Indonésie, il faut protéger la commission anti-corruption

Amnesty International appelle les autorités indonésiennes à prendre des mesures concrètes pour mettre fin aux attaques contre le personnel de la Commission pour l’éradication de la corruption (KPK, ou Komisi Pemberantasan Korupsi), une instance gouvernementale chargée de lutter contre la corruption. Lors de la dernière en date, le 13 septembre, une centaine de personnes ont tenté d’envahir le siège de la KPK, situé à Djakarta. Les assaillants ont jeté des pierres, frappé des agents de sécurité de la KPK — si violemment que certains ont dû être hospitalisés — et détruit le matériel d’un journaliste.

Les policiers présents sur place n’ont pas pris les mesures nécessaires pour stopper cette incursion et, pour l’heure, la police n’a ni arrêté ni nommé aucune personne qui en serait responsable. L’attaque de septembre s’inscrit dans une série d’agressions physiques, de menaces et de tentatives d’intimidation visant depuis quelques années le personnel de la KPK, en particulier les enquêteurs et les membres de la commission (souvent considérés comme la direction de la KPK), qui sont toutes restées impunies. Le fait que le gouvernement continue de ne pas s’occuper du harcèlement des fonctionnaires anticorruption met à mal la lutte du pays contre la corruption, phénomène qui prive l’État des ressources nécessaires pour respecter, protéger, promouvoir et concrétiser de nombreux droits humains.

Considérations politiques

Le contexte de la récente attaque laisse penser qu’elle était motivée par des considérations politiques. Au cours des dernières semaines, presque tous les employés de la KPK membres de son syndicat (WP KPK, ou Wadah Pegawai KPK) ont participé à des actions de protestation symboliques dans leurs locaux, soutenues par certains membres de la direction de la KPK. Ils ont notamment recouvert le logo de la KPK à l’entrée du siège avec un immense linge noir. Ces actions avaient pour objectif d’attirer l’attention sur les récents changements du processus de sélection des membres de la commission, qui avaient été critiqués par des militants anticorruption, et sur des modifications de la Loi relative à la lutte contre la corruption qui limiteraient le mandat de la KPK et affaibliraient son indépendance selon les militants. Elles ont été largement soutenues par les organisations de la société civile indonésienne et la population, qui ont montré leur solidarité en se joignant à des manifestations pacifiques et en déposant des bouquets de fleurs à proximité du siège de la KPK, entre autres formes symboliques d’encouragement.

Le 13 septembre vers 14 heures, une centaine de personnes ont organisé une contre-manifestation devant le siège de la KPK. Séparés des membres du WP KPK par une clôture en fer, les contre-manifestants ont dans un premier temps simplement prononcé des discours critiquant le syndicat, soutenant les nouveaux membres choisis de la commission et saluant les nouvelles modifications de la Loi anticorruption. Puis ils se sont mis à brûler les bouquets de fleurs en criant aux membres du WP KPK d’enlever le linge noir recouvrant le logo de la KPK. Les quelque 40 policiers présents sur place ont également demandé aux membres du WP KPK d’enlever le linge et n’ont rien fait lorsque, vers 16 heures, l’un des contre-manifestants a commencé à escalader la clôture.

D’autres l’ont suivi et la foule a tenté de pénétrer dans le hall du bâtiment. Des agents de sécurité de la KPK ont essayé d’empêcher la foule d’entrer, mais certains ont été violemment battus. Des assaillants ont roué de coups un agent de sécurité interne, qui a dû être hospitalisé. Les contre-manifestants ont également jeté des pierres et des pétards sur le bâtiment et détruit du matériel appartenant à un journaliste.

Un membre du personnel d’Amnesty International Indonésie se trouvait à l’intérieur du siège de la KPK au moment de l’attaque et a pu observer la réponse de la police, en remarquant que les policiers présents n’étaient guère intervenus pour empêcher la foule d’entrer dans le bâtiment ou pour contenir la violence de la foule. En outre, la police n’a pour l’heure ni arrêté ni nommé la moindre personne soupçonnée d’être responsable de cette attaque.

Absence de réaction de la police

L’absence de réaction de la police dans ce cas n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Au cours des dernières années, de nombreuses agressions, tentatives d’intimidation et menaces contre les enquêteurs de la KPK n’ont pas été traitées par la police. En avril 2017, par exemple, deux hommes à moto ont jeté une fiole d’acide chlorhydrique au visage de Novel Baswedan, enquêteur de la KPK, alors qu’il rentrait de la prière du matin à la mosquée. À l’époque, Novel Baswedan était président du WP KPK et avait critiqué ouvertement les tentatives visant à intégrer davantage de policiers parmi les enquêteurs de la commission. Il dirigeait en outre une enquête sur un détournement de fonds alloués à un projet de carte d’identité électronique, dans lequel des parlementaires et des hauts fonctionnaires étaient impliqués. Il avait aussi fait l’objet de représailles par la police à la suite d’une enquête menée par une autre équipe de la KPK, dans laquelle un général de la police était accusé d’avoir touché des pots-de-vin.

En janvier 2019, deux membres de la KPK, Agus Rahardjo et Laode Syarief, ont subi une violente attaque le même jour. Quelqu’un a placé une fausse bombe artisanale dans un sac plastique avant de l’accrocher à la clôture de la maison du premier, tandis qu’un cocktail Molotov a été jeté sur celle du second.

Aucun suspect n’a encore été arrêté pour ces attaques visant des enquêteurs et des membres de la KPK, même si la police affirme avoir constitué différentes équipes pour enquêter dessus.

Plusieurs membres du personnel de la KPK ont déclaré à Amnesty International que d’autres enquêteurs et membres de la commission avaient été intimidés et menacés, parfois par des policiers, pendant qu’ils enquêtaient sur des affaires de corruption mettant en cause de hauts fonctionnaires de police.

En Indonésie, les fonctionnaires et militants anticorruption, comme les défenseurs des droits humains, sont depuis longtemps la cible de menaces et d’attaques. La quasi-totalité de ces affaires ne sont pas élucidées. De toute évidence, les autorités doivent prendre des mesures décisives pour résoudre le problème de l’impunité et veiller à ce que les fonctionnaires et militants anticorruption puissent faire leur travail indispensable sans crainte, tout en respectant les droits des personnes soupçonnées de corruption. L’absence de progrès sur la lutte contre ces attaques persistantes entache les efforts de l’Indonésie pour combattre la corruption, instaurer une bonne gouvernance et protéger les droits humains. Elle renforce en outre la culture de l’impunité quant aux violations des droits humains, qui représente une menace imminente pour l’état de droit du pays.

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