GUATÉMALA : L’impunité renforcée par l’annulation de condamnations historiques

Index AI : AMR 34/063/02

La décision d’une cour d’appel guatémaltèque d’annuler toutes les condamnations prononcées dans l’affaire du meurtre de l’évêque Juan José Gerardi Conadera est un grave revers pour la justice dans ce pays, a déclaré aujourd’hui (mercredi 9 octobre 2002) Amnesty International.

Hier, cette cour a ordonné l’annulation de la condamnation à trente ans d’emprisonnement du colonel à la retraite Byron Disrael Lima Estrada, de son fils le capitaine Byron Miguel Lima Oliva et de l’ancien garde du corps présidentiel José Obdulio Villanueva pour le meurtre de l’évêque Mgr Gerardi en avril 1998. Elle a demandé que cette affaire soit rejugée en raison de prétendues irrégularités, notamment dans le témoignage d’un témoin essentiel. La condamnation du prêtre catholique Mario Orantes Nájera à vingt ans d’emprisonnement pour complicité dans ce meurtre a aussi été annulée.

" L’indignation ressentie par les organisations de défense des droits humains du Guatémala est une réaction légitime à une décision qui traduit un mépris total pour toutes les années de lutte en faveur de la justice dans ce pays ", a déclaré Amnesty International. Elle a précisé que l’annulation de ces condamnations montrait clairement l’absence de volonté des autorités guatémaltèques de mettre fin à l’impunité pour les auteurs d’atteintes aux droits humains.

" Nous sommes extrêmement déçus par cette décision car elle est caractéristique de la tactique utilisée par le passé pour décourager, épuiser et mettre hors d’état d’agir ceux qui essaient de combattre l’impunité au Guatémala ", a ajouté l’organisation.

" L’un des objectifs de cette annulation pourrait être de laisser encore plus de temps pour intimider ou soudoyer ceux dont les témoignages ont été cruciaux dans les condamnations ", a-t-elle précisé, rappelant qu’au moins neuf témoins liés à cette affaire ont été tués et que plusieurs professionnels de la justice travaillant sur le dossier ont été contraints de quitter le pays.

Les condamnations prononcées lors du premier procès étaient le résultat de la fermeté et de la détermination sans faille des défenseurs des droits humains guatémaltèques, tels que l’Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala (ODHAG, Service des droits humains de l’archevêché du Guatémala), qui ont continué de travailler sur cette affaire malgré les menaces, les persécutions et les attaques répétées.

" Ces condamnations avaient été saluées aux niveaux national et international comme un signe que la justice était malgré tout possible au Guatémala, et comme un pas encourageant vers l’élimination de l’impunité généralisée dont bénéficient les responsables des atteintes massives et atroces aux droits humains commises pendant le long conflit qui a déchiré le pays ", a rappelé Amnesty International.

Faisant référence à la condamnation, la semaine dernière, d’un militaire accusé d’avoir ordonné le meurtre de l’anthropologue Myrna Mack en 1990, Amnesty International a déploré que " les autorités judiciaires guatémaltèques reprennent d’une main l’espoir qu’elles avaient donné de l’autre ".

" Il est aujourd’hui extrêmement important que la communauté internationale, et en particulier les pays qui ont soutenu le processus de paix, fasse clairement savoir aux autorités guatémaltèques que la justice pour toutes les affaires d’atteintes aux droits humains est une condition préalable nécessaire à l’établissement d’une paix réelle et durable au Guatémala, et qu’elle doit être un facteur essentiel dans la décision des États de poursuivre ou non leur soutien au processus de paix ", a ajouté l’organisation.

Complément d’information
Mgr Juan José Gerardi dirigeait l’enquête de l’Église du Guatémala sur les violations commises pendant le conflit. Il a été battu à mort en avril 1998, deux jours après avoir présenté les conclusions du projet.

Deux militaires, Lima Estrada et Lima Oliva, et un ancien militaire, Obdulio Villanueva, ont été condamnés en juin 2001 pour l’organisation de ce meurtre. C’était la première fois que des militaires étaient condamnés pour des violations des droits humains au Guatémala. Au moment de leur condamnation, des poursuites étaient en cours contre d’autres militaires de plus haut rang soupçonnés d’être impliqués dans ce crime, mais nous n’avons eu connaissance d’aucune avancée dans ces poursuites.

Dès le début, tous ceux qui ont fait pression pour que de vraies enquêtes soient menées dans cette affaire ont été l’objet de menaces et de persécutions constantes ; des témoins ont été tués et plusieurs professionnels de la justice contraints à l’exil. Les enquêtes officielles semblaient avoir pour objet de dissimuler plutôt que de dévoiler les causes de la mort de l’évêque Gerardi.

L’ampleur des manifestations de soutien des militaires à leurs collègues accusés dans les affaires Gerardi et Mack semble avoir exacerbé les tensions déjà existantes au Guatémala. Ces tensions, ainsi que le climat d’impunité, ont aussi été renforcés par le fait que le président Portillo ait récemment cédé aux demandes d’indemnisation d’anciens membres des patrouilles civiles, eux-mêmes responsables de multiples atrocités pendant le conflit armé.

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