Indonésie : Il faut mener une enquête sur les tortures et l’homicide dont aurait été victime Yudas Gebze

Les autorités indonésiennes doivent mener dans les meilleurs délais une enquête indépendante et impartiale sur les allégations de torture ayant mené à la mort de Yudas Gebze à Ilwayab dans le district de Merauke (province de Papouasie).

Les responsables de ces actes doivent être traduits en justice devant des tribunaux civils, dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales relatives à l’équité des procès et sans recourir à la peine de mort.

Le 13 septembre, la police locale du district de Merauke a tenté d’arrêter Yudas Gebze, soupçonné d’avoir coupé la main droite d’un homme à la machette. Yudas Gebze s’est échappé et les policiers ont déclaré que, lors de la poursuite, il avait été attrapé et s’était blessé après avoir marché sur du verre brisé. Une organisation locale de défense des droits humains a fourni une version des faits différente ; elle a déclaré que Yudas Gebze avait été violemment frappé à plusieurs reprises par des policiers. Ceux-ci l’ont par la suite emmené dans une clinique locale du sous-district d’Ilwayab. Ses proches ont cependant déclaré que les policiers les avaient empêchés de lui rendre visite. Le centre de santé et la police locale l’ont ensuite transféré dans l’hôpital général de la ville de Merauke. Le 14 septembre, des médecins de cet hôpital ont confirmé sa mort.

Le lendemain, le corps de Yudas Gebze a été apporté à sa famille, et le chef de la police de Merauke a déclaré aux médias que sa mort était due à la blessure au pied qu’il s’était faite en marchant sur du verre brisé. Le responsable de la police a également nié que des policiers avaient commis des actes de violence contre Yudas Gebze.

Les proches de Yudas Gebze se sont élevés contre la version de la police concernant sa mort après avoir vu son corps. D’après eux, celui-ci présentait plusieurs blessures au niveau de la tête, de la main, de la cuisse et au dos provenant d’actes de torture infligés par les forces de sécurité. Compte tenu des faits décrits ci-dessus et également de plusieurs photos mises en ligne montrant des plaies ouvertes au niveau de sa tête, Amnesty International craint que cet homme n’ait été victime de torture et d’un homicide illégal. Une autopsie du corps a été effectuée par la police le 18 septembre à la demande de la famille. L’autopsie a été effectuée devant la famille par un médecin de l’équipe médicolégale de la police à l’hôpital général de Merauke, mais sans la présence d’un expert médicolégal indépendant. Après l’autopsie, le médecin a déclaré que Yudas Gebze était mort d’une crise cardiaque et que son corps ne présentait aucune blessure mortelle.

Amnesty International Indonésie et Pusaka Foundation, ONG indonésienne travaillant en faveur des droits des peuples indigènes, sont préoccupées par le fait que l’autopsie ait été effectuée par l’équipe médicolégale de la police, dont l’indépendance vis-à-vis de ceux responsables de l’arrestation est questionnable. Si une autopsie est effectuée sans la présence d’un expert médicolégal indépendant, elle enfreint l’exigence d’impartialité au titre de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les articles 12 et 13 de cet instrument disposent respectivement que : « Tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction » et que « Tout État partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit État qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite. »

En Indonésie/Papouasie, les allégations de torture et d’autres mauvais traitements font rarement l’objet d’une enquête indépendante et transparente. Peu de responsables ont été poursuivis, et encore moins condamnés pour de tels actes. De plus, la torture n’est pas une infraction pénale spécifique au titre du Code pénal indonésien.

Cependant, en vertu de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle l’Indonésie est partie, les autorités ont pour obligation légale d’enquêter sur toutes les plaintes et signalements de torture, de traduire les responsables en justice et d’offrir des réparations aux victimes. Cette affaire rappelle une nouvelle fois que l’utilisation de la torture et d’autres formes de mauvais traitements par les responsables de l’application des lois reste très répandue en Papouasie.

Amnesty International Indonésie et Pusaka Foundation appellent les autorités indonésiennes à diligenter de toute urgence une enquête indépendante, impartiale et efficace sur la mort de Yudas Gebze conformément aux directives inscrites dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Les autorités doivent veiller à ce que toute personne contre laquelle il existe des éléments tendant à prouver son implication dans les actes de torture infligés à Yudas Gebze, dans l’homicide illégal dont il aurait été victime ou dans d’autres violations des droits humains s’apparentant à des actes criminels soit amenée à rendre compte de ses actes devant un tribunal civil indépendant. Cette procédure devra respecter les normes internationales d’équité et ne pas recourir à la peine de mort. Les enquêtes et les poursuites ne devraient pas se limiter aux auteurs directs de ces agissements, mais se pencher aussi sur l’éventuelle implication de personnes investies d’une autorité, quel que soit leur rang. Les mécanismes internes par lesquels la police ou l’armée sont tenues de rendre des comptes ne doivent pas être restreints aux seuls problèmes de discipline. Tout crime impliquant des violations des droits humains par des fonctionnaires doit être référé au ministère public.

Amnesty International Indonésie et Pusaka Foundation demandent également au Parlement indonésien de combattre la torture et les autres mauvais traitements en modifiant le Code pénal en vigueur ou en adoptant une nouvelle loi érigeant en infraction la torture et les autres mauvais traitements, conformément à la Convention des Nations unies contre la Torture et à d’autres traités internationaux et normes internationales pertinents en la matière.

Complément d’information

Amnesty International Indonésie et Pusaka Foundation estiment que la torture et les autres formes de mauvais traitements sont encore souvent utilisés par les forces de sécurité en Papouasie. Les enquêtes menées précédemment sur des violations des droits humains commises par les forces de sécurité dans les provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale, notamment des homicides illégaux, l’utilisation d’une force injustifiée et excessive et des actes de torture ou d’autres mauvais traitements, ont été retardées de manière injustifiée ou abandonnées, ou leurs conclusions ont été passées sous silence, encourageant ainsi les responsables à commettre davantage de violations des droits humains et empêchant les victimes et leurs familles d’obtenir justice, vérité et réparations.

Plus de vingt ans après le début des réformes de 1998 en Indonésie (Reformasi), Amnesty International Indonésie continue de recevoir des informations faisant état d’homicides illégaux commis par les forces de sécurité dans les provinces orientales de Papouasie et de Papouasie occidentale.

Entre janvier 2010 et février 2018, Amnesty International Indonésie a recensé 69 affaires d’homicides illégaux présumés par les forces de sécurité en Papouasie, ayant causé la mort de 95 personnes. Dans les 69 faits recensés, aucun n’a donné lieu à une enquête pénale par une institution indépendante de celle dont les membres étaient soupçonnés d’avoir commis l’homicide. Dans 25 cas, il n’y a eu aucune enquête, pas même en interne. Dans 26 cas, la police ou l’armée a affirmé avoir mené des investigations internes, sans rendre publiques les conclusions. Dans seulement huit cas, les responsables de ces homicides ont été amenés à rendre compte de leurs actes. La plupart des familles de victimes d’homicides illégaux imputés aux forces de sécurité en Papouasie ont dit à Amnesty International qu’elles voulaient que les responsables de ces actes soient traduits en justice devant un tribunal.

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