« Le gouvernement indien doit arrêter de chercher à étouffer les voix dissidentes. L’utilisation de la principale loi antiterroriste du pays, la Loi relative à la prévention des activités illégales, contre deux étudiants ayant participé à des manifestations contre la loi discriminatoire relative à la citoyenneté est un prolongement de la répression ciblant quiconque critique l’État. Une pratique se dessine, qui consiste à utiliser la Loi relative à la prévention des activités illégales pour réprimer la dissidence – parmi les exemples récents illustrant comment les autorités se servent abusivement de cette loi, citons les cas de la photojournaliste Masrat Zehra [1], inculpée en raison de ses posts sur les réseaux sociaux publiés depuis le Cachemire en début de semaine, et les défenseurs des droits humains Anand Teltumbde et Gautam Navlakha [2], arrêtés la semaine dernière, a déclaré Avinash Kumar, directeur d’Amnesty International Inde.
« Amnesty International Inde estime que ces nouvelles affaires intentées au titre de la Loi relative à la prévention des activités illégales, ainsi que l’arrestation de 11 militants en lien avec les émeutes de Bhima Koregaon [3], sont motivées par des considérations politiques et ont pour but de faire taire celles et ceux qui réclament que l’État rende des comptes. Le gouvernement indien semble faillir à son obligation de protéger les défenseur·e·s des droits humains, ainsi que les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. »
« Les autorités doivent cesser de criminaliser les manifestations »
Il est à déplorer que celles et ceux qui ont exercé leur droit de réunion pacifique contre la loi sur la citoyenneté et le Registre national des citoyens (NRC) depuis le mois de décembre dernier soient arrêtés et intimidés au moyen de diverses lois répressives [4]. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont condamné la Loi relative à la prévention des activités illégales, la jugeant répressive et non conforme aux normes internationales relatives aux droits humains.
« Les autorités doivent cesser de criminaliser les manifestations. Lorsque des droits et des libertés durement acquis sont ébranlés, tout le monde a à y perdre. »
Complément d’information
Le 12 décembre 2019, le Parlement indien a adopté le projet d’amendement à la loi sur la citoyenneté (CAA), validé par le président indien. Cette loi accorde l’éligibilité pour la citoyenneté indienne aux hindous, sikhs, parsis, chrétiens, bouddhistes et jaïns originaires d’Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan, et exclut les musulmans, légitimant ainsi la discrimination fondée sur des motifs religieux.
Depuis décembre 2019, des manifestations contre les amendements à la loi sur la citoyenneté ont eu lieu dans toute l’Inde
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, le Parlement européen [5], la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) et plusieurs sénateurs américains [6] ont fait part de leurs vives préoccupations au sujet de la loi sur la citoyenneté.
En outre, les amendements apportés à cette loi instrumentalisent le Registre national des citoyens (NRC), le Registre national de la population (NPR) et les tribunaux pour étrangers, et poussent les minorités, musulmanes notamment, vers une situation de détention et d’apatridie. Actuellement, plus de 1,9 millions de personnes sont exclues du Registre national des citoyens, un processus d’enregistrement mis en œuvre dans l’État de l’Assam sur une période de cinq ans.
Depuis décembre 2019, des manifestations contre les amendements à la loi sur la citoyenneté ont eu lieu dans toute l’Inde.
Le 12 décembre, Akhil Gogoi, militant et dirigeant du Krishak Mukti Sangram Samiti (KMSS), un syndicat basé en Assam qui défend les droits des paysans, a été arrêté par la police d’État en vertu de plusieurs articles de la Loi relative à la prévention des activités illégales. Le KMSS a joué un rôle essentiel dans l’organisation des manifestations contre cette loi à travers l’Assam. Le 26 mars 2020, Akhil Gogoi a été libéré sous caution.
En décembre 2019 à Varanasi (Bénarès), la circonscription du Premier ministre Narendra Modi, la police a tiré sans discrimination avec des armes à feu et des armes à létalité atténuée afin de disperser des manifestants pacifiques. Un enfant de huit ans est mort écrasé le 20 décembre et plus d’une dizaine de personnes ont été blessées [7].
La police a aussi attaqué des étudiants manifestant sur le campus des universités Jamia Millia Islamia et Jawaharlal Nehru (JNU), à Delhi, en décembre 2019 et janvier 2020 respectivement. Des étudiants ont aussi été attaqués à l’Université Aligarh Muslim (AMU) alors qu’ils manifestaient contre la loi sur la citoyenneté en décembre 2019.
Cependant, à ce jour, aucune plainte n’a été déposée contre des policiers pour usage d’une force excessive contre les manifestants.
Le 22 février, des manifestants pacifiques ont occupé une portion de la route aux abords de la station de métro Jaffrabad, dans le nord-est de New Delhi. Ils protestaient contre la Loi sur la citoyenneté (CAA) et le Registre national des citoyens (NRC).
Le 23 février, Kapil Mishra, dirigeant du Parti du peuple indien Bharatiya Janata (BJP), a tenu un discours provocateur et donné trois jours à la police de Delhi pour évacuer les manifestants à Jaffrabad.
Au cours de la semaine du 24 février, des affrontements ont éclaté. Plus de 50 personnes ont été tuées dans ces émeutes, dont un policier, et des centaines d’autres blessées.
Le 2 avril, la police de Delhi a arrêté Meeran Haider, étudiant en thèse à l’Université de Jamia Millia Islamia et coordinateur médias du Comité de coordination de Jamia. Quelques jours plus tard, Safoora Zargar, étudiante en master de philosophie à la même université, a été interpellée pour avoir bloqué la route aux abords de la station de métro de Jaffrabad. Tous deux sont maintenus en détention dans l’attente d’un complément d’enquête.
Ces deux étudiants, Meeran Haider et Safoora Zargar, sont également inculpés des infractions de sédition, meurtre, tentative de meurtre, promotion de l’inimitié entre différents groupes sur la base de la religion et émeute.
Le procès-verbal introductif dressé par la police cite également Umar Khalid, ex-étudiant de l’Université Jawaharlal Nehru, affirmant qu’il a tenu des discours provocateurs et manigancé le « complot prémédité » portant sur des violences communautaires au cours de la visite du président américain Donald Trump en Inde au mois de février.