Index AI : AMR 34/037/2005
À l’issue d’une visite de quinze jours au Guatémala, Amnesty International a exprimé sa profonde préoccupation concernant les graves irrégularités, les atteintes aux droits humains et le traitement discriminatoire dont étaient victimes de nombreux paysans guatémaltèques, dans le cadre de procédures judiciaires qui se soldaient par des arrêtés d’expulsion.
Après s’être entretenue avec diverses autorités guatémaltèques, ainsi qu’avec les représentants d’organisations de défense des droits humains, des petits paysans et des grands propriétaires terriens, Amnesty International a instamment prié le gouvernement du Guatémala de suspendre les expulsions et de faire procéder à une évaluation indépendante de toutes les mesures de ce type prises depuis son arrivée au pouvoir, dans le souci de régler les sérieux problèmes juridiques et de mettre fin aux abus systématiques auxquels donnent lieu lesdites expulsions.
Les problèmes et abus relevés par Amnesty International au cours de sa visite sont notamment les suivants :
Dysfonctionnements au niveau de l’Inspection du travail, chargée de veiller à ce que les salaires, les indemnisations et les prestations sociales soient régulièrement versées, conformément à la loi, dans tous les grands domaines fonciers du Guatémala.
Dysfonctionnements et retards au niveau des demandes de versement des prestations, entraînant des actions d’occupation pour obtenir gain de cause.
Réponse inadéquate du ministère public, qui se traduit souvent par une application automatique, rapide et systématique de la procédure prévue pour usurpation ou usurpation aggravée, assortie d’arrêtés ordonnant l’arrestation de centaines de familles et leur expulsion de terres qu’elles occupent dans bien des cas depuis des générations. Il est préoccupant de constater que ni la lettre ni l’esprit de la Convention 169 de l’Organisation international du travail ne sont ici respectés.
Certains indices, qui tendent à prouver que la validité de certaines revendications de propriété incomplètes ou douteuses n’est pas examinée avec tout le sérieux requis. Dans certains cas, des propriétaires de grands domaines se sont opposés à ce que les autorités compétentes inspectent les terrains contestés, sans que cela empêche l’exécution des décisions d’expulsion ou de confiscation prises contre les occupants.
La relative rapidité avec laquelle sont signés les mandats d’expulsion et d’arrestation, qui contraste avec la lenteur du traitement des requêtes des paysans et les délais très stricts dont disposent ces derniers pour faire valoir leurs droits à diverses prestations et indemnisations. Ce déséquilibre relève du traitement discriminatoire en matière de justice.
Les paysans dénoncent le peu de cas qui est fait des plaintes qu’ils déposent pour menaces de mort et autres actes d’intimidation de la part des grands propriétaires terriens, de personnes à leur solde ou d’agents de sécurité privés.
La destruction de biens et d’ustensiles domestiques, ainsi que l’incendie des bâtiments d’habitation, qui accompagnent de manière quasi systématique les expulsions.
Il s’agit là de faits délictuels, qui ne figurent pas dans les ordres d’expulsion signés par le juge et qui se produisent dans certains cas devant des effectifs de police, forts, parfois, de plusieurs centaines d’hommes, délégués par ce même juge afin de procéder à l’exécution de la décision d’expulsion. Des représentants du ministère public ou même des Services du Procureur des droits humains assistent également parfois à de tels abus. On dispose même, dans certains cas, d’informations précises, faisant état de la participation directe de la police au démantèlement forcé et à la destruction par le feu de maisons de paysans. Toutefois, ce sont le plus souvent des personnes au service des grands propriétaires terriens qui se livrent à ces destructions, sous le regard passif de la police et des autres autorités présentes.
Les rapports des délégués des Services du Procureur des droits humains au ministère public, dénonçant les abus commis lors d’expulsions, semblent laissés sans suite par ce dernier, comme s’il s’agissait d’actes « normaux », inhérents aux expulsions.
Le manque d’interprètes compétents, pratiquant les différentes langues amérindiennes, à chaque étape du conflit, ce qui empêche les personnes concernées de participer activement et d’être correctement informées (problème fondamental, reconnu comme tel par toutes les parties).
Amnesty International reconnaît l’importance accordée aux processus de médiation et de conciliation afin de trouver une solution aux conflits. Elle constate cependant que ces processus sont parfois interrompus par l’exécution d’une décision d’expulsion, qui met fin au dialogue et favorise les réactions violentes de part et d’autre.
Amnesty International se félicite des informations qui lui ont été données et de l’ouverture dont ont fait preuve les autorités gouvernementales et les organisations de la société civile qu’elle a pu rencontrer au cours de sa visite.
Amnesty International est consciente du fait que les autorités guatémaltèques ont le devoir et le droit de mettre en place un cadre institutionnel garantissant le respect des principes constitutionnels et des normes internationales relatives à la question agraire, dans le souci de prévenir et de résoudre de manière équitable les conflits de la terre, dans l’intérêt de tous ceux qui la travaillent.
Amnesty International demande enfin aux autorités de mettre en place une politique agraire spécifique, visant à prévenir et à résoudre les cas de conflit de la terre dans le respect des droits humains.
Complément d’information
Au cours de leur visite, les délégués d’Amnesty International se sont rendus dans plusieurs localités du pays et ont pu s’entretenir avec le Fiscal General de la Nación (Procureur général chapeautant le ministère public), des membres du parquet, des juges, ainsi qu’avec des représentants du ministère du Travail, des Services du Procureur des droits humains, de la Comisión Presidencial Coordinadora de la Política del Ejecutivo en Materia de Derechos Humanos (COPREDEH, Commission présidentielle de coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits humains), de CONTIERRA et de FONTIERRA. Ils ont également rencontré des représentants d’organisations de paysans, de grands propriétaires terriens et des paysans expulsés ou menacés d’expulsion.