Guantánamo. Un « acte de foi »

Détenu à Guantánamo, Majid Khan est désormais passible d’une peine de 19 ans de prison après avoir plaidé coupable des charges de terrorisme, alors que la justice et l’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains dont il a été victime aux mains des autorités américaines demeurent une perspective lointaine.

En mars 2003, les forces pakistanaises ont capturé Majid Khan, 23 ans, au domicile de son frère à Karachi, au Pakistan. Il a été remis aux autorités américaines, à l’Agence centrale du renseignement (CIA), qui l’a maintenu en détention dans des lieux tenus secrets.

Après avoir été victime de disparition forcée, crime relevant du droit international, Majid Khan a été soumis en détention secrète à des conditions et à des techniques d’interrogatoire qui bafouaient l’interdiction de la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Au bout de trois ans et demi, sa détention par les États-Unis a finalement été reconnue lorsque le président américain de l’époque, George W. Bush, a confirmé pour la première fois la mise en place d’un programme de détentions secrètes.

Lors d’un discours prononcé le 6 septembre 2006, George Bush a annoncé que 14 prisonniers venaient d’être transférés de ce programme de la CIA aux mains de l’armée américaine à Guantánamo Bay, à Cuba. Majid Khan était l’un d’entre eux.

Bien qu’il ne soit plus détenu au secret dans un lieu inconnu, à la base de Guantánamo, Majid Khan a continué de subir des conditions d’isolement éprouvantes, bénéficiant de contacts très restreints avec le monde extérieur.

Peu avant d’entamer sa 10e année derrière les barreaux, le 29 février 2012, Majid Khan a plaidé coupable des charges portées à son encontre aux termes d’une loi promulguée plusieurs années après son placement en détention. Selon ses propres termes, cette décision est « un acte de foi », par lequel il espère purger la peine à laquelle il sera condamné et ensuite être libéré.

Il a plaidé coupable des crimes d’assassinat et de tentative d’assassinat « en violation des lois de la guerre », de complot, d’espionnage et de soutien matériel à une entreprise terroriste – définis comme des crimes de guerre par les États-Unis dans le cadre de leur doctrine unilatérale et fondamentalement biaisée de « guerre contre le terrorisme » menée contre Al Qaïda et les organisations qui lui sont associées.

La sentence de Majid Khan sera prononcée en février 2016, voire avant. Dans l’intervalle, il a accepté de coopérer avec ses geôliers et de ne pas les poursuivre pour les traitements qu’il a subis par le passé. Aux termes d’un accord avec l’accusation, s’il coopère pleinement, il sera passible de 19 ans d’emprisonnement.

Une fois qu’il aura purgé la peine à laquelle il aura finalement été condamné, sa liberté ne sera pas garantie pour autant. Le gouvernement américain est d’avis qu’il peut maintenir ces détenus derrière les barreaux après l’achèvement de leur peine, s’il l’estime nécessaire, et ce en violation du droit international.

Majid Khan est détenu à Guantánamo depuis bientôt six ans maintenant, après trois ans et demi de détention secrète aux mains de la CIA, agissant sous l’autorité du président de l’époque George W. Bush.

Si Majid Khan a décidé de plaider coupable et d’assumer la responsabilité des actes dont les États-Unis l’accusent, l’obligation de rendre des comptes qui incombe aux autorités brille par son absence s’agissant des atteintes aux droits humains commises contre cet homme et d’autres détenus dans le cadre du programme de détentions secrètes et de « restitutions » mis en œuvre par la CIA.

Ces violations incluent notamment la disparition forcée et la torture, crimes relevant du droit international. Le fait de contraindre Majid Khan, à travers l’accord passé avant le procès, à garder le silence sur ces agissements et à renoncer à ses droits à réparation enfreint en soi l’obligation explicite qui incombe aux États-Unis, au titre du droit international relatif aux droits humains, de garantir l’accès à des recours utiles à toute personne qui affirme en avoir été victime.

« Le caractère unilatéral de l’obligation de rendre des comptes dans cette affaire frappe par son déséquilibre, foule aux pieds le droit international et heurte la notion élémentaire d’équité », a estimé Rob Freer, chercheur sur les États-Unis à Amnesty International.

Lors d’une conférence de presse donnée à Guantánamo le 29 février, après qu’un colonel de l’armée américaine, en tant que juge de la commission militaire, a admis la reconnaissance de culpabilité, l’avocat de la défense a réaffirmé que Majid Khan « avait été torturé, et cruellement torturé » lorsqu’il était détenu par les Américains avant son transfert à Guantánamo.

Il ne peut en dévoiler davantage publiquement sur cette question, car les informations sur les lieux où Majid Khan était maintenu en détention secrète et les traitements qu’il a subis restent classées hautement confidentielles.

Selon son avocat, le gouvernement américain doit absolument reconnaître ce qui lui est arrivé et endosser la responsabilité pour ces faits. Il a ajouté que « le principe de transparence ne saurait fonctionner à sens unique… Il faut que le gouvernement révèle ce qui est arrivé aux personnes comme Majid Khan ».

Amnesty International partage cette opinion.

Le gouvernement des États-Unis a le devoir de prévenir les actes de terrorisme, de protéger les personnes menacées par de tels actes et de déférer les responsables à la justice.

À cette fin, les États-Unis et tous les États sont clairement habilités à engager des poursuites pour des agissements tels que ceux qu’a reconnus Majid Khan, en lien avec des crimes graves (bien que le fait de les juger devant une commission militaire pour « crimes de guerre », dans le cadre de la théorie américaine radicale de la « guerre mondiale » demeure profondément biaisé). Cependant, les États-Unis, contrevenant gravement à leurs obligations juridiques internationales, barrent la voie à la responsabilisation et aux recours pour les atteintes aux droits humains commises dans le cadre du programme de la CIA, et ces perspectives semblent plus éloignées que jamais.


« Le gouvernement américain se sert du secret pour occulter le droit collectif et individuel des victimes et de la société à la vérité, que garantissent les normes internationales,
a assuré Rob Freer.

« Il doit mener des enquêtes, faire émerger la vérité et s’acquitter de l’obligation de rendre des comptes, s’agissant des atteintes aux droits humains perpétrées contre Majid Khan et les autres prisonniers incarcérés dans le cadre du programme de détentions secrètes de la CIA.

La divulgation d’informations et l’obligation de rendre des comptes sont plus qu’attendues du côté du gouvernement. »

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