Google a l’intention de lancer une application de recherche respectant la censure sur le marché chinois, ce qui pourrait compromettre définitivement la confiance que portent les utilisateurs à l’entreprise informatique. L’organisation a également signalé que le lancement de cette application constituerait un dangereux précédent pour les entreprises informatiques qui permettent aux gouvernements de violer les droits humains.
Elle a lancé une pétition internationale appelant le directeur général de Google, Sundar Pichai, à abandonner cette application, surnommée « projet Dragonfly », qui inscrirait des termes de recherche comme « droits humains » et « répression de Tiananmen » sur une liste noire. À la suite des protestations publiques émises par les employés de l’entreprise elle-même, Amnesty International sensibilise l’ensemble des salariés de Google au moyen de manifestations devant les locaux de l’entreprise et de messages ciblés sur LinkedIn les appelant à signer la pétition.
Une vidéo publicitaire parodique propose aux employés de Google de participer au projet Dragonfly, et s’achève par le slogan de Google légèrement modifié : « Don’t be evil – unless it’s profitable » (Ne soyez pas malveillants... sauf si ça rapporte).
« C’est un moment critique pour Google. En tant que propriétaire du moteur de recherche le plus utilisé au monde, l’entreprise devrait lutter pour qu’Internet soit un espace de libre accès à l’information, au lieu de soutenir la vision dystopique du gouvernement chinois, a déclaré Joe Westby, chercheur sur la technologie et les droits humains pour Amnesty International.
« De nombreux employés de Google ont dénoncé ce projet et ont refusé de participer à la manipulation de l’information et à la persécution des dissidents mises en œuvre par le gouvernement chinois. Par effet miroir, leur position courageuse et leur volonté de rester fidèles à leurs principes discréditent la direction de Google. Aujourd’hui, nous nous tenons aux côtés des employés de Google et nous leur demandons de joindre leurs voix à la nôtre pour appeler Sundar Pichai à abandonner le projet Dragonfly et à réaffirmer l’attachement de Google au respect des droits humains. »
Répression gouvernementale
La politique de censure et de surveillance en ligne menée par le gouvernement chinois est l’une des plus répressives au monde. En 2010, Google est publiquement sortie du marché des moteurs de recherche en Chine en dénonçant les restrictions de la liberté d’expression sur Internet. Le gouvernement chinois a depuis intensifié sa répression, et il semble difficile pour Google de veiller au respect des droits humains dans un tel environnement.
Le magazine en ligne The Intercept a obtenu des documents internes qui indiquent que le prototype d’application développé par Google dans le cadre du projet Dragonfly respecterait la censure chinoise en identifiant et en filtrant automatiquement les sites Internet bloqués en Chine, ainsi qu’en « inscrivant les recherches sensibles sur une liste noire ». Selon The Intercept, la liste noire élaborée par Google elle-même pour ce projet comprendrait notamment les termes « manifestation étudiante » et « prix Nobel » en chinois, de même que des groupes de mots qui sous-entendraient une critique du président chinois Xi Jinping.
Google serait également contrainte de coopérer avec les censeurs chinois pour sanctionner les publications liées aux questions sociales actuelles, telles que la réponse du gouvernement chinois au mouvement #MeToo, de plus en plus fédérateur, ou l’internement des minorités ethniques.
Le prototype d’application permettrait également aux autorités de surveiller plus facilement les recherches de chaque utilisateur, ce qui implique un réel risque pour Google d’aider le gouvernement chinois à arrêter ou incarcérer des individus. En Chine, les lois et la réglementation obligent les entreprises spécialisées dans les technologies à coopérer sans condition avec des inspections menées par des agents des services de sécurité de l’État.
Lancer le projet Dragonfly risquerait également de légitimer la position de la Chine vis-à-vis d’Internet : donner aux gouvernements un contrôle absolu sur les informations disponibles pour la population, ainsi que la possibilité d’accéder sans restriction à toutes les données en ligne concernant leurs citoyens. Un rapport récent de l’ONG Freedom House indique que la Chine exporte activement son modèle de contrôle d’Internet en proposant des formations à large échelle destinées aux hauts fonctionnaires étrangers, en fournissant des technologies à d’autres gouvernements et en contraignant des entreprises internationales à suivre ses règles, même hors du territoire chinois.
Lancer le projet Dragonfly risquerait également de légitimer la position de la Chine vis-à-vis d’Internet : donner aux gouvernements un contrôle absolu sur les informations disponibles pour la population, ainsi que la possibilité d’accéder sans restriction à toutes les données en ligne concernant leurs citoyens.
En réponse aux critiques sur le projet Dragonfly, Google a déclaré qu’elle tenait à respecter les droits fondamentaux de ses utilisateurs. Cependant, l’entreprise n’a pas expliqué comment elle prévoyait de concilier cet engagement avec un projet qui semble accepter la censure et la surveillance. La direction de Google a également tenté de passer outre les critiques en affirmant que l’entreprise se contentait d’étudier la possibilité de revenir sur le marché chinois des moteurs de recherche, et qu’elle ne savait pas si elle « allait ou pourrait » lancer un produit de ce type. Cependant, des commentaires émis par un haut responsable de Google ont fuité. Ils suggèrent que, avant que le projet ne soit rendu public, l’entreprise avait travaillé en vue de pouvoir lancer le projet Dragonfly le plus rapidement possible.
« Google doit cesser de louvoyer et prendre une décision. Choisit-elle de défendre un Internet libre, international et ouvert à tous ? Ou bien participera-t-elle à créer un monde où certaines personnes, dans certains pays, seront exclues des avantages d’Internet et verront leurs droits régulièrement bafoués en ligne ?, a déclaré Joe Westby.
« Si Google accepte de respecter les règles drastiques du gouvernement chinois en matière de censure, qu’est-ce qui l’empêchera de coopérer avec d’autres gouvernements répressifs qui contrôlent les flux d’information et surveillent leurs citoyens ? En tant que leader du marché, Google sait que ses actions vont instaurer un précédent pour les autres entreprises informatiques. Sundar Pichai doit prendre la bonne décision et abandonner définitivement le projet Dragonfly. »