Son rapport [1] issu du quatrième cycle du processus d’évaluation de l’Inde sur le plan des mesures prises pour lutter contre les financements illicites souligne qu’il est « essentiel » d’adopter une « approche éducative et fondée sur les risques avec les organisations à but non lucratif ».
« L’organisme mondial de surveillance financière recommande plusieurs “actions prioritaires”, dont l’une est de veiller à ce que la société civile indienne ne soit pas harcelée et intimidée inutilement sous prétexte de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le gouvernement pourrait parler uniquement des points positifs du rapport du GAFI concernant l’Inde, mais il ne doit pas minimiser le rappel à l’ordre qu’il a reçu pour son application partielle des mesures visant à protéger les activités légitimes du secteur non lucratif », a déclaré Aakar Patel, président du conseil exécutif d’Amnesty International Inde.
Le rapport montre que les mesures prises par l’Inde ne sont que « partiellement conformes » à la recommandation 8 du GAFI, qui exige que les lois et la réglementation visant à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ciblent uniquement les organisations à but non lucratif qu’un pays a identifiées – par le biais d’une analyse minutieuse et ciblée « fondée sur les risques » – comme risquant d’être exploitées à des fins de financement du terrorisme.
Trois principaux points sont critiqués dans le rapport du GAFI :
Premièrement, l’organisme dénonce l’incapacité du département indien de l’impôt sur le revenu à démontrer qu’il a surveillé en priorité les 7 500 organisations à but non lucratif identifiées comme susceptibles d’être exploitées à des fins de financement du terrorisme.
Deuxièmement, le GAFI note que les lourdes contraintes administratives imposées aux organisations à but non lucratif en matière d’enregistrement et d’audit en Inde ne sont pas toujours « fondées sur les risques ni appliquées sur la base de consultations avec [elles] afin d’éviter un impact négatif sur leur travail ».
Troisièmement, le GAFI reconnaît que les modifications apportées en 2020 à la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères ont été mises en œuvre sans consultation adéquate des organisations à but non lucratif, ce qui a « eu des conséquences sur leur activité ou leurs modèles de fonctionnement ». Le gouvernement a en effet bloqué les financements étrangers de milliers d’organisations de la société civile en invoquant cette loi. Plus de 20 600 ONG ont perdu leur autorisation de recevoir des fonds provenant de l’étranger au cours de la dernière décennie, dont beaucoup œuvrent depuis longtemps pour la défense des droits humains dans le pays.
L’Inde doit adopter une approche fondée sur les risques
Par ailleurs, le rapport relève que les délais des procédures engagées au titre de la Loi relative à la prévention des activités illégales et de la Loi relative à la prévention du blanchiment d’argent sont « à l’origine d’un nombre élevé d’affaires en cours et de personnes placées en détention provisoire dans l’attente du jugement et de la clôture du dossier ». Ces délais sont révélateurs de la possibilité que ces lois soient utilisées abusivement pour réprimer les défenseur·e·s des droits humains, les procédures pénales étant alors caractérisées par des dispositions strictes en matière de libération sous caution, des détentions prolongées et de longues enquêtes qui servent de sanctions [2].
Ces lois sont ensuite invoquées afin de lancer des poursuites sur la base de charges liées au terrorisme et, entre autres, pour empêcher les organisations et les militant·e·s d’accéder à des fonds essentiels
Parmi les « actions prioritaires » recommandées par le GAFI, l’Inde doit adopter une approche fondée sur les risques, notamment en menant un travail plus ciblé et coordonné pour sensibiliser les organisations à but non lucratif sur leurs risques de financement du terrorisme. Le GAFI recommande également au gouvernement indien de remédier à la longueur des procédures engagées au titre de la Loi relative à la prévention des activités illégales et de la Loi relative à la prévention du blanchiment d’argent en tenant compte du nombre élevé d’arrestations au regard du faible taux de condamnation en vertu de ces deux lois.
Un rapport publié par Amnesty International en septembre 2023 a montré précédemment que les autorités indiennes avaient détourné les recommandations du GAFI dans le but d’adopter des lois draconiennes s’inscrivant dans une campagne coordonnée visant à étouffer les organisations à but non lucratif. Ces lois sont ensuite invoquées afin de lancer des poursuites sur la base de charges liées au terrorisme et, entre autres, pour empêcher les organisations et les militant·e·s d’accéder à des fonds essentiels.
« Amnesty International n’a cessé de dénoncer l’instrumentalisation de ces lois par les autorités pour attaquer, intimider, harceler et museler les personnes qui les critiquent. En consultant les acteurs du secteur non lucratif, le gouvernement doit mettre en place des mesures ciblées et proportionnées en rendant les textes tels que la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères et la Loi relative à la prévention des activités illégales conformes aux normes internationales relatives aux droits humains. Le gouvernement indien ne doit pas prendre à la légère les actions prioritaires recommandées dans le rapport du GAFI et doit adapter ses mesures en adoptant une approche fondée sur les risques, pour mettre fin à la chasse aux sorcières menée en vertu des lois relatives à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent à l’encontre des organisations à but non lucratif, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s qui osent exprimer une opinion dissidente », a déclaré Aakar Patel.