La décision d’un tribunal haïtien de relancer l’enquête portant sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis sous le régime du « président à vie » Jean-Claude Duvalier est une avancée majeure pour les victimes dans leur longue quête de vérité et de justice, a déclaré Amnesty International.
« La décision de poursuivre les enquêtes, essentielle, est une victoire pour les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de disparitions forcées et d’autres violations des droits humains lorsque Jean-Claude Duvalier était au pouvoir, ainsi que pour leurs proches », a déclaré Javier Zúñiga, conseiller spécial à Amnesty International.
« Elle renforce par ailleurs l’espoir d’un nouvel Haïti, fondé sur l’état de droit et la justice pour tous. »
Jeudi 20 février, la cour d’appel de la capitale, Port-au-Prince, a annulé une décision prononcée en janvier 2012 par un juge d’instruction. Ce magistrat avait statué que Jean-Claude Duvalier ne pouvait pas être inculpé de crimes contre l’humanité sur la base des plaintes déposées par des personnes ayant été victimes de disparitions forcées et de torture lorsqu’il était au pouvoir, de 1971 à 1986, car le délai de prescription avait expiré.
Cependant, la cour d’appel estime désormais qu’il existe de « sérieux indices » donnant à penser que Jean-Claude Duvalier a été directement impliqué dans les violations des droits humains qui auraient été commises sous sa présidence et que sa responsabilité pénale est engagée.
Un des juges siégeant à la cour a été chargé d’examiner les allégations de manière plus approfondie. Il lui aurait été demandé de recueillir de nouveaux témoignages auprès des victimes n’ayant pas pu être entendues lors des audiences du procès en appel, l’an dernier.
« La cour d’appel a estimé, à raison, qu’il ne saurait y avoir de délai de prescription pour les crimes contre l’humanité. Cela constitue une avancée majeure pour la justice haïtienne », a déclaré Javier Zúñiga.
« Les tentatives visant à faire échouer la justice ont été bloquées, et les victimes du régime Duvalier peuvent désormais poursuivre leur quête de vérité et de réparation ».
Bien que des victimes aient formé un recours contre le jugement de 2012, et que Jean-Claude Duvalier ait comparu l’an dernier, la procédure judiciaire est au point mort depuis mai dernier.
Comme si cela ne suffisait pas, l’ancien président continue de participer à des événements publics, bien souvent à l’invitation du gouvernement haïtien. L’exemple le plus récent a été une cérémonie publique de commémoration de l’indépendance du pays, en début d’année.
En janvier, Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont déploré que l’absence de volonté politique et les retards inacceptables enregistrés par les tribunaux aient permis à Jean-Claude Duvalier d’échapper à la justice.
« Bien que le gouvernement haïtien tente de réhabiliter Jean-Claude Duvalier, cette dernière décision en date ravive l’espoir des victimes et de leurs proches d’obtenir justice dans leur propre pays et montre clairement que personne en Haïti n’est au-dessus de la loi », a déclaré Javier Zúñiga.
Complément d’information
Les autorités haïtiennes ont rouvert des poursuites pénales contre Jean-Claude Duvalier, l’ancien chef d’État, peu après son retour au pays, le 16 janvier 2011, faisant suite à un exil de 25 ans en France. Il était accusé de graves violations des droits humains, notamment de meurtres et de torture à l’encontre d’opposants politiques, ainsi que de corruption.
En janvier 2012, un juge d’instruction a statué qu’il devait être jugé par un tribunal de première instance pour détournement de fonds publics, mais que le délai de prescription était dépassé pour les atteintes aux droits humains dont il était accusé. Les victimes de violations des droits fondamentaux ont fait appel de cette décision, et Jean-Claude Duvalier aussi. La procédure d’appel a commencé le 13 décembre 2012.
Jean-Claude Duvalier a comparu devant la cour d’appel de Port-au-Prince le 28 février 2013, où il a présenté pour la première fois un témoignage public évoquant les crimes présumés commis quand il était au pouvoir.
Entre mars et mai 2013, huit victimes ont témoigné au tribunal. L’audition des témoignages s’est achevée en mai, et la décision de la cour d’appel était en instance depuis lors.
Jean-Claude Duvalier, également surnommé « Bébé Doc », a hérité du pouvoir à la mort de son père, François Duvalier, et dirigé Haïti de 1971 à 1986. Sous son régime, la vie des Haïtiens a été marquée par des violations systématiques des droits humains.
Des centaines de prisonniers politiques sont morts des suites de mauvais traitements ou ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement de Jean-Claude Duvalier a fermé à maintes reprises des journaux et des stations de radio indépendants. Des journalistes ont été battus, parfois torturés, emprisonnés et forcés à quitter le pays.
Il aurait par ailleurs détourné des centaines de millions de dollars pendant qu’il était président.
Un rapport d’Amnesty International, intitulé Haïti. « On ne peut pas tuer la vérité ». Le dossier Jean-Claude Duvalier (voir document ci-dessous), donne un nouvel éclairage aux recherches menées précédemment par l’organisation sur les atteintes aux droits humains généralisées et systématiques commises en Haïti dans les années 1970 et 1980.