Il faut mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les responsables de disparitions forcées dans la région Asie Pacifique

Déclaration publique

ASA 01/007/2007

Des milliers de personnes ont été victimes de disparitions forcées dans la région Asie Pacifique. À l’occasion de la célébration annuelle de la Journée des disparus ce jeudi 30 août, Amnesty International appelle de toute urgence à mettre fin à cette pratique atroce qui constitue une grave violation des droits humains et un crime de droit international.

La souffrance des victimes et de leurs familles reste intacte. Pour la grande majorité des disparitions qui se sont produites pendant des dizaines d’années dans la région, il n’y a pas eu d’enquête et on ignore ce que sont devenues les victimes. Amnesty International considère que le manque de détermination des gouvernements à mener des enquêtes sur les disparitions forcées et les enlèvements pourrait favoriser une augmentation de ces atteintes aux droits humains à l’avenir.

Amnesty International appelle les gouvernements de la région Asie Pacifique à enquêter sur toutes les disparitions forcées dans leurs pays respectifs et à veiller à ce que les auteurs présumés soient traduits en justice. Les victimes et les familles de victimes de disparitions forcées doivent obtenir réparation pour leurs souffrances dans tous les cas.

À cette fin, l’organisation met l’accent ce 30 août sur les disparitions forcées et enlèvements dans un certain nombre de pays de la région Asie Pacifique, notamment l’Inde (Jammu-et-Cachemire), le Pakistan, les Philippines, le Népal, la Corée du Nord, le Sri Lanka et la Thaïlande.

Inde (Jammu-et-Cachemire)

Selon le gouvernement de l’État de Jammu-et-Cachemire, presque 4 000 personnes ont « disparu » depuis le début du conflit armé qui a éclaté dans cet État en 1989. Toutefois, selon l’Association des parents de « disparus », le nombre réel serait plutôt de 8 000 à 10 000 personnes. La majeure partie des personnes « disparues » sont des jeunes hommes, mais tous les âges, toutes les professions et tous les milieux sont représentés parmi les victimes, dont beaucoup n’ont aucun lien avec les groupes d’opposition armés opérant dans l’État de Jammu-et-Cachemire. En dépit de la promesse faite en 2002 par les nouveaux élus de cet État de poursuivre en justice les auteurs présumés d’atteintes aux droits humains et de la promesse du gouvernement central en juin 2006 d’appliquer une politique de tolérance zéro pour les atteintes aux droits humains perpétrées par les forces de sécurité dans l’État de Jammu-et-Cachemire, seule une petite partie des affaires de disparitions forcées a fait l’objet d’une enquête.

Amnesty International note que le gouvernement de l’État a promis que la Commission des droits humains de l’État de Jammu-et-Cachemire (State Human Rights Commission ,SHRC) enquêterait sur toutes les disparitions forcées. Toutefois, la SHRC n’a toujours pas la possibilité d’ordonner des poursuites contre des membres des forces de sécurité sans l’aval du ministère de l’Intérieur du gouvernement indien. Les inquiétudes quant aux pouvoirs de la SHRC et sa capacité à mener de véritables enquêtes sur les disparitions forcées se sont accrues en août 2006 à la suite de la démission de son président, qui entendait protester contre l’attitude « peu sérieuse » du gouvernement local à propos des violations des droits humains.

Les affaires de disparitions forcées non résolues ne se limitent pas à l’État de Jammu-et-Cachemire. En Inde, des « disparitions » ont été régulièrement signalées au Pendjab dans les années 1985-1995, période d’affrontements politiques violents. Des « disparitions » ont également été signalées dans le nord-est de l’Inde.

Népal

Amnesty International s’inquiète des centaines de disparitions forcées qui se sont produites au cours des dix années de conflit qui ont opposé jusqu’en 2006 le gouvernement du Népal au Parti communiste népalais maoïste (CPN-M). Début 2007, la liste du Comité international de la Croix-Rouge comptait encore plus de 800 noms de personnes dont on ignorait quel avait été le sort aux mains des forces gouvernementales ou du CPN-M.

