Inde. Deux après l’abrogation de la Loi sur la prévention du terrorisme, les détentions continuent


Déclaration publique

ASA 20/026/2006

Amnesty International constate avec inquiétude que, deux après la décision de l’Inde d’abroger la loi controversée sur la prévention du terrorisme (POTA) après de nombreux abus, des centaines de personnes détenues aux termes de cette loi continuent à languir en prison, sans procès, et plusieurs autres sont traduites en justice pour avoir violé un texte de loi entaché d’irrégularités et désormais caduque.

Cette loi est restée en vigueur pendant presque trois ans, de 2001 à 2004. Aux termes de ce texte, des personnes pouvaient être arrêtées sur de simples soupçons et détenues sans inculpation ni procès pendant six mois. La POTA permettait aussi des enquêtes spéciales, ainsi qu’une procédure et des tribunaux spéciaux.

Amnesty International rappelle que le 21 septembre 2004, le nouveau gouvernement du Premier ministre Manmohan Singh a tenu l’une de ses principales promesses électorales en abrogeant la POTA et en modifiant les textes de loi existants, reconnaissant que cette loi avait été utilisée pour viser des opposants politiques, des minorités et des populations marginalisées de la société indienne.

À cette période, le gouvernement indien s’était engagé à terminer son examen des affaires relevant de la POTA en l’espace d’une année. Cependant, un grand nombre de personnes détenues aux termes de cette loi continuent de languir dans des centres de détention indiens. Une majorité des affaires ont été examinées par des comités constitués à cette fin, mais le processus d’examen lui-même a été remis en question : certains gouvernements d’État, dont l’État occidental du Gujarat, ont soutenu que leur parquet avait le pouvoir de rejeter les recommandations des comités, lorsque ceux-ci demandaient que les inculpations liées à POTA soient abandonnées, dans des affaires importantes.

En outre, à l’exception de quelques affaires fortement médiatisées, dont celle liée à l’attentat de décembre 2001 contre le parlement indien, rares ont été les condamnations prononcées aux termes de cette loi ; dans certaines affaires, les inculpations aux termes de la POTA n’ont jamais été prononcées, et, pour plusieurs personnes encore en détention, la procédure judiciaire n’est toujours pas amorcée.

Le nombre de personnes encore détenues aux termes de la POTA reste controversé.
Selon le gouvernement, 135 personnes sont encore détenues, mais des militants des droits humains affirment qu’elles sont au moins 400. Amnesty International peut confirmer qu’au moins 265 personnes se trouvent toujours en détention, sans procès ou attendant leur procès. (Le nombre de personnes condamnées aux termes de la POTA est limité, mais ces condamnations concernent des affaires graves et médiatisées).

Par exemple, les statistiques officielles données par le gouvernement ne tiennent pas compte des 21 sympathisants maoïstes présumés, détenus depuis plus de quarante-six mois dans l’État méridional du Tamil Nadu, où la POTA aurait servi à réprimer des opposants politiques. Dans le Gujarat, où la POTA a été largement utilisée pour viser la minorité musulmane, certaines sources indiquent qu’il pourrait y avoir jusqu’à 200 détenus, au lieu de 87, qui correspond aux statistiques officielles.

En outre, le gouvernement du Gujarat a décidé de contester devant la Cour suprême la décision du comité de révision d’abandonner les inculpations visant certains accusés, notamment dans l’affaire liée à la tragédie de l’incendie du train de Godhra, en 2002. (Cette tragédie avait déclenché les émeutes communautaires qui avaient coûté la vie à plus de 2 000 personnes dans l’État, des musulmans pour la plupart).

L’abrogation du POTA justifie les préoccupations d’Amnesty International, déjà exprimées à l’époque de l’élaboration de cette loi ; notre organisation craignait que ce texte ne se conforme pas au principe de certitude en droit pénal, ne respecte pas les garanties d’avant-procès ni les droits des prévenus ou accusés lors des procès, et constitue une menace à la liberté d’expression et d’association (Inde. Le projet de loi 2000 sur la prévention du terrorisme : veut-on en finir avec les abus du passé ? index AI : ASA 20/022/2000, juin 2000 ; India : Briefing on the Prevention of Terrorism Ordinance, index AI : ASA 20/049/2001, novembre 2001).

