Le 28 juillet 2017, le médiateur indonésien a estimé que le procureur général avait ordonné l’exécution du ressortissant nigérian Humphrey « Jeff » Jefferson Ejike en violation des procédures en vigueur en Indonésie. La décision du médiateur a été annoncée près d’un an après que Humphrey « Jeff » Jefferson Ejike a été exécuté, le 29 juillet 2016, dans l’île de Nusa Kambangan (Java central), en même temps que trois autres prisonniers. Ces quatre hommes avaient été condamnés à mort après avoir été déclarés coupables d’infractions à la législation sur les stupéfiants. Or, ces infractions ne relèvent pas des « crimes les plus graves » auxquels l’application de la peine capitale doit être limitée dans l’attente de l’abolition de ce châtiment, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Indonésie est partie.
Amnesty International, l’Institut pour la réforme de la justice pénale (ICJR), la Commission des disparus et des victimes de la violence (KontraS) et l’Institut d’aide juridique communautaire (LBH Masyarakat) estiment que la décision du médiateur fait écho aux conclusions auxquelles ces organisations sont elles-mêmes parvenues dans de nombreuses autres affaires d’infractions passibles de la peine de mort, qui révèlent des dysfonctionnements du système d’administration de la justice en Indonésie.
Il s’agit notamment de violations graves du droit à un procès équitable et d’autres garanties internationales qui doivent être respectées dans toutes les affaires d’infractions passibles de la peine de mort.
Nous déplorons le fait que ces conclusions arrivent un an trop tard, car le châtiment aux effets irréversibles qu’est la peine de mort a déjà été appliqué à Humphrey « Jeff » Jefferson Ejike.
Le médiateur a déclaré que le procureur général n’aurait pas dû ordonner l’exécution de Humphrey « Jeff » Jefferson Ejike, sa demande de grâce étant toujours pendante. Le procureur général aurait dû s’aligner sur la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 15 juin 2016, en vertu de laquelle tout condamné peut solliciter la grâce au-delà d’un an après la décision judiciaire finale. Le médiateur a également déclaré que le tribunal du district de Djakarta central avait fait preuve de « discrimination » en s’abstenant de soumettre la demande de révision du dossier de Humphrey « Jeff » Jefferson Ejike à la Cour suprême – soit la dernière voie de recours disponible dans les affaires pénales –, alors que ce tribunal avait transféré à la Cour les demandes de révision déposées par d’autres condamnés à mort.
Selon les conclusions de recherches menées par la Commission nationale des droits humains (Komnas HAM) et de recherches complémentaires menées par Amnesty International et par l’ICJR, des personnes poursuivies pour des infractions passibles de la peine de mort n’ont pas bénéficié des services d’un avocat à des stades cruciaux de la procédure, que ce soit après l’arrestation ou à différentes étapes du procès ou des recours. Certaines personnes ont été maltraitées par la police qui voulait leur faire « avouer » des infractions ou les contraindre à contresigner des rapports d’enquête policière destinés à servir de preuve devant le tribunal. Plusieurs détenus n’ont été présentés à un magistrat qu’à l’ouverture de leur procès, des mois après leur arrestation. Certains prisonniers n’ont pas bénéficié des services d’un avocat lorsqu’ils ont fait appel de leur déclaration de culpabilité ou de leur peine, ou n’ont même pas fait appel car leurs avocats ne les avaient pas informés qu’ils en avaient le droit.
Dans certains cas, en 2015 et en 2016, des exécutions ont eu lieu alors que les tribunaux avaient jugé recevables les recours formés par les condamnés et que ces recours n’avaient pas encore été examinés. Bien qu’il soit formellement interdit, en droit international, d’imposer la peine de mort aux personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits qui leur sont reprochés, ou souffrant de handicaps mentaux, nos organisations ont établi que les arguments mis en avant pour deux détenus, concernant pour l’un sa minorité au moment des faits, et pour l’autre son handicap mental, n’avaient pas fait l’objet d’une enquête approfondie, ce qui a donné lieu à l’imposition illicite de la peine de mort et, dans un des deux cas, à une exécution. De plus, la peine de mort continue à être régulièrement prononcée pour les infractions liées aux stupéfiants.
À ce jour, 105 pays ont totalement aboli la peine capitale dans leur législation et 141 pays – plus des deux tiers des pays du monde – ont aboli la peine de mort en droit ou en pratique. Dans la région Asie-Pacifique, 20 États ont aboli la peine capitale pour tous les crimes – les derniers en date étant Fidji en 2015, Nauru en 2016 et la Mongolie en juillet 2017 – et sept autres sont abolitionnistes dans la pratique. En continuant à recourir à la peine de mort, les autorités indonésiennes s’inscrivent à contre-courant de la tendance mondiale et régionale à l’abolition de la peine capitale, qui est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.
Les organisations ci-dessus engagent à nouveau les plus hautes autorités du pays à réexaminer le dossier de toutes les personnes sous le coup d’une condamnation à mort en vue de la commutation de leur peine, et à instaurer un moratoire sur l’application de la peine capitale, à titre de premiers pas vers l’abolition de ce châtiment.