Communiqué de presse

Haïti : L’échec face aux conséquences du séisme est responsable de souffrances incommensurables

Quatre années après le terrible tremblement de terre qui a tué près de 200 000 personnes et laissé à la rue 2,3 millions de sans-abris, très peu a été fait pour garantir, protéger et accomplir le droit à un logement convenable en Haïti, dit aujourd’hui Amnesty International.

Il est estimé que plus de 170 000 personnes vivent toujours dans un peu de plus de 300 camps de déplacés, dans des conditions généralement épouvantables, avec aucun accès aux services de base essentiels comme l’eau potable, les sanitaires ou le traitement des déchets. Alors que les conditions d’hygiène désastreuses les exposent au risque de choléra et d’autres maladies, le manque d’abris solides les rend vulnérables aux inondations et d’autres conditions météorologiques défavorables, particulièrement pendant la saison des ouragans.

Bien que le nombre officiel de personnes déplacées internes (PDI) ait significativement diminué, (1,5 millions de personnes estimé originellement en juillet 2010), la plupart des personnes relogées n’ont pas eu accès à des solutions de logement durable qui garantiraient leur droit à un logement convenable.

Selon l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), plus de 113 000 ménages déplacés internes ont été relogés dans des abris temporaires alors que plus de 55 000 l’ont été à travers des programmes de subvention à la location. Les familles bénéficiaires de ces programmes ont reçu environ US$500 pour louer pendant une année un logement de leur choix, et US$125 supplémentaires pour débuter une activité génératrice de revenus.

« Bien que ces stratégies ont permis une réduction significative du nombre de camps de déplacés, elles n’ont pas permis d’apporter les solutions nécessaires à la crise du logement que le tremblement de terre avait aggravé. C’est comme glisser le problème sous le tapis », selon Javier Zúñiga, conseiller spécial chez Amnesty International.

Selon une évaluation commandée en janvier 2013 par les donateurs concernant les programmes de subvention à la location, 60% des bénéficiaires estiment qu’ils n’auront pas les ressources nécessaires pour maintenir la même qualité de logement une fois la période de subvention terminée. Quant aux personnes dont les subventions se sont déjà achevées et qui ont dû déménager, 75% vivaient généralement dans des conditions de logement dégradées.

Les expulsions forcées sont un facteur additionnel qui a contribué à la réduction du nombre de PDI vivant dans les camps. Selon les statistiques de septembre 2013 de l’OIM, les expulsions forcées sont responsables de 11% du nombre de PDI quittant les camps, alors qu’environ 45% des populations encore dans ces camps reste sous la menace d’expulsion.

En avril 2013 Amnesty International a publié le rapport Nulle part où aller. Expulsions forcées dans les camps pour personnes déplacées d’Haïti (voir document ci-dessous) qui a recueilli des informations mettant en évidence le recours systématique aux expulsions forcées des familles déplacées vivant dans des camps établis tant sur des terrains privés que publics.

Malgré les réponses du gouvernement haïtien au rapport d’Amnesty International à travers deux communiqués officiels qui semblaient prendre ses distances avec ces pratiques et promettaient des enquêtes approfondies concernant les allégations d’expulsions forcées, personne n’a encore été traduit devant la justice, les victimes n’ont reçu aucune réparations pour la violation de leurs droits, et il n’y a aucune preuve que ces enquêtes aient effectivement été menées. De plus, de nouvelles expulsions forcées ont eu lieu depuis ces déclarations.

Amnesty International est particulièrement inquiète pour la sécurité des personnes vivant à Canaan, une grande étendue de terre à plusieurs kilomètres à la périphérie nord de Port-au-Prince qui fut déclarée d’utilité publique en mars 2010 par le gouvernement d’alors.

Des dizaines de milliers de personnes qui ont perdu leurs maisons durant le séisme, notamment beaucoup qui ont par la suite été expulsées de force des camps de Port-au-Prince, se sont installées à Canaan dans l’espoir d’être à l’abri des expulsions. Beaucoup ont commencé à construire des maisons en dur. Cependant, le statut juridique du terrain demeurant confus, aucunes familles n’ont de sécurité quant à l’occupation des terres les protégeant des expulsions forcées. La confusion persiste concernant les exactes zones qui ont été déclarées « d’utilité publique » et quant à la finalisation des procédures d’expropriation. Le résultat est que des milliers de personnes vivant là-bas sont sous la menace d’expulsions forcées, et sont victimes d’intimidation et de harcèlement de la part de ceux qui prétendent être les propriétaires du terrain.