Amnesty International note que les autorités indiennes continuent d’hésiter à s’armer encore d’un texte de loi similaire à la POTA, malgré certaines demandes répétées faisant suite aux récentes explosions à Mumbai et Malegaon, dans l’État occidental du Maharashtra. Amnesty International déplore toute agression visant délibérément des civils et toute attaque indiscriminées, mais soutient que le droit pénal ordinaire permet suffisamment aux autorités de répondre à ces infractions.

Amnesty International demande donc au gouvernement d’abandonner toutes les poursuites aux termes de la POTA et de libérer immédiatement toutes les personnes détenues sans inculpation aux termes de cette même loi, à moins qu’il ne décide, promptement, de transférer ces personnes à des tribunaux ordinaires pour répondre d’inculpations à caractère pénal ordinaire. Même dans ce cas, la détention prolongée doit rester l’exception plutôt que la règle, et les procès doivent respecter les normes internationales d’équité.

Le temps passé en détention doit être déduit de la peine à purger. Le procès, la condamnation et les peines prononcées dans des affaires déjà terminées doivent être révisés, à la lumière des dispositions et exigences du droit pénal ordinaire et des normes internationales d’équité.

Les mêmes principes doivent s’appliquer aux personnes toujours détenues ou emprisonnées aux termes de la précédente Loi de 1987 relative à la prévention des activités terroristes et déstabilisatrices (TADA), une décennie après sa caducité.

Contexte

Les dispositions de la POTA sont entrées en vigueur sous la forme d’un décret présidentiel, la POTO (Ordonnance relative à la prévention du terrorisme), en octobre 2001, peu après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et l’adoption de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies demandant aux États de prendre des mesures contre le terrorisme. En mars 2002, le parlement indien a voté la POTA ; la Loi est restée en vigueur jusqu’en septembre 2004, un mois avant de devenir caduque.

En trois ans, 217 affaires auraient fait l’objet d’une enquête aux termes de la POTA ; dans 116 d’entre elles, les procès ont été menés à terme ou sont en cours. Environ 3 500 personnes dans 18 États indiens (dont quelques mineurs au Jharkhand et au Tamil Nadu) ont été détenues aux termes de cette loi pendant divers laps de temps. Le Gujarat est l’État ayant le nombre de détentions le plus élevé ; sur les 287 personnes placées au départ en détention, toutes sauf une étaient musulmanes.

La Loi de 1987 relative à la prévention des activités terroristes et déstabilisatrices (TADA), avait précédé la POTA. Cette loi avait été laissée en désuétude en 1995, après de nombreuses critiques contre son usage généralisé à l’encontre d’opposants politiques pacifiques, de militants des droits humains, de minorités et de populations marginalisées de la société indienne. 77 000 personnes environ ont été arrêtées arbitrairement aux termes de la TADA, et des milliers d’entre elles ont été torturées pour leur extorquer des aveux. Environ 72 000 de ces personnes ont été libérées par la suite sans inculpation ni procès. Une décennie après la tombée en désuétude de la TADA, 147 personnes sont toujours en détention pour des infractions à cette loi, dont certaines en lien avec des affaires médiatisées dont les procès se poursuivent.

Les gouvernements indiens successifs ont voté divers textes de loi relatifs à la sécurité au niveau fédéral et étatique. Parmi les textes votés au cours des dernières décennies figurent la Loi relative à la sécurité nationale, la Loi relative aux zones troublées, la Loi relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées, La Loi relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées (Jammu-et-Cachemire) et la Loi relative à la sécurité publique de Jammu-et-Cachemire, qui ont entraîné des atteintes aux droits humains.

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