Déclaration publique
Index AI : EUR 56/001/2010 -
ÉFAI -
10 mai 2010
Amnesty International rejette les fausses accusations formulées par le ministère géorgien des Affaires intérieures le 30 mars , selon lesquelles l’organisation aurait publié des informations inexactes au sujet des exportations d’équipements de police et de sécurité par des États membres de l’Union européenne (UE) à destination de la Géorgie dans son rapport intitulé From Words to Deeds : Making the EU Ban on the trade in ‘tools of torture’ a reality (index AI : EUR 01/004/2010).
Amnesty International regrette que le ministère, d’après sa déclaration, ait mal interprété les informations concernant la Géorgie fournies dans ce document, qui s’appuient sur des données publiées par les gouvernements tchèque et allemand ainsi que sur les rapports publics du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture.
La Géorgie est mentionnée deux fois dans le rapport d’Amnesty International. D’abord, ce document indique qu’en 2006, des exportations d’équipements de police et de sécurité d’une catégorie comprenant les dispositifs à décharges électriques, les entraves et les aérosols de produits chimiques ont été autorisées depuis la République tchèque vers six pays dont la Géorgie . Cette information est fondée exclusivement sur des données fournies par le ministère tchèque de l’Industrie et du Commerce lui-même . Si une quelconque inexactitude figure dans ces données, elle relève du gouvernement de la République tchèque.
Comme le note le rapport d’Amnesty International, ces types d’équipements ne figurent pas sur la liste d’équipements interdits à l’exportation par le droit européen, et ils peuvent avoir des usages légitimes pour le maintien de l’ordre dans certaines circonstances restreintes lorsque leur utilisation est réglementée conformément aux obligations internationales en matière de droits humains et aux meilleures pratiques d’application des lois. Cependant, aux termes du droit européen, leur exportation est contrôlée en raison de leur propension à être employés de manière abusive pour des actes de torture et d’autres mauvais traitements si ces normes ne sont pas suffisamment observées.
Le rapport d’Amnesty International ne formule aucune accusation à l’égard des utilisateurs finaux ou de l’utilisation de ces équipements, mais précise en revanche que les informations fournies par le gouvernement tchèque au sujet de ces exportations depuis son territoire sont insuffisantes pour juger si les autorités tchèques ont agi avec la diligence requise, étant donné les nombreux cas de torture et d’autres mauvais traitements signalés aux mains de certaines unités de maintien de l’ordre en Géorgie, qui pourraient avoir été perpétrés à l’aide de ces types d’équipements – par exemple, certaines sources font état de torture au moyen de décharges électriques dans ce pays . Les informations fournies par le gouvernement tchèque quant aux utilisateurs finaux et à la potentielle utilisation finale de ces équipements étant limitées, il est impossible pour le parlement tchèque ou le public de déterminer si, sans tous les cas, l’État tchèque avait procédé comme il se doit à une évaluation rigoureuse des risques d’utilisation abusive avant l’exportation, comme l’exige le droit européen.
En ce qui concerne cette évaluation des risques, le rapport d’Amnesty International relève des informations crédibles, publiées juste avant que ces exportations ne soient autorisées, faisant état de torture et d’autres formes de mauvais traitements dans plusieurs de ces pays de destination, dont la Géorgie. L’organisation y cite le rapport remis en 2005 par le rapporteur spécial sur la torture, qui soulignait que « parmi les méthodes de torture [employées par les forces de l’ordre] figuraient les coups de poing, de crosse d’arme à feu et de matraque, ainsi que le recours à des décharges électriques » (c’est Amnesty International qui souligne), parce qu’il s’agissait des dernières informations des Nations unies au sujet de la torture en Géorgie dont disposait le gouvernement tchèque lorsqu’il a décidé en 2006 d’autoriser l’exportation d’équipements de police et de sécurité comprenant des dispositifs à décharges électriques vers ce pays.
Le ministère des Affaires intérieures a affirmé qu’Amnesty International avait cité de manière inexacte le rapport sur la Géorgie présenté en 2005 par le rapporteur spécial. Ce n’est pas le cas. Et le rapport du rapporteur spécial ne révèle pas non plus uniquement des cas de torture datant d’avant 2005, comme l’indique le ministère : ce document précise qu’« un grand nombre d’allégations récentes ont également été portées à l’attention du rapporteur spécial au cours de sa mission [de 2005], dont certaines émanent de personnes avec qui il s’est entretenu », il souligne que « comme l’a reconnu le gouvernement lui-même, la pratique de la torture et d’autres mauvais traitements persiste dans le pays », et il met en avant des préoccupations concernant l’impunité persistante à l’époque pour la torture et les autres formes de mauvais traitements . Tout en notant de récentes évolutions positives de la législation et des pratiques de maintien de l’ordre et de détention, le rapporteur spécial concluait dans son rapport de 2005 « que la torture et les autres mauvais traitements aux mains de responsables de l’application des lois exist[ait] toujours en Géorgie » .