« Canaan est une véritable poudrière. L’échec des autorités à prendre en charge de manière adéquate la situation concernant la sécurité de l’occupation pourrait créer d’incalculables conflits et laisser les personnes vivant là-bas à la merci de sérieuses violations de leurs droits humains », prévient Zúñiga.

L’expulsion la plus récente à Canaan a eu lieu entre le 7 et 10 décembre dans le secteur connu comme Titanyen quand plus de 200 familles ont été réduit à l’état de sans-abris. Beaucoup d’entre elles étaient des déplacés internes du tremblement de terre qui s’étaient relogées à Titanyen après avoir été expulsées de force en mai 2012 du camp Mozayik situé dans la municipalité de Delmas à Port-au-Prince. Selon les résidents, ils n’ont pas été informés de l’expulsion et n’ont donc pas eu la possibilité de faire appel. On ne leur a pas laissé le temps de récupérer leurs affaires et près d’une dizaine de personnes furent attaquées, notamment une femme enceinte de quatre mois. Plus de 3 000 familles vivant dans les secteurs de Canaan connus sous les noms de Village des Pêcheurs et Village Grâce de Dieu courraient également le risque d’être expulsées.

Le 23 octobre 2013, le Premier ministre a annoncé l’adoption de la première Politique nationale du logement et de l’habitat du pays. Bien que le Premier ministre ait défini la politique comme « le cadre de référence pour à la fois des institutions publiques, des autorités régionales, des collectivités territoriales, des organisations de la société civile, des partenaires techniques et financiers », l’intégralité du document n’a pas encore été rendue publique et les organisations de la société civile ont fait part à Amnesty International qu’elles n’étaient pas au courant de son contenu. Les précédents versions de la politique examinées par Amnesty International ne contenaient pas les mécanismes attendus et nécessaires pour que les personnes vivant dans la pauvreté soient en mesure d’accéder à un logement convenable et abordable, et n’incluaient pas non plus de mesures pour prévenir les expulsions forcées.

« Le gouvernement haïtien ne peut en aucun cas se permettre de perdre cette opportunité. L’adoption d’une Politique nationale du logement basée sur les droits humains, et sa mise en œuvre effective, sont la seule manière pour le gouvernement de montrer son réel compromis à respecter la dignité des personnes et de leur donner ce qu’ils sont en droit d’attendre selon la constitution haïtienne : un logement convenable », selon M. Zúñiga.

Quatre ans après, Amnesty International exhorte les autorités haïtiennes à rendre prioritaires les mesures nécessaires pour faire du droit à un logement convenable une réalité dans le pays, et notamment s’assurer que :

  Des plans sont mis en place pour reloger des camps les PDI, basés sur des solutions durables qui prennent en compte que tout logement alternatif intègre les critères de qualité établis par les normes internationales ;
  La Politique nationale du logement et de l’habitat est conçue en conformité avec les normes relatives aux droits humains et assure l’accès à un logement convenable pour tous ceux qui le nécessite, particulièrement les personnes les plus vulnérables et marginalisées, comme ceux vivant dans la pauvreté ;
  Des mesures sont prises pour clarifier le statut des terres de Canaan et garantir aux residents avec une sécurité d’occupation ;
  Adopter un moratoire sur l’ensemble des expulsions, tant que ne sont pas mises en places les garanties nécessaires pour que les expulsions se déroulent dans le respect des normes internationales relatives aux droits humains ;
  Adopter et faire respecter des dispositions législatives interdisant les expulsions forcées qui fixent les mesures de protection à respecter avant tout opération d’expulsion, conformément aux normes relatives aux droits humains, y compris aux Principes de base et directives des Nations unies concernant les expulsions et les déplacements liés au développement. Ces dispositions législatives doivent s’appliquer à toutes les expulsions, de terrains privés aussi bien que publics ;
  Des mécanismes efficaces pour empêcher les expulsions forcées, tant par les acteurs étatiques que non étatiques, sont mis en place, y compris par l’examen des procédures existantes et l’amélioration de la coordination entre les acteurs concernés ;
  Des instructions formelles sont transmises aux mairies, postes de police et les tribunaux municipaux, pour qu’ils ne prennent pas part à des expulsions forcées, et des mécanismes clairs de suivi du respect de ces instructions sont mis en place ;
Les cas d’expulsions forcées et de menaces d’expulsions forcées (y compris les menaces contre les PDI et les défenseurs des droits humains) font l’objet de véritables enquêtes et les responsables sont traduits en justice.

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