Inde. Les nouvelles lois antiterroristes doivent être conformes aux normes internationales relatives aux droits humains

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : ASA 20/031/2008 -

ÉFAI

Les nouvelles lois antiterroristes votées il y a deux jours en Inde, à la suite des attentats qui avaient fait plus de 170 morts en novembre à Mumbai (Bombay), ne sont pas à la hauteur des normes internationales relatives aux droits humains, a déclaré Amnesty International ce jeudi 18 décembre.

Amnesty International lance un appel au président de l’Inde afin qu’il rejette les nouvelles modifications des lois antiterroristes, car plusieurs de leurs dispositions sont contraires aux traités internationaux relatifs aux droits humains juridiquement contraignants pour le pays, et notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

Amnesty International prie le président, les autorités et les législateurs de l’Inde de revoir les nouvelles dispositions prévues à la Loi relative à la prévention des activités illégales (UAPA) de 1967 ainsi que celles de la nouvelle loi portant création d’une agence nationale d’investigation chargée exclusivement d’enquêter sur les actes de terrorisme commis dans le pays.

L’organisation reconnaît que les autorités indiennes ont le droit et le devoir de prendre des mesures efficaces pour garantir la sécurité de la population. Cependant, jamais les questions de sécurité ne pourraient justifier la mise en péril des droits humains tels qu’ils sont inscrits dans le droit et les normes internationaux. Dans sa déclaration sur les multiples attaques perpétrées récemment à Mumbai et ailleurs en Inde, Amnesty International a demandé que les responsables soient traduits en justice dans le respect des normes internationales d’équité.

Au cours de ces dernières années, d’autres pays ont réagi à des attaques similaires en faisant voter précipitamment des lois antiterroristes et en appliquant sans douceur des pratiques contraires aux droits humains. Cela a montré que ce type de mesures sapent les fondements de l’état de droit et nuisent au respect des droits humains dans le monde entier, sans pour autant accroître la sécurité. En fait, l’Assemblée générale des Nations unies a déclaré en 2006 que les mesures garantissant le respect des droits humains pour tous et de la primauté du droit étaient la base fondamentale de la lutte antiterroriste .

Amnesty International met l’accent sur les dispositions ci-après qui apparaissent dans les dernières modifications législatives. Elles sont incompatibles avec le droit et les normes internationaux relatifs aux droits humains et doivent être rejetées ou faire l’objet d’un réexamen approfondi :

1. Elles utilisent des définitions générales et bien trop larges de la notion d’« acte de terrorisme » . Ces définitions sont si vastes qu’elles recouvrent ce qui pourrait être qualifié d’infractions mineures, comme des actes qui pourraient occasionner « la perte ou la destruction de biens, ou des dégâts à des biens » et qui seraient simplement susceptibles de terroriser le peuple indien (c’est Amnesty International qui souligne). À l’origine, ces actes devaient nécessairement être animés d’une intention.

2. Les modifications continuent à utiliser des définitions générales de la qualité de « membre » d’une « bande ou organisation terroriste » sans aucune précision claire et absolue de ce qu’implique la participation à ces bandes ou organisations .
Ces dispositions peuvent constituer des restrictions excessives aux droits à la liberté d’association et à la liberté de réunion. Ces droits sont protégés par les articles 21 et 22 du PIDCP .

3. Les modifications législatives prévoient d’allonger la durée minimum de détention des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des actes de terrorisme, qui passe de quinze à trente jours, et la durée maximum de détention de ces suspects, fixée à cent quatre-vingts jours, alors que la limite de quatre-vingt-dix jours imposée jusqu’à présent se situait déjà bien au-delà des normes internationales . Elles ne contiennent aucune disposition garantissant, pendant la période précédant le procès, la protection des détenus contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (autres mauvais traitements).

Il est clair que ces nouveaux textes ne sont pas conformes aux articles 9-2 et 9-3 du PIDCP qui disposent, entre autres, que tout individu arrêté sera informé rapidement des raisons de cette arrestation et jugé dans un délai raisonnable, ou libéré. Amnesty International craint en outre que la possibilité de maintenir une personne en détention pendant de longues périodes, sans inculpation ni jugement, n’ouvre la voie à la torture ou à d’autres mauvais traitements, dans la mesure où des violations des droits humains de ce type ont déjà été infligées dans le passé à des personnes détenues dans ces conditions.

