Inde. Agir avec retenue devra être la règle pendant les élections dans l’État de Jammu-et-Cachemire

Déclaration publique

Index AI :ASA 20/028/2008

À l’approche des élections prévues dans l’État de Jammu-et-Cachemire à partir du 17 novembre et jusqu’au 24 décembre, Amnesty International lance un appel aux forces de sécurité indiennes pour qu’elles agissent avec retenue et évitent tout recours excessif à la force, après la récente phase d’instabilité qu’a connu cet État.

Au moins 40 personnes ont été tuées dans l’État de Jammu-et-Cachemire en 2008 lorsque les Forces centrales de sécurité et la police de l’État ont fait usage de la force contre des manifestants qui avaient défié les restrictions imposées par le couvre-feu, à un moment où les régions de Jammu et du Cachemire étaient le théâtre de manifestations et contre-manifestations. Les manifestations dans ces deux régions ont rendu encore plus difficiles les tâches de maintien de l’ordre et de protection de la sécurité des civils qui souhaitaient exercer leur droit de vote.

Amnesty International n’a eu connaissance des conclusions d’aucune enquête dans l’affaire de la fusillade du 21 août à Baramulla, au cours de laquelle Sheikh Abdul Azeez, dirigeant de la Conférence multipartite Hurriyat pour la liberté (APHC) et au moins quatre autres personnes ont été abattues pendant une procession. Les forces de sécurité ont fait un usage injustifié de la force à Baramulla et dans plusieurs autres endroits au cours des troubles. Deux autres dossiers, également abordés par Amnesty International en 2008 – la découverte de tombes anonymes signalée en mars par l’Association des parents de disparus dans l’État de Jammu-et-Cachemire (APDP) et l’attentat en juin contre Pervez Imroz, défenseur des droits humains et membre de l’APDP, par des membres présumés des Forces centrales de réserve de la police (CRPF), n’ont toujours pas fait l’objet d’une enquête approfondie.

Plusieurs textes de loi relatifs à la sécurité en vigueur dans l’État – la Loi relative aux zones troublées de Jammu-et-Cachemire, la Loi de 1958 relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées et la Loi de 1978 relative à la sécurité publique de l’État – favorisent l’impunité en accordant des pouvoirs discrétionnaires aux forces armées et en leur permettant de fait de violer les droits humains. La Commission locale des droits humains fonctionne avec un mandat limité qui l’empêche d’enquêter de manière indépendante sur les allégations de violation des droits humains et les autorités de l’État ne tiennent pas compte, le plus souvent, des recommandations de la Commission.

Lors des élections passées qui se sont déroulées dans l’État de Jammu-et-Cachemire, les violences et attentats, prétendument perpétrés par des groupes armés ayant lancé des appels au boycott des urnes, ont fait de très nombreux morts. La violence ou la menace de violence ne doit pas être utilisée pour intimider ou contraindre les électeurs, les agents électoraux ou les candidats.

En vertu des traités internationaux auxquels elle est État partie, en vertu notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’Inde a obligation de respecter et de protéger le droit à la vie en toutes circonstances. Les autorités de l’État doivent veiller à ce que les forces de sécurité se conforment aux engagements internationaux en matière de droits humains dans l’application de la loi, notamment aux engagements relatifs à l’usage de la force, inscrits dans le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Aux termes de ces textes, les forces de sécurité ne peuvent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions. En particulier, les forces de sécurité ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l’arrestation d’une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l’empêcher de s’échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Les forces de sécurité doivent être pleinement informées de leurs obligations au titre de ces normes et avoir été formées pour les appliquer.

Amnesty International demande instamment aux autorités indiennes de :

 s’attaquer à la culture de l’impunité observée dans l’État de Jammu-et-Cachemire, notamment au cours des récents troubles en ordonnant l’ouverture, dans les meilleurs délais, d’une enquête indépendante et impartiale, par une autorité compétente, sur toute mort ou blessures causées par l’usage d’armes à feu, le recours arbitraire ou excessif à la force ou à des armes à feu par des responsables de l’application des lois ;

 abroger de façon inconditionnelle la Loi de 1958 relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées ainsi que d’autres lois relatives à la sécurité, en vigueur dans l’État de Jammu-et-Cachemire, qui vont à l’encontre des obligations du pays au regard de ses engagements internationaux en matière de droits humains et continuent de représenter une menace pour les droits fondamentaux des personnes

Amnesty International appelle toutes les organisations y compris les partis politiques et groupes armés de l’État de Jammu-et-Cachemire à ne pas commettre ni approuver d’actes de violence contre des opposants politiques et à ne pas faire de déclarations ni entreprendre d’actions susceptibles d’inciter à de tels actes de violence.

Amnesty International appelle les groupes armés

 à respecter les normes minimales d’humanité définies par le droit international, inscrites à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève qui établit les règles à observer dans les conflits armés vis-à-vis des personnes qui ne prennent pas une part active aux hostilités, en particulier l’interdiction de toutes les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes .

Complément d’information

Des organisations séparatistes de la vallée du Cachemire, notamment la Conférence multipartite Hurriyat pour la liberté et le Front de libération de Jammu-et-Cachemire (JKLF) ont appelé à boycotter les élections. Depuis le mois de septembre, six dirigeants des deux organisations ont été arrêtés et inculpés au titre de la Loi relative à la sécurité de l’État de Jammu-et-Cachemire.

Les manifestations de protestation ont commencé cette année après l’annonce par les autorités de Jammu-et-Cachemire le 26 mai d’un projet de transfert de certains terrains forestiers de l’État au Amarnath Shrine Board , le bureau chargé de gérer la grotte d’Amarnath, afin de faciliter le pèlerinage annuel des hindous à ce lieu saint. Après dix jours de manifestations dans la vallée du Cachemire à majorité musulmane, les autorités sont revenues sur leur décision le 1er juillet, provoquant une série de contre-manifestations de la part d’organisations nationalistes hindoues, le Bajrang Dal et le Viswa Hindu Parishad (Conseil hindou mondial) notamment ; dans la région de Jammu, la circulation a été interrompue sur la route nationale reliant Jammu à Pathankot, principale voie terrestre pour se rendre au Cachemire. À la suite de ces évènements, la vallée du Cachemire a été le théâtre d’autres manifestations, au cours desquelles environ 25 personnes ont été tuées par des tirs de la police. Dans un cas au moins, en juillet-août, les autorités de l’État ont donné l’ordre de tirer à vue aux forces de sécurité, après la mort de deux personnes touchées par les tirs de riposte de policiers lors d’affrontements intercommunautaires dans la ville de Kishtwar, dans le district de Doda, dans la région de Jammu.

Un an après les dernières élections qui ont eu lieu en octobre 2002, Amnesty International, faisant référence aux promesses contenues dans le Programme minimum commun (CMP) du gouvernement de coalition composé du Parti du Congrès et du Parti démocratique du peuple, avait appelé les autorités de l’État à mettre fin à la culture de l’impunité en ordonnant l’ouverture d’enquêtes indépendantes sur les violations des droits humains, détentions illégales, actes de torture et exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et agressions sexuelles notamment.

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