Guinée équatoriale. Les préoccupations d’Amnesty International à propos du récent procès de Simon Mann et de sept autres coaccusés

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : AFR 24/009/2008 -
ÉFAI

Le 7 juin 2008, en Guinée équatoriale, huit hommes – six Équato-Guinéens et deux ressortissants d’autres pays– ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement à l’issue d’un procès non conforme aux normes internationales d’équité.

Simon Mann, ressortissant britannique, a été reconnu coupable de tentative de crimes contre le chef de l’État, contre le gouvernement et contre la paix et l’indépendance de la Guinée équatoriale pour des faits remontant à 2004. Il a été condamné au total à trente-quatre années d’emprisonnement. En mai 2007, cet homme, condamné au Zimbabwe pour avoir essayé de vendre des armes sans autorisation, avait été libéré à l’issue de sa peine et immédiatement arrêté dans l’attente de son extradition en Guinée équatoriale pour les chefs d’accusation ci-dessus.

Mohamed Salaam, homme d’affaire libanais vivant en Guinée équatoriale depuis plusieurs années, a été reconnu coupable des mêmes infractions et condamné à dix-huit ans de prison. Il avait été arrêté sans mandat le 29 mars 2008.

Six Équato-Guinéens arrêtés sans mandat en mars et en avril 2008 (voir Guinée équatoriale. Arrestations et mort en détention d’un opposant politique [index AI : AFR 24/003/2008]) ont aussi été jugés dans le même procès. Membres du Parti du Progrès de Guinée équatoriale (PPGE), parti politique interdit, ils étaient inculpés et ont été reconnus coupables d’association illégale, de réunions illégales début 2006 et de détention d’armes et de munitions. Cruz Obiang Ebele, Emiliano Esono Michá, Gerardo Angüe Mangue, Gumersindo Ramírez Faustino et Juan Ecomo Ndong ont été condamnés à six ans de prison, et Bonifácio Nguema Ndong à un an de prison.

Amnesty International déplore que ces six Équato-Guinéens aient été jugés dans le même procès que Simon Mann, poursuivi pour une tentative de coup d’État présumée en mars 2004, alors que les charges retenues contre eux n’avaient aucun rapport avec les faits reprochés au ressortissant britannique. À la connaissance de l’organisation, le tribunal n’a nullement cherché à relier les deux affaires, et aucun élément de preuve en ce sens n’a été présenté au procès.

Amnesty International craint également que ces six Équato-Guinéens ne soient des prisonniers d’opinion, arrêtés uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’association et de réunion, et condamnés sur la base de déclarations signées sous la contrainte ou la torture.

Elle est par ailleurs préoccupée par les violations du droit à un procès équitable qui ont caractérisé la phase précédant le procès, et en particulier par les irrégularités suivantes :

• les six Équato-Guinéens et Mohamed Salaam ont été arrêtés sans mandat, en violation du droit national et de leur droit de ne pas être arrêtés arbitrairement.
• Ils n’ont pas été informés rapidement des charges retenues contre eux – au moins en ce qui concerne les ressortissants de Guinée équatoriale – et n’ont eu connaissance de leurs chefs d’inculpation que plusieurs mois après leur arrestation.
• Les six Équato-Guinéens ont fait des déclarations sous la contrainte. Contrairement aux dispositions du droit national, leurs déclarations n’ont pas été recueillies par le juge d’instruction, qu’ils ont rencontré pour la première fois le 12 juin 2008, lorsqu’il leur a donné lecture de l’acte d’accusation. Elles ont d’abord été recueillies par la police, puis par le procureur en présence du ministre de la Sécurité nationale, mais sans aucune assistance juridique, en violation du droit des accusés de bénéficier d’un avocat. En outre, contrairement aux dispositions des normes internationales relatives à l’équité des procès, qui prévoient que nul ne peut être contraint d’avouer sa culpabilité ou de témoigner contre lui-même, ces hommes ont été forcés à signer des déclarations qu’ils n’avaient pas faites.
• Au moins deux des ressortissants de Guinée équatoriale ont été soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants (ils ont été frappés en garde à vue).
• Les accusés ont été détenus au secret à la prison de Black Beach, à Malabo, sans pouvoir communiquer ni avec leurs familles, ni avec leurs avocats. Ces conditions de détention ont eu des répercussions négatives sur leur santé physique et mentale, en particulier pour Mohamed Salaam. La détention au secret bafoue les normes internationales relatives à l’équité des procès, qui garantissent à toute personne détenue le droit de rencontrer sa famille et de consulter un médecin et un avocat.
• Toujours en violation des normes internationales relatives à l’équité des procès, les accusés n’ont pas eu suffisamment de temps ni de moyens pour préparer leur défense. Ils n’ont pu consulter un avocat que cinq jours avant l’ouverture du procès, et ils n’ont pas eu accès à toutes les informations nécessaires.

Amnesty International est aussi préoccupée par certains aspects du déroulement du procès lui-même, en particulier les points suivants :

• pendant le procès, les Équato-Guinéens sont revenus sur leurs déclarations au motif qu’elles leur avaient été arrachées sous la contrainte et la torture. Cependant, le tribunal n’a pas examiné les allégations de contrainte et a admis ces déclarations à titre de preuves. En outre, à la fin du procès, lors de la récapitulation des éléments de preuve, le procureur général a requis vingt ans de prison supplémentaires contre les accusés pour manque de coopération avec la justice parce qu’ils avaient déclaré devant le tribunal avoir été forcés à signer des déclarations sous la contrainte.

• Les six Équato-Guinéens ont été reconnus coupables de réunions illégales et d’appartenance à un parti politique interdit, en violation de leurs droits à la liberté d’association et de réunion. Par ailleurs, en ne produisant aucun élément prouvant que les accusés étaient bien en possession d’armes ou de munitions, l’accusation ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve. Le procureur n’a pas pu prouver au-delà de tout doute raisonnable que ces hommes étaient coupables. En les condamnant malgré l’insuffisance de preuves, le tribunal a bafoué leur droit à un procès équitable.

• Simon Mann et Mohamed Salaam n’ont bénéficié des services d’un interprète que pendant les parties du procès directement liées à leur interrogatoire. Le reste du procès, y compris la lecture de la condamnation, s’est déroulé en espagnol. Par conséquent, les deux hommes n’ont pas pu suivre l’intégralité de la procédure, en violation de leur droit à l’égalité des armes.

• Le premier jour du procès, Simon Mann est entré dans la salle d’audience les fers aux pieds. Même si le président du tribunal a rapidement ordonné qu’on les lui retire, il s’agissait d’un traitement cruel, inhumain et dégradant, portant atteinte à la présomption d’innocence.

Amnesty International s’inquiète par ailleurs de l’état de santé mentale dans lequel Mohamed Salaam semble se trouver, et appelle les autorités de Guinée équatoriale à respecter leurs obligations internationales relatives aux droits humains et à lui prodiguer immédiatement les soins médicaux nécessaires.

L’organisation engage les autorités équato-guinéennes à respecter le droit à un procès équitable et à se conformer à leurs obligations internationales en matière de droits humains. En particulier, elle demande que des enquêtes soient ouvertes sur les allégations de torture et de mauvais traitements, et que les auteurs présumés de ces actes soient traduits en justice. D’autre part, les autorités doivent autoriser tous les détenus à rencontrer immédiatement leurs familles et leurs avocats et, le cas échéant, à recevoir les traitements médicaux dont ils ont besoin.

FIN

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