L’Inde doit cesser d’invoquer une loi injuste relative aux financements étrangers

Inde loi abusive

Le gouvernement indien doit immédiatement arrêter de harceler le Centre for Promotion of Social Concerns [Centre pour la promotion des questions sociales] et son unité People’s Watch, ont déclaré 10 groupes de défense des droits humains mardi 18 janvier. Le gouvernement doit cesser d’invoquer la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères (FCRA), ainsi que d’autres lois abusives, afin de réduire au silence la société civile en Inde.

Ces groupes sont Amnesty International, le Forum asiatique pour les droits de l’homme et le développement, Christian Solidarity Worldwide, Front Line Defenders, Human Rights Watch, la Commission internationale de juristes, le Réseau international de solidarité avec les dalits, le Service international pour les droits de l’homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et l’Organisation mondiale contre la torture dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme.

Le 8 janvier 2022, le Bureau central d’enquêtes (CBI) indien a perquisitionné les locaux du Centre for Promotion of Social Concerns (CPSC), une organisation non gouvernementale, à Madurai, dans l’État du Tamil Nadu. Des agents du CBI sont entrés dans les bureaux de cette ONG et ont confisqué plusieurs documents. Ces agents ont informé le Centre for Promotion of Social Concerns qu’ils enquêtaient sur des allégations de fraude et d’irrégularités financières en vertu de la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères [1], un texte portant sur les financements étrangers à destination des ONG indiennes.

Le Centre for Promotion of Social Concerns, une organisation de défense des droits humains de premier plan surtout connue pour son unité People’s Watch, effectue un suivi des atteintes aux droits humains, travaille avec des victimes de violations marginalisées sur le plan social et économique, notamment par la police, et propose une éducation et des formations aux droits humains. En 2016, le ministère de l’Intérieur a rejeté la demande de renouvellement du groupe [2] en vertu de la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères. Il a justifié ce refus en citant « un rapport d’enquête », dont un grand nombre de responsables de la société civile pensent qu’il s’agit de rapports de services du renseignement ou des forces de l’ordre.

« People’s Watch, effectue un suivi des atteintes aux droits humains, travaille avec des victimes de violations marginalisées sur le plan social et économique, notamment par la police »

Quand le Centre for Promotion of Social Concerns a contesté la décision du gouvernement devant la haute cour de Delhi, le ministère de l’Intérieur a déclaré à la cour que l’organisation a utilisé des financements étrangers afin de partager avec des rapporteurs spéciaux des Nations unies [3]et des ambassades étrangères des informations « montrant le bilan de l’Inde en matière de droits humains sous un jour négatif [...] préjudiciable à l’image de l’Inde ». Le gouvernement a qualifié cela d’« activités indésirables contraires à l’intérêt national. »

La réaction du gouvernement face à la cour prouve qu’il enfreint les obligations internationales de l’Inde en s’en prenant à un groupe qui promeut le respect des instruments internationaux de défense des droits humains et coopère avec les mécanismes des Nations unies en faveur de ces droits. Le gouvernement a également évoqué des irrégularités financières, bien que la haute cour ait précédemment mis le groupe hors de cause en 2014, après que l’organisation a contesté des suspensions similaires en 2012 et 2013. L’affaire est toujours en instance.

Le gouvernement semble faire systématiquement fi des décisions de justice en faveur d’organisations de la société civile et de leurs droits constitutionnels à la liberté d’expression et d’association. Les tribunaux ont rappelé à de multiples reprises au gouvernement que dans une démocratie, l’opposition pacifique est protégée et ne saurait être muselée.

Le harcèlement que continuent à subir le Centre for Promotion of Social Concerns et People’s Watch viole leur droit à la liberté d’association et à l’accès à des financements, et semble avoir pour objectif de sanctionner cette organisation pour ses activités de défense des droits humains et d’intimider son personnel.

Ces mesures punitives s’inscrivent dans une politique plus large de répression de la société civile en Inde [4], notamment par le biais de lois draconiennes relatives à la sédition et au terrorisme [5]. Depuis 2016, les autorités ont révoqué, suspendu ou refusé de renouveler la licence FCRA [6]de centaines de groupes de la société civile, ou les ont accusés de se soustraire à la loi et ont gelé leurs comptes en banque. Cela a notamment concerné l’Indian Social Action Forum, Lawyers Collective, Sabrang Trust, Navsarjan Trust, Anhad, Oxfam Inde, Greenpeace et Amnesty International Inde. Les groupes travaillant sur les droits des populations les plus vulnérables d’Inde, telles que les dalits (opprimés), les minorités religieuses et les adivasis (aborigènes), sont tout particulièrement pris pour cibles.

« Ces mesures punitives s’inscrivent dans une politique plus large de répression de la société civile en Inde, notamment par le biais de lois draconiennes relatives à la sédition et au terrorisme »

Au fil des années, un certain nombre d’organes des Nations unies ont fait état de leur préoccupation quant à l’utilisation de la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères afin de réduire au silence les voix contestataires. En 2016, trois expert·e·s des droits humains aux Nations unies [7] ont exhorté le gouvernement à abroger cette loi, déclarant qu’elle était invoquée afin d’« entraver » l’accès à des financements étrangers, et qu’elle « n’est pas conforme aux normes internationales relatives aux droits humains ». En octobre 2020, Michelle Bachelet, la haut-commissaire aux droits de l’homme, a déclaré [8] que les dispositions de la FCRA, formulées de manière vague et très large dans leurs objectifs, laissent cette loi « ouverte aux abus », et qu’elle est « en fait utilisée pour dissuader ou punir des ONG pour leur travail d’information et de défense des droits de l’homme, que les autorités perçoivent comme étant critiques par essence. »

Et pourtant, en 2020, le Parlement indien a apporté des modifications à cette loi [9], y ajoutant des dispositions relatives à une surveillance gouvernementale intrusive, des réglementations et procédures de certification supplémentaires, ainsi que des exigences opérationnelles, qui ont eu des effets encore plus préjudiciables sur la capacité des groupes de la société civile à obtenir des financements étrangers et à mener à bien leur travail en faveur des droits humains.

La Commission indienne des droits humains doit enquêter dans les meilleurs délais sur le refus du gouvernement de renouveler l’enregistrement du Centre for Promotion of Social Concerns au titre de cette loi, et prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires afin de protéger les personnes et les organisations défendant les droits humains, notamment leur droit à la liberté d’association et leur accès à des financements.

Les autorités indiennes doivent immédiatement mettre fin à toutes les manœuvres de harcèlement visant le Centre for Promotion of Social Concerns et People’s Watch, retirer toutes les plaintes contre ces organisations et renouveler leur enregistrement en vertu de la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères, et ainsi leur permettre de reprendre leur travail en faveur des droits humains. Le gouvernement doit par ailleurs modifier la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères afin de la mettre en conformité avec le droit international et les normes relatives aux droits humains, et cesser de l’utiliser pour s’en prendre aux défenseur·e·s de ces droits et aux autres personnes exerçant leurs libertés les plus fondamentales. Il doit en outre veiller à ce que toutes les personnes et organisations défendant les droits humains soient en mesure de mener leurs activités à bien sans aucune gêne ni crainte de représailles.

Signataires :

• Amnesty International
• Forum asiatique pour les droits de l’homme et le développement (FORUM-ASIA)
• Christian Solidarity Worldwide
• Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme
• Front Line Defenders
• Human Rights Watch
• Commission internationale de juristes (CIJ)
• Réseau international de solidarité avec les dalits (IDSN)
• Service international pour les droits de l’homme (ISHR)
• Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme

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