Amnesty International constate que le gouvernement népalais cherche à faire participer la société civile à l’élaboration d’un projet de loi portant création d’une Commission Vérité et Réconciliation, chargée d’enquêter sur les exactions passées. L’organisation souligne cependant qu’un certain nombre de points posent problème. Parmi ces points figure la disposition permettant d’amnistier les auteurs de crimes de droit international, notamment les responsables de centaines de disparitions forcées. L’accord de paix signé par le gouvernement et le CPN-M en novembre 2006 prévoyait que soient communiquées, dans un délai de soixante jours, des informations concernant le sort des personnes « disparues », mais cette promesse ne s’est toujours pas concrétisée.

Corée du Nord (République populaire démocratique de Corée)
Des milliers d’hommes et de femmes ont été arrêtés, placés en détention ou enlevés par, ou avec l’autorisation, le soutien ou l’assentiment du gouvernement nord-coréen. Parmi les personnes victimes de disparition forcée figurent au moins 400 Sud-Coréens, plusieurs Japonais, des ressortissants d’une dizaine d’autres pays au moins et sans doute des milliers de Nord-Coréens. En Corée du Nord même, on compte, parmi les « disparus », des centaines de Nord-Coréens sans papiers renvoyés de force par la Chine au moment de la famine du milieu des années 1990.

Les premières affaires remontent à 1953 et si certains dossiers font l’objet d’une enquête en Corée du Sud et au Japon, il n’y a eu que des réactions limitées de la part du gouvernement nord-coréen. Parmi les très nombreux Nord-Coréens victimes de disparitions forcées on trouve des personnes punies pour association avec des personnes qualifiées d’hostiles au gouvernement (« culpabilité par association »). Le gouvernement nord-coréen refuse d’admettre l’existence et de donner des informations sur le sort de ces personnes portées disparues.

Pakistan

Plusieurs centaines de disparitions forcées se sont produites au Pakistan dans le cadre de la « guerre au terrorisme » depuis 2002. Face aux disparitions forcées de personnes soupçonnées de terrorisme, les autorités affichent la même indifférence manifeste que face à la disparition de personnes qualifiées de « dissidents politiques », notamment dans les provinces du Baloutchistan et du Sind.

Les manifestations répétées et les nombreux recours déposés par les familles des « disparus » ainsi que l’intervention de la Cour suprême ont forcé le gouvernement à reconnaître qu’il détenait des dizaines de personnes soupçonnées de terrorisme, mais on ignore toujours le sort de la majorité des personnes portées disparues. Les autorités, notamment les agences de renseignement, continuent de passer outre aux décisions de justice ordonnant la comparution des prévenus devant un tribunal.
Selon la presse, une centaine de personnes portées disparues auraient été retrouvées ou libérées. Plus de 250 affaires de ce type ont été soumises à la Cour suprême. Cependant, la plupart des personnes libérées, victimes d’actes d’intimidation, ont peur de parler ; celles qui sont en détention ont été inculpées d’infractions pénales. De nombreuses personnes détenues au Pakistan ont déclaré avoir été torturées ou maltraitées pendant leur disparition forcée. Amnesty International considère que tous les fonctionnaires de l’État – y compris les membres des services de police et de renseignement – responsables d’internements illégaux, de disparitions forcées et d’actes de torture doivent être amenés à rendre compte de leurs actes.

Philippines

Aux Philippines, plus de 1 600 personnes ont été victimes de disparitions forcées depuis les années 1970. Au moins 17 « disparitions » de militants politiques ont été signalées depuis janvier 2007. Les « disparitions » se sont produites pour la plupart au moment des opérations anti-insurrectionnelles menées contre la New People’s Army (NPA, Nouvelle Armée du peuple), le Moro Islamic Liberation Front (MILF, Front de libération islamique moro) et d’autres groupes musulmans sécessionnistes. Parmi les victimes de disparitions forcées, on compte des sympathisants politiques présumés de chacun de ces groupes. Amnesty International craint qu’avec la hausse du nombre d’assassinats de militants politiques ces dernières années, les disparitions forcées ne se soient également multipliées.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires a fait état de plusieurs causes possibles pour expliquer le climat de violence et les assassinats politiques aux Philippines, à l’issue de sa visite dans ce pays en février 2007. Pour les militants locaux, certaines de ces causes seraient liées – le climat d’impunité régnant bénéficierait notamment à tous ceux qui ont des liens avec les forces de sécurité - faisant craindre un renouveau des « disparitions ».

