Grèce. Amnesty International appelle le gouvernement à mettre en place un mécanisme véritablement indépendant chargé d’examiner les plaintes contre la police

Déclaration publique

Index AI : EUR 25/011/2009 (Public)-
ÉFAI -
21 décembre 2009

Le 12 décembre 2009, le ministre de la Protection des citoyens a rendu publique la version finale du projet de décret présidentiel visant à mettre en place un Bureau chargé d’examiner les affaires de plaintes contre le comportement arbitraire des représentants de la loi. Une première version avait été annoncée le 23 novembre, en même temps que l’ouverture d’une consultation publique de huit jours.

Amnesty International s’était inquiétée, dans un courrier adressé au ministre le 1er décembre 2009, que le mandat du Bureau, tel que défini dans le projet de décret présidentiel, ne reprenne pas les cinq principes définissant l’efficacité des enquêtes sur les plaintes contre les responsables de l’application des lois dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme. Ces principes sont les suivants : indépendance, pertinence, diligence, contrôle du public et association de la victime à la procédure. En outre, les propositions ne satisfont pas aux critères mis en avant dans l’Avis du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur le règlement indépendant et efficace des plaintes contre la police, ni les critères essentiels définis par Amnesty International pour un organisme indépendant chargé d’examiner les plaintes contre la police.

Les recommandations d’Amnesty International aux autorités grecques insistaient sur les points suivants :

Pour que le mécanisme destiné à gérer les plaintes contre la police soit indépendant :

il ne devra avoir aucun lien structurel ou organisationnel avec la police ; il pourrait avoir le statut de non-departmental public body - NDPB [acronyme désignant un organisme nommé par le gouvernement et qui remplit une mission de service public ; le régime des NDPB est caractérisé par le principe d’autonomie ], il pourrait s’agir par exemple d’un médiateur spécialisé de la police ou d’une Commission indépendante chargée de recevoir les plaintes contre la police.

Pour que le mécanisme destiné à gérer les plaintes contre la police soit efficace :

Il devra être autorisé à mener ses propres enquêtes et ne pas se limiter à recevoir, enregistrer et examiner les plaintes avant de les transmettre aux organes compétents en charge des enquêtes ;

il devra être autorisé à mener ses propres enquêtes sur toutes les allégations de violations graves des droits humains formulées contre des responsables de l’application des lois, y compris les morts en détention, les blessures et homicides par armes à feu, les actes de torture et autres mauvais traitements, les actes à caractère raciste et autres comportements discriminatoires ;

il devra avoir la capacité de recevoir et d’enregistrer les plaintes déposées directement par toute personne qui le souhaite, d’enquêter sur ces plaintes et de se saisir d’office lorsqu’il l’estime nécessaire, en l’absence de saisine par un tiers ;

il devra avoir le pouvoir et les moyens d’examiner immédiatement les lieux où les faits se sont déroulés et le pouvoir de convoquer des témoins et d’ordonner la communication de documents et de tout élément de preuve ;

il devra également avoir le pouvoir d’ordonner l’ouverture d’une procédure disciplinaire et de saisir directement le parquet lorsqu’il l’estime nécessaire.

Amnesty International note avec regret que la version finale du projet de décret présidentiel relatif à la création de ce Bureau, annoncée le 12 décembre, n’intègre pas la plupart de ces recommandations. D’un autre côté, Amnesty International note avec intérêt que, dans son message du 12 décembre 2009, le ministre de la Protection des citoyens a déclaré que son ministère avait l’intention de retenir certaines des propositions faites au cours de la consultation publique qui n’ont pas encore été intégrées à la version finale du projet de décret présidentiel et de les utiliser dans le cadre d’initiatives législatives qui seront présentées prochainement. Amnesty International souligne qu’un sujet aussi important que la création d’un mécanisme efficace chargé d’examiner les plaintes contre des responsables de l’application des lois exige une attention particulière et une consultation publique appropriée ; l’organisation espère en conséquence que la population pourra continuer à soumettre des commentaires avant que le projet ne soit finalisé.

