L’Agence nationale d’investigation, principal organe de lutte contre le terrorisme dans le pays, a effectué des raids au domicile et sur le lieu de travail de plusieurs militant·e·s de renom en faveur des droits humains, parmi lesquels Khurram Parvez, coordinateur de la Coalition de la société civile de l’État de Jammu-et-Cachemire (JKCCS), trois de ses collaborateurs, et Parveena Ahanger, présidente de l’Association des familles de personnes disparues (APDP). Ces deux organisations ont fait état de nombreuses atteintes aux droits humains au Cachemire, notamment des placements en détention administrative pour des durées indéterminées, l’exécution extrajudiciaire de défenseur·e·s des droits humains, la torture de personnes en détention et l’impunité généralisée des forces de sécurité dans la région. De nouvelles descentes ont eu lieu dans les bureaux des organisations non gouvernementales Athrout et GK Trust, et à la résidence de Parvez Bukhari, correspondant de l’Agence France-Presse au Cachemire.
Selon une déclaration de l’Agence nationale d’investigation, ces descentes ont été menées sur la base d’« informations crédibles » selon lesquelles ces organisations ont bénéficié de financements indiens et provenant de l’étranger « pour des activités sécessionnistes et terroristes dans l’État de Jammu-et-Cachemire », ce qui est contraire à la Loi relative à la prévention des activités illégales et à la Loi de réglementation des contributions étrangères, les principaux textes relatifs à la lutte contre le terrorisme et aux financements étrangers en Inde.
« Ces raids rappellent de manière alarmante que le gouvernement indien est déterminé à réduire au silence toutes les voix contestataires dans l’État de Jammu-et-Cachemire. » Les autorités prennent manifestement pour cible ces groupes de la société civile et ces médias en raison de leur travail inlassable de mise en avant et de défense des droits de la population de cet État, bien que le gouvernement indien ait fortement restreint les communications dans la région depuis le 5 août 2019 », a déclaré Julie Verhaar, secrétaire générale adjointe à Amnesty International.
« Ces raids rappellent de manière alarmante que le gouvernement indien est déterminé à réduire au silence toutes les voix contestataires dans l’État de Jammu-et-Cachemire. »
« Nous déplorons en particulier que la Loi relative à la prévention des activités illégales et la loi sur les financements étrangers soient souvent et délibérément utilisées dans le but d’intimider et de harceler des groupes de la société civile, ainsi que pour limiter leur capacité à fonctionner, ce qui constitue une violation claire de leurs droits à la liberté d’expression et d’association. »
Ces raids surviennent après qu’Amnesty International Inde a été forcée à mettre la clé sous la porte et à se séparer de ses employé·e·s dans le pays à compter du 1er octobre 2020, ses comptes en banque ayant été gelés par le gouvernement peu après que l’organisation a publié un rapport de situation sur les droits humains dans l’État de Jammu-et-Cachemire.
En septembre 2020, l’APDP a soumis au Groupe de travail sur la détention arbitraire et au rapporteur spécial des Nations unies sur la torture près de 40 témoignages de personnes ayant subi une détention arbitraire et des actes de torture aux mains des forces de sécurité au Cachemire. Le 5 août 2020, la JKCCS a publié son évaluation semestrielle sur la situation des droits humains, qui contenait des informations sur l’exécution extrajudiciaire d’au moins 32 personnes ainsi que sur l’impact de la coupure d’Internet dans la région.
« Nous déplorons en particulier que la Loi relative à la prévention des activités illégales et la loi sur les financements étrangers soient souvent et délibérément utilisées dans le but d’intimider et de harceler des groupes de la société civile, ainsi que pour limiter leur capacité à fonctionner, ce qui constitue une violation claire de leurs droits à la liberté d’expression et d’association. »
La loi contre le terrorisme et celle sur les financements étrangers ont toutes deux été critiquées en raison de leur champ d’application trop large, qui est exploité afin d’incriminer les minorités religieuses, les opposant·e·s politiques et les défenseur·e·s des droits humains. En octobre 2020, Michelle Bachelet, la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a demandé au gouvernement indien de revoir la loi relative aux financements étrangers et de s’assurer qu’elle soit conforme aux normes internationales en matière de droits humains. Elle a déploré que cette loi soit « utilisée pour dissuader ou punir des ONG pour leur travail d’information et de défense des droits de l’homme ».
Depuis 2014, plusieurs organisations ont été prises pour cible au titre de la loi sur la réglementation des financements étrangers, notamment Greenpeace Inde, Lawyers Collective, Centre for Promotion of Social Concerns, Sabrang Trust, Navsarjan Trust, Act Now for Harmony and Democracy, NGO Hazards Centre, et Indian Social Action Forum. En septembre 2020, sur fond de pandémie de COVID-19, cette loi a de nouveau été modifiée - sans que cela n’ait donné lieu à une consultation publique - dans le but de museler la société civile en Inde.
Complément d’information
Le 19 octobre, les locaux du Kashmir Times, un quotidien, ont été condamnés par le service du patrimoine de l’État de Jammu-et-Cachemire. Depuis le 5 août 2019, Anuradha Bhasin, la rédactrice en chef du Kashmir Times, est le fer de lance de l’action introduite devant la Cour suprême indienne contre la coupure d’Internet et des services téléphoniques dans cet État.
Déclaration d’Amnesty International sur la suspension de ses activités en Inde : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/09/amnesty-international-india-halts-its-work-on-upholding-human-rights-in-india-due-to-reprisal-from-government-of-india/.
Déclaration du 20 octobre de la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, sur la situation des ONG et des défenseur·e·s des droits humains en Inde : https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26398&LangID=F
Dans son point sur la situation [1], Amnesty International Inde a recensé les agressions physiques et les actes d’intimidation dont ont été victimes au moins 18 journalistes depuis le 5 août 2019. La section indienne a également demandé le retrait de mesures draconiennes visant les médias, introduites par le gouvernement afin de créer « un récit en continu sur le fonctionnement du gouvernement dans les médias » passant par la surveillance « des activités hostiles à la nation ».
En s’en prenant directement aux organisations de la société civile et en ne les protégeant pas, l’Inde ne respecte pas ses obligations en matière de droits humains, en particulier en vertu des articles 19 et 22 du Pacte international des droits civils et politiques, auquel elle est partie.