Communiqué de presse

Inde. Les victimes d’expulsions forcées dans l’Orissa doivent bénéficier de recours effectifs et recevoir des réparations

Les autorités de l’État d’Orissa, en Inde, doivent accorder sans délai des recours et des réparations aux familles expulsées de force dans le district de Jagatsinghpur, dans le cadre d’un projet du géant sud-coréen de l’acier, POSCO, a déclaré la section indienne d’Amnesty International vendredi 5 juillet.

« Ces expulsions, illégales, ont détruit les moyens de subsistance de milliers de personnes », a expliqué Shashikumar Velath, directeur de programmes à Amnesty International Inde.

« Les autorités ont acquis les terrains sans engager de véritable consultation avec les personnes concernées, ne leur ont pas fait parvenir de préavis suffisant ni de compensation adéquate. Elles bafouent les droits de ces villageois depuis des années. Elles doivent désormais veiller à ce que les familles touchées bénéficient de recours utiles. »

Les responsables du gouvernement et de la police de l’Orissa ont repris les expulsions forcées le 28 juin, poursuivant leurs efforts pour acquérir les terrains destinés au projet. Le même jour, des policiers armés de matraques ont chargé les manifestants, blessant au moins 20 d’entre eux.

Le 4 juillet, Satya Kumar Mallick, directeur de l’administration du district de Jagatsinghpur, a déclaré à Amnesty International Inde que l’acquisition des 1 092 hectares pour la première phase du projet était achevée et que les autorités allaient commencer à creuser des tranchées pour délimiter ces terrains.

La plus grande partie de la zone sert à la culture de plants de bétel sur des terres communales – qui sont la propriété du village, relèvent de l’autorité des instances locales et doivent être utilisées par les populations locales – dont dépendent de nombreuses familles pour vivre.

Selon Satya Kumar Mallick, tous les paysans du secteur avaient été consultés et indemnisés pour les terres saisies – sous la forme d’un paiement en liquide effectué en une seule fois – et ils avaient « volontairement » enlevé leurs plants de bétel. Toutefois, des militants locaux et certains habitants affirment qu’ils n’ont pas été consultés, n’ont pas été informés suffisamment à l’avance et que ceux qui ont refusé l’indemnisation ont vu leurs terres confisquées sans leur consentement, sous la contrainte physique.

« Nous ne voulons pas de leur indemnisation. Nous voulons vivre nos vies en paix, sans avoir peur d’être battus, déplacés ni arrêtés », a indiqué Ranjan S., habitant du village de Gobindpur.

Selon les Principes de base et directives sur les expulsions forcées et les déplacements liés au développement, toutes les personnes menacées ou victimes d’expulsions forcées ont droit à un recours en temps utile, qui comprend une audience équitable, l’accès à un avocat, une aide juridique, le retour, la restitution, la réinstallation, la réadaptation et l’indemnisation.

« Le gouvernement central comme celui de l’État d’Orissa ont le devoir de respecter et de protéger les droits de ces communautés et doivent agir en conséquence », a indiqué Shashikumar Velath.

« Pour commencer, les victimes d’expulsions forcées doivent avoir accès à des recours effectifs et jouir de leur droit d’obtenir réparation.

« POSCO doit entreprendre une évaluation exhaustive de l’impact du projet sur les droits humains, en consultation avec les populations locales.

« Les autorités doivent reconnaitre les revendications individuelles et collectives concernant les terres, mener de véritables consultations avec les personnes touchées et ne procéder à de nouvelles expulsions qu’en dernier ressort, comme l’exigent les normes internationales, a poursuivi Shashikumar Velath.

Tout recours inutile à la force ou toute autre violation des droits humains commise par la police doit faire l’objet d’une enquête, en vue d’amener les responsables, à tout niveau de commandement, à rendre des comptes.

Aux termes des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les entreprises ont la responsabilité de respecter tous les droits humains. POSCO doit veiller à mettre en place les mesures nécessaires pour connaître, prévenir et faire face aux effets néfastes en termes de droits humains induits par l’acquisition de terres dans le cadre de son projet.

Complément d’information

POSCO a signé un protocole d’accord avec le gouvernement de l’État d’Orissa en 2005, qui a pris fin en 2010. Les autorités indiennes ont accordé à POSCO India Private Limited, filiale détenue à 100 % par POSCO, l’autorisation conditionnelle d’implanter une aciérie, une centrale électrique, une mine de minerai de fer, une ville et une installation portuaire sur environ 4 800 hectares de terrain dans l’État d’Orissa.

Depuis 2005, la population locale fait campagne contre ce projet estimé à 12 milliards de dollars (environ 9,3 milliards d’euros), l’un des plus gros investissements étrangers directs en Inde.

Les autorités ont fréquemment recouru à la force inutile contre les villageois manifestant pacifiquement contre les expulsions forcées et ont détruit des plants de bétel sur les terres collectives.

