvernementales font pression sur les autorités judiciaires, le gouvernement ne respecte pas la liberté des médias, en particulier s’agissant de la télévision, et les responsables de l’application des lois ont recours à la force de manière excessive. En outre, certains auteurs d’agressions violentes contre des fidèles de confessions minoritaires qui ont eu lieu ces dernières années ont été traduits en justice ; mais des centaines d’autres continuent de jouir d’une totale impunité. Par ailleurs, l’organisation redoute que des personnes ne soient extradées ou renvoyées de force vers des pays où elles risquent d’être victimes de graves violations des droits humains comme la torture. Enfin, de nombreuses questions ne sont pas résolues s’agissant des régions séparatistes non reconnues par la communauté internationale - l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

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