Des informations plus récentes laissent également penser que, malgré les améliorations et les mesures notables prises par le gouvernement géorgien à cet égard, la torture et les autres mauvais traitements commis par des agents de la force publique restent un sujet de préoccupation en Géorgie . En outre, des cas de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ont continué d’être signalés ces dernières années.
Par ailleurs, le rapport d’Amnesty International indique que, selon des informations parues dans les médias allemands en 2007, des fonctionnaires des douanes allemandes auraient repéré des exportations non autorisées de dispositifs à décharges électriques depuis l’Allemagne vers quatre pays dont la Géorgie. Des journalistes de télévision ont recueilli cette information lors d’une entrevue avec un agent du Bureau d’enquête des douanes allemandes ; leur reportage n’est plus disponible en ligne, mais une transcription des commentaires filmés de ce fonctionnaire est conservée dans les archives d’Amnesty International . Cette découverte a été confirmée par le Bureau d’enquête des douanes allemandes à un groupe de 45 députés allemands qui ont ensuite proposé une résolution parlementaire sur cette question . Ni ces députés, ni le rapport d’Amnesty International ne prétendent que ces dispositifs étaient destinés au ministère des Affaires intérieures de Géorgie, et il est fréquent dans ce type d’opérations illicites que le gouvernement de l’État de destination ne soit pas au courant de l’importation de ces équipements sur son territoire.
Complément d’information
En 2006, l’Union européenne (UE) a mis en place les premiers contrôles des échanges multilatéraux au monde pour interdire le commerce international d’équipements qui n’ont aucun autre usage pratique que la peine capitale, la torture ou d’autres mauvais traitements, ainsi que pour surveiller le commerce d’un certain nombre d’équipements de police et de sécurité fréquemment employés de manière abusive pour ce type de sévices. Le règlement 1236/2005 du Conseil comble une importante lacune dans les contrôles des exportations fondés sur la protection des droits humains. Il a instauré des contrôles commerciaux obligatoires sans précédent sur certains équipements souvent utilisés pour commettre de graves violations des droits humains, mais qui ne sont généralement pas inclus dans les listes de contrôles militaires, à double usage ou stratégiques des exportations des États membres.
Néanmoins, trois ans après son adoption, Amnesty International et l’Omega Research Foundation constatent que le règlement 1236/2005 du Conseil n’est toujours pas appliqué ou ne l’est que partiellement dans plusieurs États membres de l’UE, que des négociants de certains États membres ont continué de proposer à la vente des équipements expressément interdits à l’importation et à l’exportation depuis et vers l’UE parce qu’ils n’ont aucun autre usage pratique que la torture ou d’autres mauvais traitements, et que plusieurs lacunes du règlement permettent toujours à des négociants de certains États membres de mener des activités commerciales non réglementées concernant des équipements et services qui ont été utilisés aux fins de torture et d’autres mauvais traitements par des membres de l’armée, des forces de sécurité et de la police dans le monde. Parmi ces objets figurent notamment des barres à pointes, des « poucettes » métalliques, et des « manches » et « menottes » destinées à administrer des décharges électriques de 50 000 volts à des prisonniers ou des détenus.
Le rapport rédigé conjointement par Amnesty International et l’Omega Research Foundation vise à faciliter et guider un processus mené par l’UE qui évalue actuellement la mise en œuvre et l’efficacité du règlement 1236/2005 du Conseil. Il constitue une mise à jour d’un précédent rapport publié par ces deux organisations en février 2007, intitulé Union européenne. Mettre un terme au commerce des instruments de torture.
Documents d’Amnesty International :
Amnesty International / Omega Research Foundation, From Words to Deeds : Making the EU Ban on the trade in ‘tools of torture’ a reality, 17 mars 2010 (index AI : EUR 01/004/2010).
Amnesty International / Omega Research Foundation, Union européenne. Mettre un terme au commerce des instruments de torture, 27 février 2007 (index AI : POL 34/001/2007).