INDONÉSIE : L’arrestation d’un militant pourrait remettre en cause le cessez-le-feu en Aceh

Index AI : ASA 21/006/2003

Amnesty International a lancé un appel en faveur de la remise en liberté immédiate de Muhammad Nazar, militant politique actif, arrêté aujourd’hui 12 février dans la province de Nanggroe Aceh Darussalem (NAD) ; l’organisation a mis en garde contre le fait que la détention de militants risquait de discréditer l’accord de cessez-le-feu en vigueur depuis deux mois dans la province.
« L’accord de cessez-le-feu, bien que fragile, a permis de réduire le niveau de violence entre les deux parties en conflit dans la province , mais il risque de ne plus rien signifier pour les citoyens ordinaires de l’Aceh si ceux-ci continuent de subir des violations des droits humains. »

Muhammad Nazar, président du Centre d’information sur le référendum en Aceh (SIRA) qui défend l’idée d’un référendum sur la question de l’indépendance de la province de Nanggroe Aceh Darussalem, a été arrêté tôt dans la matinée du 12 février ; il est détenu au siège de la police dans la capitale provinciale, Banda Aceh. Un autre membre du SIRA, Abdullah, avait été détenu par la police pendant quatre jours après s’être fait arrêter dans le district d’Aceh Barat Daya le 6 février 2002.

L’arrestation de Muhammad Nazar serait liée à son implication dans l’organisation d’un rassemblement à Lokseumawe, dans le district de l’Aceh du nord le 9 janvier 2003. Quatre hommes y auraient été blessés par balles lorsque des membres de la brigade mobile de police (Brimob) ont ouvert le feu, dans le but semble-t-il d’empêcher des gens d’assister à la manifestation. Kautsar, un autre militant, a également été menacé d’arrestation dans le cadre de ces évènements.

« Muhammad Nazar doit être remis en liberté immédiatement et sans condition » a déclaré Amnesty International qui a appelé parallèlement à l’ouverture d’une enquête sérieuse et indépendante sur les circonstances des tirs.
L’accord de cessation des hostilités (COH) signé le 9 décembre par le gouvernement indonésien et le Mouvement pour l’Aceh libre (GAM), groupe d’opposition armé, exige explicitement des deux parties qu’elles « permettent à la société civile d’exercer ses droits démocratiques sans entrave ».

Amnesty International est consciente des préoccupations du gouvernement indonésien, qui craint que le cessez-le-feu ne soit utilisé par le Mouvement pour l’Aceh libre et ceux qui le soutiennent pour renforcer les rangs des indépendantistes. Cependant, Amnesty International remarque que l’arrestation de militants politiques et les tirs de la Brimob constituent une violation de cette disposition et marquent les limites de la liberté d’expression et d’association dans la province de Nanggroe Aceh Darussalem.

« Pour que le processus de paix fonctionne et qu’il dure, il faut que la population civile y croit. Pour gagner sa confiance, il faut lui donner un rôle significatif dans le processus et la protéger des violations des droits humains », a déclaré Amnesty International.

L’accord de cessez-le-feu ne contient aucune référence spécifique à la protection des droits humains. Un comité conjoint de sécurité (JSC) comprenant des membres de la communauté internationale a été mis en place pour surveiller l’application de cet accord et enquêter sur les violations de sécurité. Toutefois ce comité n’a aucun mandat pour enquêter sur des allégations qui concerneraient des violations des droits humains. Amnesty International pense que son rôle devrait être étendu pour englober la protection des droits humains et que le comité devrait rendre publiques toutes les violations, quelles qu’elles soient.

L’accord de cessez-le-feu ne traite pas non plus de la question de savoir quelle justice pourra être rendue pour les milliers de violations des droits humains commises au fil des ans dans la province. L’absence de justice pour ces violations, dont la majorité ont été commises par les forces de sécurité indonésiennes a alimenté le conflit au cours de ces dernières années. L’organisation appelle les deux parties à se pencher sur cette question de la justice pour les violations passées et présentes en coopérant pleinement aux enquêtes et en s’assurant que les personnes soupçonnées d’être responsables de violations des droits humains soient jugées.

« L’expérience a montré maintes et maintes fois que lorsque les droits humains ont été oubliés lors d’un processus de paix, celui-ci ne parvient pas à se consolider et finit par échouer. Il y a actuellement une chance unique de faire la paix dans la province de Nanggroe Aceh Darussalem et il ne faudrait pas la gâcher au prétexte que certaines questions clés, comme les droits humains, seraient des sujets trop sensibles. »

Complément d’information
L’accord de cessez-le-feu doit mettre fin aux hostilités entre le Mouvement pour l’Aceh libre (GAM), groupe d’opposition armé et le gouvernement indonésien dans la province de Nanggroe Aceh Darussalem (NAD). La province a été déclarée région d’opérations militaires (DOM) entre 1989 et 1998, période au cours de laquelle les forces de sécurité indonésiennes ont opéré en toute impunité dans la région. On estime que des milliers de personnes ont été victimes de violations des droits humains, parmi lesquelles des exécutions extrajudiciaires, des « disparitions », détentions arbitraires et actes de torture.
Des pourparlers de paix ont débuté en 2000 à l’initiative du Centre pour un dialogue humanitaire basé à Genève et un accord désigné sous le nom de « Pause humanitaire » a été signé en mai de la même année. Cet accord n’a pas tenu très longtemps et la violence s’est intensifiée au cours des années suivantes. Les deux parties se sont rendues responsables de nombreuses violations des droits humains ; les associations de défense des droits humains estiment à environ 1 000 personnes le nombre des tués en 2001 et à plus de 1 300 leur nombre en 2002. « Disparitions », détentions arbitraires et actes de torture ont également perduré.
Les militants politiques font partie des cibles. Muhammad Nazar et Kautsar ont tous deux déjà été détenus dans le passé. Muhammad Nazar avait été condamné à dix mois d’emprisonnement en 2001 après avoir été jugé coupable « d’incitation à la haine contre le gouvernement ». Kautsar, qui préside le Front de lutte démocratique du peuple de l’Aceh (FPDRA), a passé quatre mois en détention avant d’être acquitté des mêmes charges « d’incitation à la haine contre le gouvernement » fin 2001. Tous deux sont considérés par Amnesty International comme des prisonniers d’opinion.

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