Les villageois ont expliqué à Amnesty International que l’indemnisation totale proposée par POSCO pour une plantation était inférieure aux gains qu’elle pouvait rapporter en un an seulement. Une commission spéciale mise sur pied en septembre 2010 par le ministère central de l’Environnement et des Forêts pour enquêter sur le projet a également remis en cause le montant des indemnités proposées, concluant que la somme offerte pour les terres ne compenserait pas la perte de moyens de subsistance durables, et que certains groupes concernés en étaient exclus, notamment les communautés de pêcheurs et les ouvriers agricoles sans terres.

Selon des militants locaux, les autorités de l’État d’Orissa n’ont pas statué sur les revendications des habitants concernant les terres coutumières, comme le prévoit pourtant la Loi relative aux droits forestiers en Inde. La commission d’enquête du ministère de l’Environnement et des Forêts a également a suscité de vives inquiétudes quant aux efforts fournis par les autorités pour acquérir ces terres communales, sans examiner les revendications.

Une commission spéciale sur les droits forestiers, mise sur pied en juillet 2010 par le ministère des Affaires tribales et le ministère de l’Environnement et des Forêts, a enjoint au gouvernement de l’Orissa de stopper tous les travaux jusqu’à ce que les revendications individuelles et collectives en termes de droits forestiers soient prises en compte. Pourtant, en dépit de ces conclusions, le ministère de l’Environnement et des Forêts a accepté en 2011 la déclaration de l’État d’Orissa, qui affirmait que les habitants de la région n’avaient aucun droit sur les terres communales.

Aux termes de la Loi relative aux droits forestiers, il est nécessaire d’obtenir l’accord des instances locales pour exploiter des terres forestières à des fins autres que forestières. Dès 2009, ces instances ont refusé à plusieurs reprises de donner leur aval pour que les terres accueillent le projet d’aciérie, mais les autorités centrales et de l’État ont ignoré les résolutions prises par les assemblées villageoises (gram sabha).

Les investigations menées par les deux commissions du gouvernement central ont également établi que le projet sidérurgique violait les lois environnementales et les réglementations côtières nationales et que ses répercussions potentiellement négatives sur les moyens de subsistance des populations locales n’avaient pas été correctement évaluées.

En mars 2012, le Tribunal vert national, organe spécialisé chargé de régler les différends environnementaux, a suspendu l’autorisation qui avait été accordée au projet de POSCO. Il a déclaré que le ministère de l’Environnement avait commis de lourdes erreurs dans l’évaluation de l’impact environnemental du projet et avait laissé sans réponse des questions environnementales et écologiques lancinantes et menaçantes.

POSCO a demandé le renouvellement de son autorisation pour ce projet. Toutefois, l’entreprise doit encore effectuer une évaluation exhaustive de son impact sur les droits humains et l’environnement.

Des villageois ont raconté à Amnesty International Inde être en butte au harcèlement, à l’intimidation et à la violence imputables à de hauts fonctionnaires de la police, et ce depuis plusieurs années. Les groupes militants affirment que la police a porté des accusations forgées de toutes pièces contre ceux qui s’opposent au projet. Abhay Sahoo, leader du mouvement hostile à POSCO, a été arrêté et détenu à de multiples reprises sur la base de fausses accusations et se trouve actuellement en détention.

En outre, les responsables de la police locale restreignent sévèrement le droit de circuler librement des villageois : ils érigent des barricades et des postes de contrôle à la sortie des villages. Des organisations de défense des droits humains comme ESCR-Net dénoncent le fait que ces mesures, ainsi que la menace de détention pour des charges forgées de toutes pièces, entravent l’accès des villageois au travail, à la nourriture et à la santé. Certains manifestants auraient été confinés dans leurs villages pendant plusieurs années. En juillet 2011, un rapport de la Commission nationale pour la protection des droits des enfants a révélé que l’occupation des écoles du secteur par les policiers avait également affecté l’accès des enfants à l’éducation.

Par ailleurs, l’acquisition des terres viole l’arrêt rendu par la Cour suprême d’Inde en janvier 2011 sur les terres communales des villages. Faisant référence aux terres publiques utilisées dans l’intérêt commun des communautés locales depuis des siècles, la Cour suprême note que « la protection des droits communs des villageois était si zélée que certaines lois mentionnaient expressément que même l’acquisition de la propriété par l’État ne signifiait pas la suppression des droits communs des villageois.

Depuis l’Indépendance, cependant, nous assistons à la captation, dans une grande partie du pays, de ces terres communales par des personnes sans scrupules faisant usage de la force musculaire, du pouvoir de l’argent ou de l’influence politique, et dans de nombreux États il ne reste plus un centimètre de terre communale destinée à l’usage commun des gens du village, même si elle subsiste sur le papier. Dans les villages partout en Inde, ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent ont systématiquement empiété sur les terres communales pour les utiliser à des fins en contradiction totale avec leur nature initiale, sacrifiant l’intérêt commun du village sur l’autel de leurs ambitions personnelles. »

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