En avril 2007, l’enlèvement de Jonas Burgos, fils d’un journaliste très connu à l’époque du président Marcos, a mis en lumière ces inquiétudes, au plan national et international. Jonas Burgos, agronome impliqué dans la formation de paysans liés à une organisation politique locale de gauche, aurait été enlevé par des agresseurs ayant des liens avec les militaires. Comme dans le cas de nombreuses autres « disparitions » présumées, les militaires ont nié toute implication et n’ont pas assisté aux audiences du procès, ce qui a exacerbé les craintes de tous ceux qui redoutent que l’impunité soit accordée aux militaires. Amnesty International reconnaît que les efforts se poursuivent au Congrès pour faire adopter des lois faisant des disparitions forcées une infraction dûment reconnue par le Code pénal.

Sri Lanka

Amnesty International a rassemblé des témoignages illustrant une augmentation inquiétante du nombre des disparitions forcées au Sri Lanka ces derniers mois. Au moins 21 personnes auraient « disparu » en août dans le seul district de Jaffna. Cette augmentation reflète une tendance inquiétante ; selon la Commission nationale des droits humains du Sri Lanka, plus d’un millier de personnes ont « disparu » dans tout le pays depuis janvier 2007, un millier de personnes au moins avaient déjà « disparu » en 2006. Exécutions extrajudiciaires, enlèvements et disparitions forcées de civils sont à présent quotidiens. Une infime partie de ces atteintes aux droits humains a abouti à des procès et à la condamnation de leurs auteurs.

Plus de 5 700 affaires non résolues de disparitions forcées au Sri Lanka ont été soumises au Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Des membres des forces de sécurité sont impliqués dans de nombreuses disparitions forcées au Sri Lanka, les membres d’autres groupes armés comme les Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE, Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul) ou la faction Karuna sont également impliqués. Amnesty International demande instamment au gouvernement du Sri Lanka de ratifier de toute urgence la Convention des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, d’inviter le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires à se rendre dans le pays et de mettre en œuvre ses précédentes recommandations.

Thaïlande

De très nombreuses disparitions forcées ont marqué l’histoire thaïlandaise récente, dans un contexte caractérisé par une culture de l’impunité bien ancrée à l’égard des forces de sécurité du pays. La disparition forcée de plus de vingt personnes depuis l’escalade de violence politique dans le sud de la Thaïlande en 2004 n’a pas fait l’objet d’une enquête approfondie. De plus, les auteurs présumés d’homicides et de disparitions forcées pendant la répression militaire qui a suivi les manifestations en faveur de la démocratie à Bangkok en mai 1992 n’ont pas été poursuivis en justice.

Les défenseurs des droits humains qui tentent d’enquêter et de rassembler des témoignages sur des affaires de disparitions forcées sont confrontés à de sérieux obstacles, des menaces de mort notamment. En outre, l’absence de tout programme effectif de protection des témoins rend plus difficile la possibilité pour les victimes de disparitions forcées et leurs familles d’obtenir justice.

Amnesty International appelle les autorités thaïlandaises à abroger les lois, décrets ou autres textes autorisant la torture, les mauvais traitements et les disparitions forcées. Le décret de 2005 relatif à l’état d’urgence en particulier ne devrait pas être renouvelé à son expiration le 19 octobre 2007. Ce décret accorde l’impunité aux forces de sécurité en les protégeant de toutes poursuites pour atteinte aux droits humains ; il autorise la détention arbitraire en dehors des établissements officiels, sans possibilité pour les personnes ainsi détenues de consulter un avocat, de contacter leur famille ou de contester la légalité de leur détention.

Amnesty International appelle le gouvernement thaïlandais à signer et ratifier la Convention des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et à faire des disparitions forcées une infraction pénale. L’organisation constate qu’une forme d’indemnisation a été proposée aux familles de certaines victimes de disparitions forcées au cours des violences qui se sont produites dans le sud du pays, mais cela ne saurait remplacer des enquêtes approfondies et l’engagement de poursuites contre les auteurs présumés de tels actes.

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