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L’Indonésie n’est plus un havre de tolérance religieuse

L’Indonésie a longtemps été perçue comme un « havre de tolérance », mais aujourd’hui la liberté religieuse s’érode peu à peu. Papang Hidayat, membre d’Amnesty International, s’est rendu en Indonésie pour mieux comprendre.

Siffler en priant, se prétendre prophète ou recevoir une révélation de Dieu – autant d’actes qui peuvent, en Indonésie, vous conduire en prison pendant cinq ans pour blasphème.

L’Indonésie était jadis saluée comme un exemple de démocratie. Aujourd’hui, les groupes religieux de différentes obédiences se servent de la loi relative au blasphème pour réduire au silence ceux qui ont des croyances différentes.

L’une des communautés victime de cette persécution est la communauté chiite du village de Karang Gayam, dans le district de Sampang, à Java-Est. J’ai rencontré Ikil Muluk, habitant du village, dans un petit restaurant familial à Sidoarjo, à Java-Est. Voici ce qu’il m’a dit :

« Les tensions se durcissaient depuis 2006. Un soir de décembre 2011, elles ont atteint leur paroxysme : 300 individus sont venus dans mon village à la recherche de mon frère Tajul. Ils ont incendié sa maison et quelqu’un dans la foule a crié qu’il fallait brûler la mienne aussi. »

« À l’époque, il y avait 45 membres de la Brigade mobile de la police là-bas. J’ai demandé au chef de la police locale ce que je devais faire, et il m’a répondu qu’il avait posté des hommes devant chez moi… mais la police n’a rien fait. »

La foule était à la recherché du frère d’Ikil, Tajul Muluk, dirigeant de la communauté chiite et enseignant religieux. Après l’attaque, le Conseil indonésien des Oulémas, instance religieuse non gouvernementale, a publié un décret (fatwa) stipulant que les enseignements de Tajul Muluk étaient « déviants ». En mars, Tajul a été arrêté et inculpé de blasphème.

Mais le pire était à venir. En août 2012, 60 familles ont été contraintes de fuir une nouvelle fois, lorsqu’une foule hostile aux chiites d’environ 500 personnes a attaqué le village, incendiant les maisons et agressant les habitants à l’aide d’armes tranchantes et à coups de de pierres. Un villageois a été tué et des dizaines d’autres blessés.

Vivre dans l’incertitude

Après l’attaque, les villageois ont été hébergés dans un centre de sports, à Sampang, pendant près de 10 mois. Les équipements y étaient très rudimentaires. Les autorités locales n’ont pas fourni de médicaments aux malades et ont coupé l’eau et l’approvisionnement en vivres pendant deux semaines.

Des représentants du gouvernement local ont intimidé et harcelé certains membres de la communauté, leur enjoignant de se convertir à l’islam sunnite s’ils voulaient rentrer chez eux.

Les familles ont de nouveau été délogées de force par les autorités locales vers un autre endroit à Sidoarjo, à Java-Est – au moins à quatre heures de route de chez eux.

Bien que le président Susilo Bambang Yudhoyono ait promis de permettre le retour de la communauté dans son village et de reconstruire les habitations il y a un an, les autorités locales continuent de bloquer leur retour et de harceler les villageois.

Aujourd’hui, ils se trouvent toujours dans le centre provisoire. Mais ils espèrent pouvoir rentrer chez eux et reprendre leur vie de cultivateurs de tabac, loin de l’humiliation vécue dans les centres d’accueil, qu’Ikil décrit en ces termes :

« Il n’y a pas moyen de gagner sa vie dans les centres d’accueil temporaires et les équipements sont très rudimentaires. Nous devons compter sur le gouvernement pour payer nos factures d’eau et d’électricité. Ils nous donnent du riz et des plats préparés. Parfois, le représentant du gouvernement nous tient des propos inquiétants, comme " Vous, les chiites, vous ne faites rien toute la journée à part manger et dormir ". »

L’intolérance religieuse est de plus en plus marquée

Les problèmes auxquels se heurte la communauté chiite sont emblématiques de l’intimidation et du harcèlement croissants qu’endurent les groupes religieux minoritaires en Indonésie. De nombreux membres de communautés tels que les ahmadis sont agressés et contraints de fuir leur domicile. Bien souvent, personne n’est amené à rendre des comptes pour ces agissements.

Tajul Muluk se trouve toujours derrière les barreaux, et purge une peine de quatre ans d’emprisonnement pour avoir pratiqué sans violence ses croyances religieuses.

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