Les recommandations d’Amnesty International ont pour origine l’inquiétude persistante suscitée par la passivité des autorités grecques face au non respect et à la non protection des droits humains par la police. Amnesty International a évoqué ces préoccupations dans toute une série de courriers adressés aux autorités grecques ainsi que dans plusieurs rapports au cours de ces dernières années. Entre autres recommandations, notre organisation a appelé les autorités grecques à prendre immédiatement des mesures pour briser la chaîne de l’impunité, notamment en instituant un mécanisme indépendant permettant d’enquêter sur les fautes qui auraient été commises par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions.

Les allégations persistantes d’actes de torture et autres traitements inhumains ou dégradants infligés par des responsables de l’application des lois à des personnes membres de groupes vulnérables tels que les migrants, les demandeurs d’asile ou les Roms, ainsi que de récentes informations parvenues à Amnesty International faisant état d’un recours à une force excessive contre des manifestants pacifiques par des responsables du maintien de l’ordre, soulignent la nécessité de mettre en place un mécanisme véritablement indépendant et efficace chargé de gérer les plaintes contre la police. Des motards de la police auraient notamment blessé des manifestants – l’un d’eux sérieusement – au cours de manifestations commémorant le premier anniversaire de la mort d’Alexis Gregoropoulos le 6 décembre 2009.

La nécessité de créer un mécanisme véritablement indépendant chargé d’examiner les plaintes contre la police a été soulignée par le Comité du Conseil de l’Europe pour la prévention de la torture (CPT) dans son rapport 2009, après sa visite ad hoc en Grèce en septembre 2008. Le CPT a déclaré que « (...) pour mettre définitivement un terme aux mauvais traitements par les responsables de l’application des lois, il est essentiel que soient mis en place des systèmes plus rigoureux garantissant que les allégations de mauvais traitements feront l’objet, dans des délais raisonnables, d’enquêtes approfondies et efficaces par une autorité indépendante et que les auteurs présumés de mauvais traitements seront punis en conséquence. En outre, il est important que le système soit transparent afin de regagner la confiance du public et d’apparaître comme équitable aux yeux des responsables de l’application des lois. » [traduction non officielle] Par ailleurs, dans son quatrième rapport sur la Grèce adopté le 2 avril 2009, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) recommande vivement « aux autorités grecques de créer un organe chargé de mener des enquêtes sur les cas présumés de discrimination raciale et de comportements à motivation raciste de policiers, qui soit indépendant de la police et des autorités de poursuites, conformément au Chapitre II, paragraphe 10) de sa Recommandation de politique générale n° 11 sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités de la police. »

Amnesty International souhaite également attirer l’attention sur le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation de l’aspect procédural de l’article 3 de la CEDH par la Grèce qui n’a pas mené d’enquête effective sur des allégations crédibles de mauvais traitements infligés par des policiers dans trois dossiers (Zelilof c. la Grèce, requête n° 17060/03, arrêt du 24 mai 2007, Bekos et Koutropoulos c. la Grèce, requête n°15250/2002, arrêt du 13 décembre 2005, Petropoulou-Tsakiris c. la Grèce, requête n° 44803/04, arrêt du 6 décembre 2007). La Cour a également jugé que la Grèce n’avait pas respecté les dispositions de l’article 14 et de l’article 3 de la CEDH, les autorités n’ayant pas exercé leur obligation de prendre toutes les mesures possibles afin de déterminer si des motivations racistes pouvaient avoir joué un rôle dans les faits qui se sont produits (Bekos-Koutropoulos c. la Grèce, Petropoulou-Tsakiris c. la Grèce).

En conséquence, Amnesty International appelle les autorités grecques à examiner attentivement ses recommandations pour la création d’un mécanisme indépendant chargé d’examiner les plaintes contre la police dès que possible.

Documents :

Greece : In the shadow of impunity. Ill-treatment and the misuse of firearms, Amnesty International and International Helsinki Federation for Human Rights, Index AI : EUR 25/022/2002, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR25/022/2002/en

Greece : Out of the spotlight : The rights of foreigners and minorities are still a grey area, Index AI : EUR 25/016/2005, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR25/016/2005

Greece : Alleged Abuses in the Policing of Demonstrations, Index AI : EUR 25/001/2009, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR25/001/2009/en

France : An effective mandate for the Defender of rights, Index AI : EUR 21/002/2009, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR21/002/2009/en
Austria : Victim or suspect – A question of colour : Racial Discrimination in the Austrian Justice system, Index AI : 13/002/2009, http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR13/002/2009/en

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