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Le honteux secret de l’Égypte – à la recherche de la prison dont personne n’ose dire le nom

Par Haitham Ghoniem, défenseur égyptien des droits humains et chercheur à la Commission égyptienne des droits et des libertés

C’était la première semaine d’avril 2014, avant la prière du midi. On a sonné à la porte. Ma mère a vu un homme très musclé, en chemise et pantalon blancs, debout devant la porte. Trop effrayée, notamment parce qu’il ressemblait à un militaire, elle n’a pas ouvert.

Il a sonné plusieurs fois. Comme personne ne répondait, il a frappé à la porte de l’appartement d’en face et a demandé à notre voisine si un certain Haitham Ghoniem vivait bien ici. Il lui a demandé si elle savait où j’étais : à quelle heure je partais de chez moi, quand je revenais et si je vivais seul ou avec ma famille. Puis il a entrepris de fouiller tout l’immeuble.

Ma mère m’a appelé et m’a prévenu de ne plus jamais revenir à la maison.

Ennemi de l’État

J’aurais dû m’y attendre. Mon cauchemar a commencé il y a trois mois, en janvier, quand j’ai été arrêté alors que je me rendais à la mosquée pour la prière de l’après-midi.
La police interpellait au hasard les gens qui avaient participé aux manifestations contre l’armée à l’approche du troisième anniversaire de la révolution du 25 Janvier.

Dès le jour de mon arrestation, j’ai été frappé. J’ai reçu des gifles dans la figure et des coups sur la tête et dans la poitrine parce que je ne cédais pas à leurs humiliations et que je ne répondais pas quand ils m’interrogeaient. J’ai refusé d’être photographié à côté des armes qu’ils avaient placées devant moi ou d’avouer que ces armes m’appartenaient. Cela les a rendus furieux. J’ai aussi vu d’autres personnes être torturées : des femmes, des hommes et même des enfants.

Au bout de 26 jours, j’ai finalement été libéré pour raisons médicales. Pendant que je me remettais à mon domicile, ma famille et mes amis m’ont supplié d’arrêter de parler des violations des droits humains commises par la police.

Mes amis m’ont conseillé de quitter le pays parce qu’ils savaient que je ne me tairais pas. Ils avaient raison.

J’ai découvert qu’un de mes amis qui travaillait chez TE-Data, un fournisseur local d’accès à Internet, avait été kidnappé devant son lieu de travail.

J’ai essayé de trouver où il était gardé prisonnier, mais tout ce que j’ai pu découvrir, c’est qu’il avait été enlevé par les forces de la sécurité nationale et qu’il était détenu quelque part à Ismaïlia.

C’est alors, malgré les avertissements de mes proches, que j’ai commencé mes recherches.

L’Égypte : la terre des prisons secrète

Après 10 jours d’enquête, j’ai appris que des dizaines de prisonniers politiques étaient détenus dans une prison secrète à Ismaïlia, à 130 kilomètres au nord-est du Caire. Les gens étaient tellement terrorisés qu’ils n’osaient même pas prononcer son nom.

J’ai utilisé mon compte Facebook pour lancer un appel aux informations sur une prison située à Ismaïlia. Je suis aussi tombé sur un article publié par le Centre Nadim, une organisation égyptienne de défense des droits humains, qui mentionnait la prison d’Al Azouly.

J’ai rencontré plusieurs défenseurs des droits humains et avocats, qui m’ont tous conseillé de me tenir à l’écart de cette prison si je voulais éviter les problèmes.

Ensuite, j’ai reçu un message d’une proche d’un détenu incarcéré dans une prison au sein du camp militaire d’Al Galaa. Elle disait que sa famille avait trop peur pour en parler.

J’ai alors fait le lien avec la prison d’Al Azouly, qui est située dans l’enceinte du camp militaire d’Al Galaa, au quartier général d’une unité de la deuxième armée, à Ismaïlia.

La prison d’Al Azouly : « l’abattoir d’Ismaïlia »

J’ai commencé à publier sur Facebook des précisions sur la prison et les prisonniers politiques qui y sont détenus. Le mur du silence est tombé. Rassd News, un réseau de médias en ligne, a repris ces informations, de même que le Financial Times et la chaîne d’information Al Jazira.
De plus en plus de gens me prévenaient que je me mettais en danger mais, après la publication de mes rapports, des défenseurs des droits humains ont commencé à parler d’Al Azouly et à signaler de nouveaux cas.

C’était comme si le fait d’avoir brisé le silence avait ouvert les vannes, révélant la réalité de cet enfer où nous vivons.

D’autres personnes ont commencé à me contacter pour me raconter des violations commises dans le pays. J’ai appris que les prisonniers politiques en Égypte étaient soumis à des tortures d’une atrocité que je n’aurais jamais imaginée, comme la suspension dans des positions douloureuses, les décharges électriques sur les parties sensibles et même les agressions sexuelles. Tout l’éventail des méthodes de torture est utilisé dans les prisons égyptiennes, des violences physiques aux violences psychologiques en passant par les violences sexuelles. La cruauté des policiers est sans limite.

Le prix à payer pour avoir osé parler

Je ne suis pas retourné chez moi depuis le coup de fil de ma mère. Pendant les trois jours qui ont suivi, un détective en civil est resté en faction devant notre immeuble. Il a vite été remplacé par un « balayeur », qui s’est mis soudainement à nettoyer la portion de route devant notre immeuble. C’est le seul endroit du quartier entretenu par un balayeur.
Je sais que les agents de la sécurité nationale me recherchent en raison de mon travail sur la prison d’Al Azouly et sur les violations qui sont commises dans les prisons égyptiennes. Comme me l’a dit un ami, avocat spécialisé dans les droits humains : « Maintenant que tu t’en prends à eux, ils ne te laisseront pas tranquille. »

C’est dans cet état qu’est mon pays.

Je n’aurais jamais imaginé écrire sur de telles horreurs trois ans après la révolution du 25 Janvier, pendant laquelle nous étions tellement remplis d’espoir et convaincus d’avoir retrouvé notre dignité et notre fierté.

Aujourd’hui, nos amis sont morts, blessés, détenus ou traqués par la police, ou ont fui le pays, terrorisés.

Mais nous ne perdrons pas espoir.

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