Inde. Tirs policiers et expulsions forcées contre la communauté aborigène des adivasis au Mandhya Pradesh

Déclaration publique

ASA 20/010/2007

Amnesty International a fait part de son inquiétude ce jeudi 26 avril face à la menace continue des expulsions forcées et du recours excessif à la force par la police dans le cadre de conflits fonciers de plus en plus nombreux impliquant la communauté aborigène des adivasis.

Les tensions restent fortes dans le village de Ghateha, dans le district de Rewa, au Mandhya Pradesh (Inde centrale) après les violences du 19 avril 2007, lors de la manifestation organisée par des membres de la communauté adivasi pour protester contre les expulsions forcées menées par la police et des fonctionnaires locaux. La police a tiré et des affrontements ont eu lieu, malgré les promesses faites, semble-t-il, par les autorités locales de trouver une solution rapide au conflit foncier opposant les adivasis au Département des forêts de l’État.

Selon des organisations de défense des droits de l’homme, plus d’une cinquantaine de voitures de police et de bulldozers, sous la direction de responsables de la police et du Département des forêts de l’État, ont convergé le 19 avril au matin sur le village de Ghateha pour procéder à des expulsions, en l’absence de toute décision de justice. Les villageois se sont rassemblés pour résister à cette expulsion et durant les cinq heures qu’a duré la confrontation, les policiers ont tiré en l’air pour disperser les manifestants qui leur jetaient des pierres. Ensuite, la police a lancé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles sur la foule, blessant six personnes, dont une femme. Les policiers auraient également agressés brutalement un certain nombre d’adivasis, dont des femmes qui protestaient contre l’action de la police. Six policiers auraient été blessés par des jets de pierres, selon la police.

Au moins trois mille habitants ont fui le village parce qu’ils avaient peur, tandis que les policiers démolissaient des cases d’habitation et autres structures temporaires à coups de bulldozers avant d’y mettre le feu, pillant au passage les biens des habitants selon certains témoignages. Les policiers auraient également inculpé vingt-neuf personnes pour rassemblement illégal.

Selon Amnesty International, ces actions s’apparentent à des expulsions forcées, lesquelles ont été reconnues comme constituant une violation grave des droits humains. Les expulsions forcées sont des expulsions menées sans préavis, sans consultation avec les personnes concernées, en-dehors des garanties prévues par la loi et sans l’assurance d’un logement de remplacement approprié. En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’Inde a pour obligation de mettre fin à la pratique des expulsions forcées et de protéger la population de la menace de toute expulsion forcée.

La situation reste tendue, des policiers armés patrouilleraient le district, empêchant toute circulation de et vers Ghateha. Les personnes blessées, une vingtaine au total, sont toujours en attente de soins et un grand nombre d’adivasis n’ont pas regagné le village, par crainte des attaques et du harcèlement policier.

Les adivasis cultivent les terres objet du litige, d’une superficie de 375 hectares, depuis au moins quatre ans. C’est leur unique moyen de subsistance. En décembre 2006, le parlement indien a adopté une loi importante reconnaissant le droit à la terre des adivasis dans toute l’Inde. C’est après l’adoption de cette loi, en mars 2007, que les adivasis ont revendiqué des terres à Ghateha en y construisant des cases.

Les adivasis affirment que depuis 1974 les terres étaient classées en domaine non-forestier et qu’ils pouvaient donc légalement les cultiver, tandis que le Département des forêts de l’État affirme que l’action des adivasis constitue une atteinte au domaine forestier. Le 5 avril 2007, le Département des forêts de l’État a entamé des poursuites contre 17 militants adivasis, accusés d’empiétement sur le domaine forestier. Neuf d’entre eux ont été arrêtés et emprisonnés dans la ville de Rewa.

L’intervention de la police le 19 avril a eu lieu en dépit des assurances données la veille aux adivasis par le District Collector (percepteur ayant des pouvoirs administratifs et judiciaires) de Rewa, que des efforts allaient être entrepris pour trouver une solution rapide à ce conflit foncier et que d’autres terres seraient allouées aux adivasis si la validité des affirmations du Département des forêts était reconnue.

Amnesty International demande instamment au gouvernement du Madhya Pradesh de :
  mettre immédiatement un terme aux expulsions forcées ;
  faire immédiatement en sorte que les victimes des expulsions forcées reçoivent des aides d’urgence, notamment que leur soient fournis un hébergement, de la nourriture, de l’eau et l’accès à des soins médicaux ;
  ordonner l’ouverture d’une enquête impartiale et indépendante dans les meilleurs délais sur l’action de la police dans le village de Ghateha le 19 avril et rendre publiques les conclusions de cette enquête. L’enquête devra porter sur le rôle de la police et des autres forces présentes lors des expulsions et déterminer comment l’autorisation a été donnée aux unités de police de prendre part à des expulsions non conformes à la loi ;
  veiller à ce que tous les fonctionnaires, y compris les personnels du Département des forêts et de la police soupçonnés d’atteintes aux droits humains soient poursuivis ;
  veiller à ce que tout un chacun puisse exercer pacifiquement, dans le respect des lois et sans troubler l’ordre public, son droit à la liberté de réunion et d’expression sans avoir à craindre de violence, harcèlement ou fausse accusation d’implication dans des activités criminelles ;
  mettre sur pied une commission d’enquête afin de mener des investigations sur la façon dont les expulsions ont été menées à Ghateha et faire des recommandations pour que des réparations effectives soient accordées aux victimes d’expulsions forcées. La commission devra avoir pour mandat d’enquêter sur
la façon dont les expulsions ont été menées afin de déterminer si la procédure était conforme aux normes du droit national et international ;
les motifs sur lesquels s’appuyaient les décisions d’expulsions et vérifier si des solutions alternatives ont été envisagées ;
la façon dont les communautés concernées ont été informées de la décision ;
le processus de consultation avant expulsion ;
l’inscription au cadastre des terres concernées et dans quelle catégorie ;
la composition des équipes qui ont mené les expulsions et
les dispositions prises en vue d’un relogement des adivasis victimes d’expulsions forcées qui n’ont pas été relogés
  prendre rapidement des mesures pour fournir un logement de remplacement aux victimes ;
  décréter un moratoire sur les expulsions en masse d’adivasis en attendant la mise en place d’une politique globale basée sur le respect des droits humains et d’un cadre légal prévoyant des réparations effectives ;
  donner instruction à toutes les autorités compétentes de ne procéder à des expulsions que sur décision de justice, après consultation avec les personnes concernées et une fois fixé le montant des compensations et les conditions de relogement ;
  diffuser largement ce moratoire et ces instructions dans les journaux, à la radio et à la télévision et sur des affiches placardées dans les bureaux des autorités locales.

Complément d’information

En décembre 2006, le parlement indien a adopté la Loi relative aux tribus répertoriées et autres habitants traditionnels des forêts (Reconnaissance des droits forestiers) qui reconnaît et enregistre les droits des communautés traditionnelles vivant dans les forêts, les adivasis notamment le droit à la sécurité d’occupation, leur assure une part de la récolte des produits de la forêt et fait d’eux des partenaires clés dans la préservation de l’environnement.

Un grand nombre d’adivasis de Ghateha sont sympathisants du Birsa Munda Bhoo Adhikar March (Forum Birsa Munda pour les droits fonciers) affilié au NFFPFW (Forum national des habitants de la forêt et des travailleurs forestiers) à l’origine de la campagne qui a conduit à l’adoption de la loi.

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