4. Les modifications prévoient une seule garantie pour la période précédant le procès : la cour doit s’assurer, auprès du ministère public, sur l’état d’avancement de l’enquête et sur les raisons spécifiques justifiant un maintien en détention au-delà de quatre-vingt-dix jours . En outre, la durée la plus longue de la détention provisoire recouvre une fourchette d’infractions bien plus large .

5. Les textes ne prévoient aucune disposition donnant impérativement aux détenus le droit de faire appel d’une décision ou de faire examiner des motifs de leur détention, ce qui risque de réduire la possibilité de bénéficier d’une libération sous caution. Un autre article refuse expressément le droit d’une libération sous caution aux étrangers qui auraient pénétré dans le pays sans autorisation ou dans l’illégalité, sauf dans des circonstances très exceptionnelles . Comme il existe suffisamment de cas où, dans le passé, des États ont fait un usage abusif de dispositions de cette nature, ces dernières pourraient avoir des répercussions négatives sur les demandeurs d’asile ou d’autres catégories vulnérables de la population.

6. Les législateurs cherchent à renverser la charge de la preuve dans certains cas de crimes graves et, dans certaines circonstances, ce sera à l’accusé de prouver son innocence. Dans ces cas, les textes prévoient que la cour supposera, sauf preuve du contraire, que l’accusé a commis l’infraction ou les infractions en question, y compris lorsqu’il s’agit de détention d’armes ou d’explosifs et qu’il est supposé que ces armes ou substances ont été utilisées pour commettre des actes de terrorisme . Cette modification est incompatible avec l’article 14-2 du PIDCP, qui prévoit que « [T]oute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

7. Aux termes des nouveaux textes, les enquêteurs seraient tenus d’obtenir des informations sur les faits commis sans avoir à présenter de mandat, et la non-observation de cette obligation serait passible de poursuites . Ces dispositions générales risquent de porter atteinte à la liberté d’expression à laquelle il est fait référence à l’article 19 du PIDCP – les journalistes pourraient ne plus être en mesure de respecter le droit légitime de leurs sources à l’anonymat – et à la garantie pour une personne accusée de ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable, prévue à l’article 14-3-g du PIDCP.

8. La nouvelle loi portant création d’une Agence nationale d’enquête autorise les autorités exécutives indiennes à mettre en place, en consultation avec le pouvoir judiciaire, des tribunaux spéciaux chargés de juger les actes de terrorisme . Certes, le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales ne prohibent pas en soi la création de tribunaux spéciaux, mais ils exigent que tous les tribunaux soient compétents, indépendants et impartiaux et qu’ils fournissent des garanties de procès équitables. Le Comité des droits de l’homme a précisé que même si le PIDCP n’interdit pas que des civils soient jugés devant des tribunaux spéciaux, la comparution de civils devant ce type de tribunaux doit être très exceptionnelle et les garanties prévues à l’article 14 du PIDCP doivent être entièrement respectées.

9. La nouvelle législation relative à l’Agence nationale d’enquête autorise des tribunaux spéciaux à interdire l’accès du public à certaines audiences sans avoir à expliquer ni à limiter les motifs justifiant ce huis clos . Amnesty International signale qu’aux termes de l’article 14-1 du PIDCP, le huis clos ne peut être prononcé que dans certaines circonstances.

10. Amnesty International rappelle aux autorités et aux législateurs indiens que, au cours de ces deux dernières décennies, deux lois antiterroristes déterminantes, qui bafouaient le droit et les normes internationaux relatifs aux droits humains, ont été utilisées de manière flagrante et abusive pour réprimer l’opposition politique – en particulier dans le Tamil Nadu – et pour s’en prendre aux communautés marginalisées de certains autres États, notamment au Gujarat et dans le Jharkhand. Suite à cela, les pouvoirs publics ont été contraints d’abroger l’une de ces lois, la Loi de 2002 sur la prévention du terrorisme (POTA), et de laisser l’autre, la Loi de 1987 relative à la prévention des activités terroristes et déstabilisatrices (TADA), venir à expiration .

Amnesty International prie par conséquent instamment les autorités et les législateurs indiens de réexaminer avec attention les dispositions ci-dessus, qui sont incompatibles avec le droit international et les normes internationales relatifs aux droits humains.

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